Sur le chemin du retour

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James habite dans la rue Mont-Cénis au numéro un, dernier étage, face au Sacré-Cœur. Près de huit minutes à pied, en descendant la butte Montmartre pour arriver au métro Anvers, je me suis jurée de ne plus jamais mettre d'échasses de ma vie : mes talons sont en feu et mes orteils torturés par les lanières des chaussures.

Six heures et demie du matin, les relents de pisse, de mecs pas lavés m'ont définitivement réveillée. Assise dans le métro, ma tête se pose contre la vitre et je regarde défiler les souterrains de Paris, la ville gruyère. À travers celle-ci, des têtes cadavériques m'imitent et somnolent, tandis que d'autres sont allongés sur deux sièges et dorment.

Pourquoi suis-je partie ? Par lâcheté ? Par peur de partager un petit déjeuner avec lui ? Pour lui dire quoi ? Sur l'euphorie du moment, c'était bien, mais au lendemain, quoi dire ?

Par peur ? De découvrir la triste réalité ? J'ai vingt et un ans et lui, trente-huit. Quel avenir ? J'ai pris ma décision. Ne pas nous revoir. Profitant de son sommeil lourd et de son visage reposé, j'ai griffonné ce dernier mot d'adieu, drôle et définitif.

S'il connaissait mon caractère indécis et impulsif, il regretterait amèrement sa nuit avec moi. C'est peut-être mieux ainsi, je ne suis pas prête à me lancer dans une nouvelle relation, la rupture avec Bastien m'a soigné de tout amour. Le viol, celui de donner ma confiance à un homme. Pour James, il est mieux qu'il reste sur une idée d'un coup de cœur passager, j'espère ne pas le froisser.

— Vous n'auriez pas une petite pièce ? me demande un vieillard.

Lentement, je sors de ma besace une pièce d'un euro. Sa main n'est pas tendue vers moi, il attend gentiment son aumône :

— Pourquoi êtes-vous triste, mademoiselle ?

Malgré les larmes qui brouillent ma vue, je distingue le mendiant ridé. Il ne me quitte pas des yeux, le visage bienveillant attendant ma réponse.

Je me retourne parcourant mon regard à la recherche d'un jeu dont je suis la cible, mais rien, juste ces quelques personnes léthargiques. Ne sachant quoi répondre, je dis plus à moi qu'à lui :

— Je suis perdue, mon cher monsieur.

Il sourit et pose une main sur le dossier derrière moi pour se soutenir à cause des secousses du métro.

— Il faut savoir se perdre pour y découvrir les plus beaux endroits et y rencontrer les plus belles personnes, me rassure-t-il, doucement.

Il s'en va.

— Attendez monsieur ! Vous oubliez... lui crié-je en me levant.

Je lui tends la monnaie.

— Vous êtes très gentille mademoiselle. Passez une bonne journée.

— Vous aussi, monsieur.

Le métro s'arrête dans un crissement de freins et je tombe sur le siège. Pigalle. J'y étais, il y a quelques heures.

Une horde de jeunes, encore éméchés, entre dans le wagon en plein fous rires. Ils se mettent à danser contre la barre du métro et un couple s'embrasse. Ils puent le bonheur à dix mille kilomètres.

Sur ma place, je m'enfonce et sors mes écouteurs : les premières notes de piano Primavera par Ludovico Einaudi me parviennent aux oreilles. Si seulement je pouvais vivre pleinement comme ces jeunes, sans me poser des milliers de questions. À force de vouloir des principes, je me perds entre le bien et le mal, m'infligeant des limites. Puis, il suffit d'une belle nuit, d'un homme craquant et je les enfreins. Devrais-je suivre mon instinct ou écouter ma raison ?

Lauren me conseillerait de lire à travers les signes du destin. Cette femme qui m'a guidée vers le chemin à prendre. Une route, jusqu'à présent droite, m'a conduite à Simon. Et je le trouve en compagnie de James. Cet inconnu, placé là où je me rends : à la boulangerie, chez Plumeau, au Carmen. Se peut-il qu'on se recroise ? Que lui dirais-je alors ? Le passage devient étroit et se décore de coïncidences dont je pressens quelque chose de louche. Je secoue la tête et hausse les épaules.

Advienne que pourra.

En sortant de la bouche de métro à Place de Clichy, une fine pluie tombe déjà sur la ville et je lève la tête, yeux fermés.

Les infimes gouttes d’eau qui me coulent sur le visage, la connexion entre la nature et moi m’envoient aussi loin que possible, au bord des falaises bretonnes. Et je souris. Je ris sans pouvoir m'arrêter. Pourquoi me torturais-je ainsi ? Pourquoi avoir des regrets sur cette soirée ? Les bonnes histoires ne se refont pas. La nuit était belle, dévastatrice et elliptique. Virulente ardeur d'un homme et de ses gestes délicats. Complice et amante.

Grelottante, je contourne le rond-point de la place et descends la rue de Clichy en dépassant le salon de massages Délices d'Est. Quiconque du quartier sait que la nuit, le salon prend une allure plus érotique et ferme aux premières lueurs. Il n'y a donc personne et je souris en repensant à la conversation avec James « Les strip-teaseuses sont rhabillées. »

La rue de Bruxelles derrière moi, je tourne à gauche. Le claquement de mes talons est l'unique bruit dans la rue Ballu. Le silence règne au milieu de ces immenses immeubles en béton. Les magasins sont fermés et les habitants dorment encore pour un dimanche matin. Paris a des endroits calmes qui peuvent nous surprendre. L'accélération d'une moto trahit mes pensées et la tranquillité revient jusqu'à ce que je me rende compte que je ne suis pas seule. D'autres pas derrière moi m'incitent à me retourner, par intuition.

Personne.

Je dois être fatiguée et ma tête me joue des tours. Tout de même pas rassurée, j'accélère le pas et ouvre enfin la porte d'entrée de mon immeuble en jetant un dernier coup d'œil sur les trottoirs.

Toujours aucune présence.

En entrant dans l'appartement, j'appelle Iban mais je ne reçois aucune réponse. Il doit avoir découché ou, être en after – ce qui serait plus probable.

Des résidus de nourriture d'hier soir jonchent encore la petite table et des verres marqués aux rouges à lèvres et aux doigts gras sont toujours posés sur le bar. Cela m'oblige à m'arrêter pour ranger et passer un coup d'éponge, avant de foncer droit vers ma chambre, au fond du salon, anciennement le fourre-merdier d'Iban.

À peine déshabillée, je m'effondre sous les draps, ne me souvenant plus si je me suis endormie immédiatement ou si le visage de James flottait encore dans mon esprit.

Le réveil me tire en sursaut de mon profond sommeil. Déjà les cours ? Merde ! Il fait une clarté de fin de matinée. Je suis en retard !

La sonnerie continue. Un appel ? J'ai la tête dans le brouillard. Qui est l'emmerdeur qui m'appelle ? J'ouvre un œil et tend mon bras pour attraper mon portable sur la table de chevet. C'est Simon. Je me redresse. Que me veut-il après cinq mois d'absence ? Peut-être le fait de s'être croisé hier soir, il est venu s'excuser.

— Allô ? grogné-je.

— Ding dong ! s'exclame-t-il, joyeux. Il est onze heures. Le soleil est au rendez-vous dans le bassin parisien.

— Va t'faire voir Simon !

— J'aime ton bonjour agréable et rayonnant, ricane-t-il. Je suis là, ouvre-moi... ou descends.

— Pourquoi ?

— Parce que je vais sonner sur tous les noms de ton interphone.

Je secoue la tête et m'étire.

— Attends-moi cinq minutes, je descends, réponds-je en baillant.

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