Les faux-semblants

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C'est une belle nuit froide et humide comme Paris sait en faire. À l'approche des vacances de la Toussaint qui débutent samedi, une soirée étudiante est prévue chez Lombardi aujourd'hui même, parmi la classe la plus prisée de la fac. Non issue de la bourgeoisie Parisienne, j'y suis tout de même invitée, comme j'ai honneur à connaître les bonnes personnalités, telles que Camille Durand, les sœurs Katane – elles partagent le cours d'italien avec moi – Liam Rocha et ses trois couillons de potes.

Ce soir-là, je rejoins Camille chez elle et, en appuyant sur le bouton de l'interphone, je prie pour ne pas tomber sur son père. Mme Rousseau m'ouvre et me demande de patienter en m'annonçant que Mademoiselle Durand est encore à s'apprêter.

À l'opposé du salon, un homme hurle, apparemment mécontent. Piquée par la curiosité, je jette un coup d'œil discret pour m'assurer que la dame à tout faire ne soit pas dans les parages et me dirige vers la voix, soudain devenue plus froide et moins forte.

— Il faut pouvoir finir ses tableaux en temps et en heure, est-ce clair ? Markovic passera les prendre et s'occupera de tout. Je ne vous paye pas pour le retard, mais pour votre talent.

À travers l'embrasure de son bureau, M. Durand dépose le combiné du téléphone et tourne son fauteuil, jusqu'à m'offrir son dos en vue.

Il ne plaisante pas lorsque ça requiert de son travail et de son cabinet.

Je suis prête à faire demi-tour quand celui-ci m'interpelle :

— Je suis ravi de vous revoir, Charlène.

Sourire aux lèvres, il pivote sur son siège et se lève en m'invitant à entrer.

Son bureau se trouve dans une grande pièce au parquet ciré et aux élégantes étagères remplies de livres brodés. Un sofa en cuir se tient à notre gauche et les grandes fenêtres doivent majestueusement éclairer le lieu durant la journée. Au moment où j'y suis, je peux admirer les lumières de la ville.

— Bonjour, M. Durand. Excusez-moi, je ne voulais pas vous déranger, dis-je tout simplement, un peu mal à l'aise d'avoir été prise en flagrant délit de voyeurisme.

— Faites.

— Je voulais vous remercier pour le Delacroix, enfin, d'avoir convaincu Dauger de l'aider à le restaurer.

— Tout le plaisir est pour moi. Et j’aime quand les personnes sont reconnaissantes, me défie-t-il en me détaillant de la tête aux pieds avant de se diriger vers son bar. Venez prendre un verre avec moi pour fêter cela. Mes souvenirs me font défauts, mais il ne me semble pas que vous ayez visité ma demeure. Je vais vous faire le tour du logis.

Accueillie par un verre de vin blanc Grand Cru, Pascal Durand, devenu modeste, m'invite ainsi à visiter son grand appartement, sans aucun geste déplacé ni une parole portant à confusion. J'aurais même pu le trouver avenant et courtois si je n'étais pas restée sur nos dernières entrevues.

Revenus de notre escapade, il bavasse sur la restauration du Delacroix. Instinctivement, je m'attarde sur son bureau où je lis un dossier classé confidentiel, d'où les feuilles mal rangées attirent mon regard. M. Durand se précipite et s'excuse pour le désordre. Il m'indique la sortie pour me faire découvrir d'autres pièces de l'appartement et continue sur le sujet précédent. Ainsi, j'apprends que dimanche dernier il est allé déjeuner avec l' « œil » qui doit venir expertiser la toile. Un Anglais, expert en œuvre d'art. Je ne mets pas longtemps pour faire le lien entre l'expert en question et James. Lorsqu'il me l'annonce, cependant, je lève la tête d'un air ahuri et le commissaire-priseur sourit de toutes ses dents - pour la première fois depuis que nous nous connaissons. Bien sûr, il sait qui est James Taylor pour moi, vu que sa fille et moi partageons les mêmes cours.

— Drôle de coïncidence, vous ne trouvez pas ? dit-il.

Toute cette mascarade n'était qu'un leurre alors pour me parler de mon professeur. Il faut que je sois vigilante lors de notre prochaine rencontre à l'Atelier Drouot face à James. Et dorénavant, ne jamais baisser sa garde devant Pascal Durand.

Durant le trajet, moi au côté passager dans la voiture de Camille , aucune, ni d’elle ni de moi, ne se soumettons à une motivation hilarante comme on l'instituait autrefois. Au feu rouge sur l'Avenue la Motte-Picquet, je sors de mon mutisme.

— Au fait Constance t'a dit si Taylor l'avait rappelé ? demandé-je d'un ton qui se veut détacher.

— Je doute fort, glousse-t-elle en ne détachant pas son regard de sa vitre. Et dire qu'elle ait réussi à coucher avec. J'ai donc toutes mes chances !

Elle s'esclaffe. Je grince des dents.

— Je plaisante ! dit-elle en me tapant sur la cuisse. Pourquoi il te botte ?

— Non merci, j'ai déjà de bonnes notes, répliqué-je, sur la défensive.

Elle se renfrogne. Le feu passe au vert. C'est un blizzard qui s'engouffre dans la voiture. Camille se reconcentre sur sa conduite moi, j’explore Paris à travers la fenêtre. C'est plus fort que moi, si on me pique au vif, ma bouche agit plus vite que mon cerveau. Instinct animal, sûrement.


Enfin, nous arrivons à destination et elle cherche pendant cinq bonnes minutes où pouvoir se garer. Que Dieu bénisse les places-livraison !

Camille ne m'attend pas et sort furtivement de la voiture pour se précipiter sur la porte d'entrée de l'immeuble, où la soirée doit se dérouler. À mon tour, je claque la portière et m'avance vers elle.

— Désolée, Cam'. C'était pour taquiner. Rien de bien méchant.

— Ça va, c'est bon, lâche-t-elle sévèrement, en balayant mes excuses d'un revers de main.

Je m'appuie contre le mur, près de l'interphone afin de l'avoir en face de moi. Elle sonne.

— Tu as perdu ton humour, maintenant ?

— Oh arrête ! C'est une putain de réflexion de merde !

— Tu veux qu'on s'explique réellement ? Parfait ! Depuis que je t'ai surprise dans cet hôtel à la mords-moi-le-nœud, rien n'est plus comme avant ! Pourquoi, Camille ? Hein ? Qu'ai-je fait de si mal ? Ce n'est pas comme si je l'avais raconté à toute la fac, ou à ton reup ? Je l'ai gardé pour moi. Je suis tombée, ce jour-là, sur vous, par pur hasard ! Je ne t'ai jamais jugée, même si, sur le coup, par étonnement, je me suis fâchée. J'avais peur que tu souffres de cette relation, tu comprends ça ?

Un silence, puis Camille ré-appuie sur le bouton en jurant.

— Tu sais ce qui m'agace chez toi ? Tes mensonges.

— Ah oui, lesquels ? m'étonné-je, en croisant les bras.

— Par exemple, je sais que tu esquives les hommes qui t'attirent. Il y a deux ans, Bastien tu le fuyais comme la peste. Il a fallu que tu saches que tu lui plaisais pour lui sortir le grand jeu. Maligne. Alors, ne me la fait pas à moi pour Taylor.

Visiblement, les leçons de Lauren ne m'ont pas servi à grand-chose pour me cacher de cette attraction. J'ai soudain conscience, qu'à force de cacher mon attirance pour James, j'en avais oublié que d'autres me connaissait bien mieux que moi. En avait-elle fait part à son père ? D'où ce sourire sournois dès le rapport de l'expert avec James ?

Il faut que je détourne la situation.

— Mais pourquoi tu en fais toute une histoire ? T'es amoureuse de lui ?

Son rire moqueur me parvient aux oreilles comme la pointe d'un poignard sous la gorge.

— Ne confonds pas amour et désir, marmonne-t-elle. Juste que tu es une menteuse et je suis ton amie, tu aurais pu au moins me le confier.

— Ouais ! siffle l'interphone.

— C'est Camille et Charlie, répond-elle.

— Super ! Montez.

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