La loi de Murphy

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L'Italie. Plus exactement la Toscane. Ses villages médiévaux et ses champs de vignes, de blés, d'oliviers qui ressemblent étrangement à la Provence. Serrée dans mon corset, traversant les routes campagnardes sous un soleil de plomb, j'atteins enfin une allée de gravillons encadrée par de longs pins. Nous nous engageons sur le chemin et une villa se dessine, surplombant la colline, dans le sillon d'un rayon de lumière rosée. Le claquement de sabots des chevaux s'arrête devant cet immense mas à l'architecture typique de l'époque italienne du XVème siècle, et je devine que je ne suis pas seule dans le coche. Un homme est assis à ma droite et lorsque je pivote la tête pour échanger un regard avec lui, Iban me secoue et m'arrache de ce rêve qui semblait si profond, presque réel.

— Mmm, dis-je, endormie.

— Il est neuf heures, tu n'as pas cours à dix heures et demi ?

Mes yeux s'écarquillent. Dans l'affolement, je saisis mon portable et appuie frénétiquement sur la touche du milieu : il reste noir.

— Merde, j'ai oublié de le charger ! hurlé-je en le chargeant.

Debout en une seconde, je manque de tomber en emmêlant mes jambes dans les draps. Pendant que le téléphone est branché, je passe en un éclair dans la salle de bain, avant d'enfiler un jean et un t-shirt. Pas le temps d'essayer de coiffer mes cheveux, je les laisse détachés. J’attrape mon sac de cours, heureusement préparé la veille, mon portable – désormais à 20% de batterie - et manque de bousculer Iban lors de mon sprint vers la sortie.

— Tu ne peux pas allée à la fac avec ces suçons dans le cou, là ?

— Je n'ai vraiment pas le temps.

— Laisse-moi deux minutes.

Il fonce dans la salle de bains et me rapporte ma trousse à maquillages. Il en sort tout ce qu'il faut pour camoufler les morsures encore visibles de samedi soir.

Je le remercie et l'embrasse sur la joue. L'ascenseur ne fonctionne pas ce matin et je descends les escaliers en évitant de me casser la figure. Mon scooter est garé devant l'immeuble, sur le trottoir. Mais à peine assise et clef dans le contact, que celui-ci ne démarre pas.

Ce n'est pas possible ! Je suis maudite !

Je laisse tomber et cours jusqu'au métro le plus proche. Le quai est blindé, tout le monde se bouscule. Le métro est là mais le temps de descendre les marches, les portes se referment. Je jure à voix haute. Le prochain est dans deux minutes. Deux minutes de trop. Il est presque dix heures et j'ai quarante minutes de trajet. Je suis fichue. Je préviens Camille d'un SMS afin qu'elle puisse prévenir le professeur.

Douze minutes après, je sors aux Invalides et prends le bus 83. Il est là dans cinq minutes. Je regarde l'écran de mon portable : il est dix heures et quart. Deux femmes avec deux énormes poussettes montent à l'arrière du transport et bien que tolérante lors de mes beaux jours, ce matin, je me vois serrer des coups de toutes mes forces. Elles prennent toute la place et je me retrouve coincée entre un homme corpulent et les portes qui s'ouvrent à chaque arrêt donc je suis obligée de descendre et remonter toutes les deux minutes.

Enfin arrivée au Centre Michelet, je me précipite vers la salle F366.

C'est officiel, je suis en retard à mon premier cours de symbologie. Je remarque que c’est toujours lors des cours les plus passionnants que les galères s'enchaînent. Par contre, lorsque j'avais Physique-Chimie, Maths ou encore cours sur les motifs muraux du XVIIème siècle, là, bien évidemment, tout allait comme sur des roulettes. Le métro se pointait même en avance.

Salle F366.

Dix minutes de retard, génial !

Je souffle un bon coup devant la porte et remets mes cheveux en ordre. La main sur la poignée, je toque. J'ouvre et je reste figée face à l’enseignant.

Un fil de souvenirs se déroule dans ma mémoire. Taylor. N'est-ce pas un nom anglo-saxon ? Pourquoi cela ne m'a pas sauté aux yeux ?

Il avait été adroit dans la déduction au Carmen sur ma personnalité, en réalité parce qu'il connaissait les codes de la symbologie. Il m'avait pourtant confié sa venue à Paris pour enseigner... sans me préciser où. Les signes du destin m'avaient-ils parlé ? James est le fameux professeur dans mon option de symbologie. Je n’ai rien su déduire, obnubilé par lui et mon envie de rester toute la nuit avec.

Il ferme les yeux et j'en profite pour fermer la porte.

Un arôme rafraichissant parvient jusqu'à moi, celui de mon charismatique Anglais. Mon amant d'un soir, mon professeur, désormais. Un parfum agréable qui m'apaise et me donne confiance en moi. Toute nervosité disparaît et c'est avec assurance que je me retourne vers lui avec courage, prête à assumer d’avoir couché avec mon nouveau prof.

Perché sur sa petite estrade, il parait maître de la situation, reste interdit, ses lunettes sur le nez. Nous nous dévisageons, comme si nous ne comprenons pas ce qui nous avait échappé samedi soir. Un dialogue non-verbal s'instaure attendant une réponse l'un de l'autre. Il faut qu'un de nous deux agisse pour couper court à la situation, car le silence autour m'indique que nous ne sommes pas les seuls à la jauger :

— Bonjour, se lance-t-il.

— Bonjour, je suis bien en cours de symbologie dans l'art ?

Bon signe, je ne tremble pas de la voix.

— Oui. Puis-je savoir votre nom, que je puisse vous cocher sur la liste de présence, mademoiselle ? continue-t-il, tête baissée sur sa fiche de présence, mâchoire légèrement serrée.

Il ne tremble pas aussi de la voix.

— Mahé. Charlène Mahé.

Je contrôle tout ce qui pourrait trahir ne serait-ce qu'un léger trouble. Néanmoins, je ne suis pas la seule, James poursuit toujours avec assurance :

— Je me suis présenté à la classe pendant votre absence, je suis James Taylor, votre premier professeur dans cette option de symbologie.

— Bienvenue à vous alors, professeur, salué-je d'un ton détaché.

— Merci.

D'un geste de la main, il m'invite à m'asseoir. Un vrai pro de la maîtrise de soi. D'ailleurs, je ne sais plus s'il est en colère, déçu ou mal à l'aise.

Je rejoins Camille au second rang, et James reprend son appel. Mon amie se penche vers moi en chuchotant :

— C'était quoi ça ?

— Quoi, ça ?

— Fiche-toi de moi. Toi aussi tu es surprise du prof qu'on a ? Il est canon, hein ?

Je souris en rendant grâce au destin que Camille ne sache rien sur la synergologie.

— Étonnée qu'il soit aussi jeune, oui, conclus-je en sortant mes affaires de mon sac.

Elle le bouffe du regard et me sort alors :

— Je crois que ce cours va me plaire.

Je me tais et James lève la voix pour demander :

— Qui peut me parler du Quattrocento et du Cinquecento ?

Personne ne lève la main. Vais-je être assez à l'aise pour lui prouver que je ne suis pas une gamine dégotée dans un club ni une lâcheuse pour m'être enfui avant qu'il n'ouvre l'œil ? Je dois passer outre cela. Mon avenir est en jeu. C’est de la symbologie que l’on parle, ce cours que j’ai attendu depuis deux mois. Rien ni personne ne m’arrêtera. La passion avant. Alors, je réponds :

— Ce sont deux mouvements artistiques durant la Renaissance italienne, un épanouissement architectural et pictural. Léonard De Vinci, Michel-Ange ou encore Raphaël font partie des protagonistes de ces mouvements.

J'avoue que la situation est plutôt embarrassante, mais je me plais à l'écouter exposer un sujet tel que la symbologie. Il m'intrigue. Il va falloir être exceptionnel pour détrôner Lauren.

Il met en marche le diapo, affiche sur le support éclairé, le croquis de L'Homme de Vitruve et éteint la lumière. Plongés dans le noir, éclairés par la représentation contre le mur d'un homme à deux paires de bras et de jambes enfermé dans un cadre, lui-même cerclé, mon anxiété et la soirée de samedi s'évanouissent en un rien de temps. Je suis dans mon élément et James Taylor en compose la combinaison.

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