Debriefing

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D’un pas traînant, je me rends au supermarché du coin pour les courses de Mamie Renée. Je vais directement aux rayons des animaux, je ne veux pas m’éterniser, la tête encore dans ma soirée d’hier, je n’ai qu’une envie c’est de flemmarder.

À la caisse, il y a deux personnes dont un vieux mettant un siècle avant de payer et une autre dame laissant tout sur le tapis de caisse, pressée d'aller chercher son paquet de spaghettis. Un mec titubant et à l’haleine forte d’alcool, tente de me doubler, prétextant qu'il n'a qu'un article avant de lui montrer mon unique boite de whiskas. « Broute-minou » est la seule réplique qu'il a pu bafouiller tandis que la caissière demande à sa collègue si elle n'a pas la monnaie sur dix euros. Jusqu'ici tout est normal. Les français, les citadins, Paris. J’ai laissé le Kronenbourg sur pattes passer devant moi.

Ce matin, le temps est autant lourd que tous les parisiens que je croise. Je ne les supporte plus et le produit miracle « James » ne m'aurait pas déplu à ce moment précis.

Tendue, je dépose le sac de courses chez Mamie Renée qui me remercie par un grognement, comme si je l'avais cognée avec sa boîte de nourriture pour chats sur la tête, puis elle me claque gracieusement la porte au nez.

La matinée finit avec un face à face - dirais-je plutôt une prise de tête - avec Gueule en Biais et ses blagues de lourdaud :

— Salut Charlie la chocolaterie ! Willy Wonka t'a demandé des courses ? Ah non ! C'est Renée la renarde !

J'arque un sourcil à l'intention de mon coloc', sorti en caleçon. Iban hausse les épaules avant de me faire signe de le foutre à la porte. Gentiment, j'attrape son amant par le bras et lui propose d'aller voir là-bas si j'y suis. Les forts maux de tête qui avaient débuté après la conversation avec Simon ne font qu'augmenter, un antalgique serait le bienvenu.

Iban Kalvinsky décuve sur le bar, torse nu à moitié vêtu et une chaussette au pied droit. La tête dans sa main, il lorgne avec dégoût son Efferalgan fondre dans son verre d'eau. Je l'imite et durant trente minutes nous entendons l’unique goutte du robinet. Juste le temps que le comprimé fasse effet.

Nos migraines passées, Iban se coule un café tandis que je me verse un jus d'orange dans un grand verre, accompagné d'une part de brioche à la confiture de mûres. Face à face, il me demande alors :

— Cette nuit, comment on va la nommer ?

— Orgasmique ? nommé-je, un sourire en coin.

Il avale de travers.

— Non ? s’exclame-t-il en se tournant vivement vers moi.

Ses yeux taquins m'observent avec intensité.

— Combien ?

Je fais mine de réfléchir. Il n'y a qu'à lui que je puisse raconter des choses aussi intimes de ma vie. Iban est une tombe, mais il règle les problèmes avec tellement d'humour, que tout semble se relativiser.

— Deux, avoué-je.

— Mazeltov ! Tu viens de fêter ton baptême du sexe.

Je pouffe de rire et me vautre sur le bar, la tête dans la main, le coude avachi.

— Et on en parle de l'autre ? demandé-je en indiquant la porte d'entrée d'un signe de tête.

— Fantasme de la forme olympique, tu te rappelles ? clarifie-t-il en se beurrant sa tartine, le dos tourné.

— Beurk, j'vais gerber ! Gueule en Biais ? C'est sérieux ?

— Galanvier, bordel ! s'écrie-t-il en se retournant.

Il s'appuie contre le meuble de cuisine et croque dans sa biscotte.

— Je t'accorde qu'il n'a pas inventé l'eau chaude, mais il est bien monté, me renseigne-t-il en clignant des cils.

Je grimace. J'essaye de ne pas imaginer cette tête de nœud de Fabien Galanvier en dieu du plumard.

— M'enfin ! Et le feeling dans tout ça ? Je veux dire, au-delà du physique, ça ne compte pas ?

— C'est ce que tu as ressenti avec James ?

— Bin, évidemment ! Un abruti fini ne m'aurait pas eu dans son lit en une soirée...

— Autant c'est un con terminé à la pisse, qu'est-ce que tu en sais ?

— L'intuition.

— Mmm, arrive-t-il à dire. Tu comptes le revoir, alors ?

— Non !

— Pourquoi ? Si le feeling passe au-delà du physique ? me singe-t-il.

— D'une, parce qu'il est bien trop vieux pour moi et de deux, Simon est venu... et ça risque de créer des problèmes.

— Comme ?

— Je n'en sais rien, dis-je en me redressant.

— Et il est passé quand ?

— Ce matin, vers onze heures.

— Il est chié, lui ! revendique-t-il d'une voix pâteuse en partant direction le canapé. La moindre des choses, c'est d'amener des putains de croissants quand on vient le matin chez les gens.

Je secoue la tête en ricanant, puis lui pose un baiser sur la joue et me dirige dans mon atelier : les techniques de Delacroix m'attendent.

Ce maudit coucher de soleil d'un orange jauni, ou d'un jaune orangé me rend folle. Il aurait fallu que j'aie l'original pour pouvoir le calquer, au lieu de ça, je me coltine un simple catalogue et me perds dans mes centaines de teintes. J'abandonne au bout de deux heures et attaque le ménage. Surprise, Iban m'aide ! Un fond de musique et il me caricature comme hier soir en compagnie de James. J’ai l’impression qu’il imite une niaise ! Etais-je si ridicule que cela ? Alors, j'imite ensuite à la perfection Gueule en Biais et Iban éclate de rire.

Le cours de symbologie débute demain matin à la première heure. Je m'impatiente à connaître ce Taylor. Quelle est la première toile qu'on devra analyser ? Va-t-il attaquer fort ? Ou aura-t-il peut-être recours à une méthodologie plus simpliste ?

Depuis l'annonce de cette option en juillet, j'ai revu toutes mes bases sur l'art et les interprétations que j'ai écrites dans un cahier. J'ai pris soin de bien organiser par symboles : le cosmos, le monde naturel (animaux, plantes, fleurs, aliments...) ; l'Homme avec les rites, le mariage, le deuil ; les mythes et religions ; la culture et la société, puis les systèmes symboliques avec les couleurs, les motifs, les nombres, les pictogrammes, le langage des signes, les gestes et expressions... Que pourrais-je rajouter ?

C'est un travail de mémorisation sur deux ans et j'ai arrêté de le remplir depuis quelques temps, en espérant apprendre davantage grâce à ce cours afin que je puisse continuer. Je n'ai pas le droit à l'erreur, c'est ma dernière année avant de partir pour Rome.

L'heure tourne et après avoir commandé des sushis pour Iban et moi, une douche s'impose avant de m'écrouler sur l'idée que les cours de symbologie vont reprendre. Une tout autre amorce à mes yeux. Un nouveau départ pour un nouveau jour.

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