L'aveu de Gaël

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Le lendemain matin, installée sur un banc de bois accolé à la pierre du bâtiment de l'Institut d'Art et d'Archéologie, je lis paisiblement la fin de l'Odyssée d'Homère. Tandis que des pas font échos dans la galerie majestueuse où je me situe, j'attends avec patience le cours en amphithéâtre qui se produira dans l'aile nord de l'établissement, dans vingt minutes. Depuis, une atmosphère étrange règne autour de moi, dans l'enceinte du Centre Michelet. Des regards persistants, voire réprobateurs. Des secouements de tête, des sifflements et autres remarques à voix basse, inaudibles pour en saisir le sens.

— Charlie !

Une voix résonne au fond du couloir, un timbre familier. Je peux facilement sentir son parfum musqué d'ici. Précipitamment, je me lève pour aller à l'encontre de mon ex-beau-frère et clame en jetant des regards d'effroi autour de moi, à la recherche d'une tête rousse :

— Chut ! Ne crie pas comme ça. Je t'ai déjà dit : discrètement. Tu veux qu'elle nous voie ?

— Ne t'inquiète pas elle n'est pas là. Je m'en suis bien assuré.

— Qu'est-ce que tu as à me dire, Gaël ? m'empressé-je d'ajouter.

Les personnes qui marchaient il y a quelques secondes nous dépassent, dont l'un des enseignants semble être aux aguets devant la situation. Mon regard vrille dans le bleu du sien et James détourne, comme à son habitude, ses yeux vers Mme Cigliano, dont le nez est rougi par le froid. Je reporte mon attention sur Gaël. Seulement là, je discerne la couleur légèrement plus violacée sur son œil droit par rapport à celui de gauche. Je m'approche de lui, inquiète :

— Mais que t'est-il arrivé, enfin ?

— Tu n'es pas au courant pour hier ?

— Non, quoi ? certifié-je en observant Taylor et sa collègue.

— Bastien et Manu se sont battus. Mais ces sales chiens, ils sont venus à plusieurs parce que Lombardi n'était pas capable de se défendre. Tu te rends compte, ses anciens potes du foot !

Ces traîtres n'ont jamais été ses amis, je ne suis qu'à demi-étonnée.

— Et comment va-t-il ?

Il a un petit rire.

— Bien mieux que moi, une lèvre et une main gonflées.

— Tu es rentré dans la bagarre ?

— Penses-tu que j'allais laisser mon frère se faire tabasser sous mes yeux ? Deux contre cinq... On s'en sort plutôt bien.

La colère qui m'habite, bout en moi tel un volcan prêt à entrer en éruption.

— Si j'avais su... je ne serais pas venue, décrété-je en détournant le regard, les dents serrées.

— À vrai dire, ce n'est pas qu'uniquement pour ce que Lombardi s'est permis avec toi hier, mais... s'abstient-il de dévoiler.

— Oui, quoi ? Et bien, vas-y je n'ai pas la journée. J'ai symbologie avec Taylor, là.

Il soupire et m'entraîne plus à l'écart des indiscrets. Ici, les murs ont des oreilles.

— Qu'est-ce que Camille t'a raconté en mai dernier ? Sur l'histoire du Starbucks ?

— Sérieusement ? On va reparler de cette histoire, dis-je, exaspérée, ne voulant plus en débattre.

Il m'attrape par le bras et me chuchote :

— Je suis plus que sérieux. Dis-moi, Charlie.

— Que Bastien et Selena étaient tous les deux au Starbucks, et elle m'a envoyé une photo d'eux, face à face.

— Garce !

— Cool, je vois que tu as su tourner la page, fanfaronné-je.

— Charlie, Emmanuel Lombardi était avec Bastien ce soir-là. Il a invité Camille qui n'est jamais venue. À la place devine qui a débarqué ? Selena, ajoute-t-il avant que je ne réponde.

— Tu insinues que Camille aurait tout manigancé ? Mais, pourquoi ?

— Ça, c'est toi qui as la réponse, pas moi.

Pourquoi aurait-elle fait ça ? Casser mon couple alors qu'elle... Eureka ! Elle était séparée de Gaël et ne m'adressait plus la parole. Toujours fourrée avec Constance. Oui, mais ça n'explique pas pourquoi en détruisant ma relation, elle aurait eu la certitude que nous nous réconcilierions. Les sourcils froncés, une chose ne colle pas :

— Et comment elle aurait joint Selena pour qu'elle accepte de se déplacer jusqu'au Starbucks des Invalides ?

Gaël, surpris, se recule.

— Bin... Selena est la sœur de Constance.

Bouchée bée, je fixe Gaël. Constance et Selena, deux sœurs ? Et Camille m'avait omis de me divulguer ce léger détail. Je vois le tableau se présenter devant moi depuis le début, par la faute de cette soi-disant amie. Je fulmine de rage. Elle s'est moquée de moi et cela depuis toujours ?

— Selena est la sœur de Constance ?

— C'est sa petite demi-sœur en vérité, l'autre fille de sa mère. Bastien a dérapé avec Constance et Selena l'a su.

— Oh ! Dérapé ? Quelle jolie tournure, pour ne pas dire « faire l'enfoiré ». Là, tu vois, tu ne l'aides pas.

— On s'en fout. Il ne l'aimait pas Selena et puis, bon, ils avaient leurs mésententes, ajoute-t-il en grimaçant.

— Ouais, ça les regarde.

— Est-ce que le puzzle commence à s'assembler dans ta tête ? Camille a délibérément foutu la merde entre toi et Bastien ! s'indigne-t-il avant de préciser, c'est une des raisons pour laquelle hier, en prime, il a pété la gueule à Manu. Il pense qu'il était de mèche.

— Mais, ils n'ont que ça à faire ces gens-là ? dis-je de plus en plus scandalisée.

— Peut-être que tu sais quelque chose sur elle ? Et Lombardi y trouve sûrement son intérêt.

— Franchement, je ne crois pas.

Un soupir m'échappe. J'ai ma petite idée : Franck Mollet. Elle a sûrement eu peur que je dévoile son secret auprès des autres étudiants et de Gaël. En redevenant son amie, elle s'est sans doute dit que je ne le ferais pas ou qu’elle m’aurait à l’œil. Mais, pourquoi n'est-elle pas tout simplement venue s'excuser au lieu d'agir ainsi ? Ça n'a pas de sens ! L'espoir sans doute de découvrir un de mes secrets et on serait quitte. Oh ! C'est pour ça qu'elle insiste avec James !

— Charlie, ça va ?

La sonnerie retentit : le cours va commencer dans une minute.

— Oui, ça va. Je réglerai cette histoire plus tard, je dois filer. Merci Gaël ! lui lancé-je, une main posée sur sa joue. Et dis à ton frère...et bien dis-lui... non rien.

— Ça sera fait, promis, ricane-t-il avec un clin d'œil.

Le cours de symbologie dans l'art m'attend et, par la même occasion, James.

Gonflée de courage par les aveux de Gaël, je me fiche des rumeurs et de la fameuse théorie de Camille du « fuir ceux qui me plaisent ». Je vais lui donner de quoi caqueter à celle-là.

Lorsque j'entre en salle, la Vénus endormie de Giorgione face à moi, je compose comme une virtuose. Je manie les mots et les arguments avec justesse. Qu'importe les hypothèses scabreuses. Qu'importe la tournure que cela prendra. Je manie le cours à ma manière, avec l'échange toujours autant intrépide entre James et moi. Oui, je ne me tairais pas au nom des fouteurs de troubles. Mon avenir professionnel est en jeu. Les élèves de cette faculté disparaîtront comme ceux du lycée de Lorient.

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