La rencontre [1/2]

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— Il est bien long lui, m’exaspéré-je en parlant du serveur.

Accoudée au comptoir, je remarque que ma jambe se meut frénétiquement. Je réfléchis à vive allure, essayant d’accoler les morceaux de Simon et de cet homme près de moi. Pourquoi Simon me demande de me taire ? Et si je ne suivais pas ses conseils, casserais-je ma rencontre avec l’homme à ma droite, ce bel inconnu intriguant et séduisant ? Il me poserait des questions sur le lien entre Simon et moi, et s’il apprenait que nous nous sommes embrassés, peut-être cela changerait tout et il n’y aura sûrement aucune possibilité d’une quelconque relation entre lui et moi.

Je ris intérieurement : relation entre lui et moi ! Où vais-je ? Lui et moi ? Un homme de son âge et moi ? Quel avenir ?

L’Anglais me coupe dans mes songes :

— Vous connaissez-vous avec mon ami ?

— Pardon ?

Il a remarqué mon étonnement ! Perdre du temps et trouver une manière de détourner son attention. Ne rien laisser paraître sur mon visage. Je me remémorise les leçons apprises par Lauren sur la séduction : être vague sur ma personnalité. Créer l’ambiguïté pour qu’il ne se doute de rien. Le mystère attire l’homme.

— Connaissez-vous mon ami qui vient de partir ?

— Non, pourquoi dites-vous cela ?

— Votre expression du visage. On aurait dit que vous étiez surprise.

Séduite, je crois que mon cœur loupe un battement.

— Sans blague, vous savez lire le non-verbal ? dis-je entre sarcasme et fascination.

Sans prendre le temps de me répondre, il prend une gorgée de son whisky. Ses yeux attendent, eux, une demande à laquelle je n’ai pas répondu. Cet homme est incroyable, ses émotions, ses questionnements et ses pensées ne traversent que par son regard. Rien ne bouge, rien ne s’exprime autre que par ses yeux.

— J'avais l'impression de le connaître mais celui que je connais est beaucoup plus petit, et, après analyse, il ne lui ressemble pas, en fait, mentis-je, un nœud à l’estomac.

— Bien sûr, répond-t-il avec un sourire railleur.

Je ne sais pas si, à ce moment-là, j’ai envie de me jeter sur sa bouche et l’embrasser, ou de le gifler. Dans les deux cas, c’est un peu extrême. J’opte pour l’imiter d’un rictus. Il se croit malin, alors on va jouer.

— Vous êtes anglais ?

Je ne le quitte pas du regard, toujours dans la même position, sereine.

— Mon accent est si mauvais ?

— À y accrocher mon pardessus, ironisé-je.

Enfin je perçois une expression ! Incrédule, il ne doit pas connaître cette réplique connue de Coluche.

— Non, c'est votre côté très british qui m'a surtout sauté aux yeux.

— Mon côté british ? C'est-à-dire ? Développez, ça m'intéresse.

— Vous êtes bien trop poli.

— Pourquoi ne le serais-je pas ?

— Parce que ce n'est pas comme ça que l'on aborde les gens en France. Un homme m'aurait déjà tutoyée et n'inverserait pas le verbe et le sujet dans une question.

— Alors, dois-je vous féliciter d'avoir dévoilé ma couverture secrète ?

— Vous pouvez juste m'applaudir ou faire une mini-ola, je n'en demanderai pas plus.

Il est bon joueur et j’ai de plus en plus envie de continuer notre conversation.

— Alors, que je devine. De Londres ?

— Exact.

— Et comment ça se fait que vous parliez si bien français ?

— C'est une langue que je maîtrise.

Je réprime un soupir. Un homme mystérieux, peu bavard, c’est attirant mais il me déroute. Est-ce que je l’ennuie ? Je préfère que l'on me dise directement les choses plutôt que de répondre en quelques syllabes, aussi je ne me gêne pas pour le lui faire remarquer.

— Si je vous emmerde dites-le, hein ? Ne croyez pas que vous m'intéressez. C'est juste histoire de tenir la conversation le temps que ce serveur à la con trouve enfin le temps de m'amener ma bouteille, dis-je, blessée.

— J'ai fait mes études à Paris pendant cinq ans.

— Sous Platon ou sous Voltaire ?

Le serveur m’interpelle. Après lui avoir fait remarquer ma longue attente, je propose à mon Anglais de se joindre à nous. Je supplie d’une voix intérieure que l’Univers entier conspire à son approbation. Il accepte et en retour il me porte le seau d’eau.

Arrivés à notre table, Iban pose une main sur le visage saillant du nouvel arrivant. Je pense qu’il a dosé sur l’alcool. Je profite pour les présenter et c’est ainsi que j’apprends qu’il s’appelle James. Un prénom de roi. Charismatique comme James Dean, sexy comme James Bond. Un prénom court à l'instar de ses réponses laconiques. Iban tente une approche et avec beaucoup d’humour, James lui rétorque nous laissant hilares Iban et moi. Je jette un œil à mon coloc’ qui je sais l’a adopté à l’instant.

Dans son élocution formelle, James nous offre de prendre deux bouteilles de champagne, ce qui fait rire Iban. Nous ne sommes pas habitués à tant de politesse. C’est alors que mon colocataire annonce mon prénom et le visage de James s’illumine en me regardant. Heureusement que nous sommes dans la pénombre, il ne remarquera pas mes joues s’empourprer. Afin d’éviter la gêne, je prends alors un mouchoir dans mon sac pour essuyer ses mains pleines d’eau. Les nombreux coups des danseurs sur la piste l’ont fait jouer l’équilibriste et le seau à bouteilles n’a pas apprécié.

Un contact se créé lorsque nos deux mains se touchent, sa peau douce et froide m’adoucit.

— Charlie, dit-il en répétant mon prénom.

Je souris à l’entendre de sa bouche. Son léger accent qui a caressé sa langue, comme s’il m’avait embrassé sensuellement.

— Enchanté, Charlie.

— Enchantée, James.

Deux bouteilles de champagne s'ajoutent donc à la table et James fait la rencontre de Toni et Clara, puis de Mathieu et Charles. Il a l’œil vif, observateur, et il est particulièrement courtois. Son regard fuyant Chez Plumeau, se retrouve ce soir à me soutenir, inébranlable et prononcé. Rien ne perturbe sa contemplation. Si je ne pose pas de questions, il ne lance pas de conversation. Pourtant, il ne me rend pas mal à l’aise, au contraire mon corps est parcouru de frissons d’excitation. Il n’y a qu’à le regarder. Il a un tel charme qu'il envahit à lui seul notre cercle par son aura séductrice. Sans parler, sans gesticuler. Et il ne s’en cache pas, parler de lui ne l’enchante guère, il privilégie l’action. A cette unique parole, un courant électrique à traverser le long de ma colonne vertébrale.

— Vous faites quoi dans la vie ? me demande-t-il.

Enfin, je pique sa curiosité.

— Je suis étudiante en dernière année de Licence, dis-je fièrement.

— Ah bon ? répond-il, surpris.

Soudain, ses yeux s’éteignent de luminosité et il fronce les sourcils. Comme s’il y’a eu un recul vis-à-vis de ma situation professionnelle. Suis-je trop jeune pour lui ? Préfère-t-il une femme indépendante financièrement ? Une travailleuse au lieu d’une étudiante ? Je sens mes mains devenir moites, de peur qu’il se retire et parte.

— Qu'est-ce que c'est que ce froncement de sourcils ?

— Est-ce qu'on peut réagir de façon tout à fait normale sans avoir à se justifier ?

Je rebondis sans laisser voir mon soulagement à sa réplique.

— C'est vous qui avez commencé, je vous signale.

— Vous marquez un point.

Je trempe à nouveau mes lèvres dans ma flûte et y passe ma langue. Je ne cherchais pas à l’inviter à quoique ce soit, mais lorsqu’on veut séduire, apparemment l’inconscient prend parfois le contrôle de nos actes. Et son regard posé le temps d'une seconde sur ma bouche me dévoile son attraction réciproque.

Puis, Fabien Galanvier – Gueule en biais - l’amant d’Iban brise le charme. Ma face séductrice s’efface pour laisser place à mon caractère impulsive et cynique. Surtout après avoir entendu l’une de ses blagues pompeuses et ridicules. Je ne comprendrai jamais ce que lui trouve Iban ! Plus lourd que ce mec, tu meurs !

Soudain, le tube Party Rock Anthem de LMFAO enflamme la piste et je me lève surexcitée pour aller danser en insistant que James nous rejoigne.

Au milieu de la foule, nous hurlons, dansons, tourbillonnons d’extase, de joie et partageons notre empreinte juvénile avec tous les autres clubbers. Entraînés dans la chorégraphie du clip, nous rions en voyant que Toni ne suit pas du tout et que Charles a glissé sur une flaque au sol. Nous admirons en ne cessant de se mouvoir, les danseurs de hip-hop au centre d’un cercle que les gens avaient instinctivement créé pour leur laisser la place. Sur les épaules de Mathieu, je crie ma joie de vivre, je relâche la pression, heureuse et reconnaissante envers la vie.

C’est à ce moment-là que je cherche du regard James et le trouve appuyé contre un mur, en retrait. Il semble dégagé un mystère autour de lui, une attraction curieuse. Il est en perpétuel analyse et je souris à ce que je m’apprête à faire.

Je donne une petite tape sur la tête de Mathieu pour qu’il me repose et accours vers James en lui prenant le bras. Réticent, il recale mon invitation poliment et je le tire, euphorique jusque sur la piste, ne lui laissant que peu de choix. En rejoignant le groupe, je me positionne dos à son torse et danse sans trop le coller, je ne veux pas qu’il pense que je l’invite à me toucher ou à aller plus loin. Puis, je me retourne et le vois parcourir des yeux la piste. Et ça me rassure de ne pas avoir croisé un regard pervers me déshabillant de la tête aux pieds. Je souris et m’écarte pour danser avec Iban. Celui-ci attrape James par le cou, et le reste de l’équipe l’imite, sautillant, hurlant les paroles, je ferme les yeux et me laisse emporter par cette transe éphémère.

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