Hermès, dieu des messagers

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En me levant d'un bond, je raccroche et me précipite vers la salle de bains. Dents brossées, je m'asperge le visage d'eau en me regardant dans le miroir. Les traits de mon visage sont reposés, un teint frais qui me donne bonne mine comme si l'orgasme m'avait revigorée, rafraîchie. James serait-il un produit miracle ? Par contre, c'est sans compter les marques infligées au cou, preuve de sa fougue. Soudain prude aux souvenirs récents, j'étire mes lèvres. Même celles-ci semblent plus gonflées.

La glissade que j'exerce lors de mes empressements se voit à nouveau mis en lumière lorsque j'accours vers ma chambre. Dans un silence identique à un éléphant dans un studio, je me change en remplaçant mon habit de combat en un short et un T-shirt décontractés. Tandis que je chausse mes baskets, la voix endormie d'Iban me parvient tel un bâillement raté :

— Charliiiiieeeeee, putaiiin de bordel de merde !

Il n'est donc pas en after.

Dans la cour, j'ouvre la porte qui donne sur le trottoir et cherche Simon du regard avant de le voir appuyer sur le mur à ma droite. Ses lunettes de soleil noires sur le nez, son sourire narquois me provoque. Je m'adosse à mon tour sur le chambranle en le défiant. Je fais mine d'être fâchée mais vite j'esquisse un sourire.

— Bonjour l'effronté. Entre, on va s'installer sur les escaliers.

J'entame la marche et je l'entends fermer la porte. Lorsqu'on atteint les marches du perron, je me retourne et je le prends en flagrant délit, ses yeux fixés sur mes jambes. Déjà ce n'était pas le cul, il y a du changement. Je m'assieds et il se cale contre la rambarde. De sa poche de pantalon, il en sort un paquet de Marlboro et l'ouvre en me proposant une cigarette. Je refuse. Il en coince une entre ses dents et l'allume avant de se tourner vers moi.

— Tu risques d'attraper froid comme ça.

Il cherche à gagner du temps.

— Que me vaut ta présence, Simon ? snobé-je sa réflexion.

Pour réponse, il se tait et m'observe. À son tour de dédaigner.

— Alors, cette nuit avec James ?

Je hausse les sourcils, déçue. Puis, je baisse la tête en claquant mes ongles.

— Je le croyais plus gentleman que ça.

— Je ne l'ai pas encore vu, précise-t-il.

— Comment le sais-tu, alors ? demandé-je en relevant la tête.

— Les morsures dans le cou, dit-il en me montrant du doigt.

Instinctivement, je positionne ma main pour les cacher, ce qui est inutile après avoir été démasquée.

— Il ne changera jamais celui-là, ajoute-t-il, un sourire aux lèvres. Content que vous ayez passé un bon moment.

— De quoi j'me mêle ?

— Pas de tabous entre nous. Voyons, Charlie ! Si tu veux, je peux te confier ma nuit avec Sophie.

— C'est qui, Sophie ?

— Peu importe, commence-t-il à raconter, en balayant l'air d'un revers de la main. J'ai baisé une étoile de mer. Jamais ô grand jamais ça m'était arrivé. Je pensais les françaises, toutes sans exception, entreprenantes. Et bien, bien que j'y ai mis tous les efforts pour la décoincer, je me suis surpris, lorsque je lui ai écarté les...

— ... la la la ! crié-je en me bouchant les oreilles. Ça ne m'intéresse pas.

— Tu partages, je partage, s'écrie-t-il. Je suis pour l'égalité.

— Pourquoi es-tu venu Simon ? répété-je, agacée.

Il prend un air inquiétant et même si, à travers ses lunettes je ne vois pas son regard, ses pommettes remontent et son front se plisse. Il cherche ses mots pour entamer un sujet qui semble le perturber. Enfin, il s'accoude contre le balustre et prend une taffe de sa clope avant de me balancer, de but en blanc :

— On ne se connait pas, d'accord ?

— Pardon ? m'exclamé-je, prise de court.

— Quand tu reverras, James. Toi et moi on ne s'est jamais vus.

Il semble nerveux.

— Je ne compte pas le revoir si ça peut te soulager.

— On ne sait pas de quoi demain est fait. Promets-le-moi, insiste-t-il, sérieux.

Je fronce les sourcils. A-t-il honte de m'avoir embrassé ? Gêné envers moi ? Ou envers lui ?

— Pourquoi tu ne veux pas qu'il sache, interrogé-je, suspicieuse.

— C'est mieux.

— Pour qui ?

— Pour tout le monde, conclut-il, sèchement. Alors ?

— Si tu veux. De toute façon, comme je t'ai dit, on ne se reverra pas.

Il tire de nouveau sur sa clope et je le dévisage.

— Tu as l'air bien nerveux vis-à-vis de cette situation. De quoi as-tu peur ?

Pour réponse, il éclate de rire.

— Ai-je dit quelque chose de drôle ?

— Non... Tu me fais penser à quelqu'un, c'est pour ça... Fascinant, finit-il par chuchoter. Tu as bien changé.

— Et à qui je t'ai fait penser ?

— À une personne qui m'est chère.

— Lauren ?

— Oui... entre autres.

— D'ailleurs, une question me taraude. Est-ce que James la connaissait ? Tu comprends, il est veuf, galeriste à Londres, apparemment proche de toi... enfin je me posais la question.

Il soupire et finit par tirer sur la dernière latte de sa cigarette :

— Non. Il ne la connaissait pas.

— Charlène ! Mistinguette, entends-je à ma droite.

Mamie Renée vient de débarquer. Je réprime un soupir.

— Salut Mamie, qu'est-ce qu'il y a ?

— Peux-tu aller m'chercher de quoi becter, pour les greffiers, ma belle ?

— Plus tard.

— Et penses à me rendre les ronds.

Quel grippe-sou, celle-là !

— Avec tes trois sous, tu penses que je vais aller m'acheter quoi ? lui fais-je remarquer.

— Puis, sape-toi correctement au lieu d'allumer cet élégant monsieur ! réplique-t-elle index pointé vers moi.

Simon sourit fièrement.

— Vous m'plaisez, vous ! Ne vous en faites pas, je ne suis pas si facile, madame. Ce n'est pas deux jambes à l'air qui finiront en l'air, croyez-moi bien, fanfaronne Simon. Elle va aller de ce pas vous apporter ce que vous désirez.

Elle salue avec un sourire désastreux, des dents manquantes de-ci, de-là.

— N'oublie pas la thune ! s'exclame-t-elle à mon égard.

C'est uniquement parce que c'est une petite vieille qui ne peut pas faire grand-chose que je lui rends service, mais je lui balancerais bien ses courses à la figure en revenant.

Simon se redresse après avoir entendu la porte de Mamie Renée se fermer et se dirige vers la sortie.

— Bon, je rentre, précise-t-il. Et arrête de m'allumer ! Je t'ai déjà dit non.

— Dégage.

— Je plaisante. Puis, je ne veux pas faire de l'ombre à cet enfoiré de James. Vaut mieux que tu restes sur une bonne impression.

— Bizarre... Tu ne m'en as jamais parlé et je ne t'ai jamais vu avec lui depuis deux ans, dis-je en me relevant, le dépassant de quelques centimètres sur les marches.

— Et on s'est vus combien de fois pour que tu puisses tirer de telles conclusions hâtives ? demande-t-il en soulevant ses lunettes afin que je puisse voir ses yeux plissés.

— Sept fois.

— Waouh ! Ne serait-ce pas le chiffre de la bénédiction, ça ? Ne t'ai-je jamais dit que j'étais un dieu ?

— Comme... Hermès, lancé-je en me rappelant mon rêve au retour de Londres, il y a cinq mois en arrière.

— Quoi ? Le dieu des messagers ? s'intéresse-t-il en s'avançant sur l'allée en pavée, direction la sortie. Ce n'est pas celui qui avait plein de nanas ? Il me plaît lui.

Sa voix goguenarde a repris le dessus sur celle plus sérieuse du début de la conversation, comme soulagé par notre discussion.

— Tu sais, j'ai pensé que tu étais venu t'excuser.

— De ?

— De ne m'avoir plus donné de nouvelles jusqu'à ce qu'on se recroise.

— Tu aurais voulu quoi ? Que je te baise, te jette et t'efface de ma vie comme si de rien était ? Ou t'avoir prévenu que j'étais un salaud, ne pas t'avoir touché et m'effacer.

— Il y a d'autres façons de traiter les femmes, Simon, lâché-je en m'arrêtant devant la porte, désormais ouverte.

— Oui... les tenir loin de moi.

Un ange passe.

— Rappelle-toi : on ne se connait pas, répète-t-il en levant son index et me tapote sur le nez.

— Je me tairai, même si je ne compte pas le revoir.

Il sourit.

— Je dois filer. J'ai été ravi de te revoir Charlie, finit-il par ajouter, un bisou sur la joue. Prends soin de toi. Et pense à me garder le Monet en réserve ! conclut-il avec un clin d'œil.

Même si Simon s'affiche souvent pénible avec un caractère d'adolescent, il reste réellement attachant. Un instant d'hésitation et il me prend dans ses bras. Surprise par cet élan de tendresse, je reste droite et ne lui rend pas. Il se recule et je sens ses doigts dessiner une sorte de cercle dans mon cou, là où James a laissé son empreinte. J'attends son commentaire, mais au lieu de ça, il pose une main sur mon visage avec un sourire chaleureux et tourne les talons, sans se retourner.

Dix minutes plus tard, je reçois un message de sa part :

Excuse-moi pour Londres.

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