Sur Regent Street

9 minutes de lecture

Les mois ont défilé sous une brume constante, à l'aspect d'inachevé. Je m'enfonce dans les innombrables interprétations des livres dont je m'imprègne à la bibliothèque, durant ma seconde année de Licence. Je me renferme de plus en plus sur moi. Comme si je trouvais réconfort sur chacune des pages qui me rapproche un maximum de Lauren. Elle me manque ! Et ses e-mails pour me guider vers mon avenir ont disparu à jamais. Le seul lien qui m'unit à elle n'est autre que Simon. Parfois, nous nous écrivons, rarement, mais cela arrive. Il est passé une fois à l'Atelier Drouot en décembre et s'est présenté à Victor.

Quant à ma relation avec Bastien, elle se désintègre. Nous nous voyons peu. Sûrement de ma faute, j'ai le nez dans mes cours et mes recherches personnelles. Lorsqu'on est ensemble, on s'engueule. Il me reproche de ne plus faire attention à lui, il dit de ne rien comprendre à ce que je vis.

Dans l'immeuble, en mars 2011, M. Lefebvre décède d'une crise cardiaque et en avril, les flics ont débarqué pour déloger les Ndiaye. Woodstock, lui, a emménagé en face de chez Sana.

En mai, j'ai enfin fait la connaissance de la charmante brune du salon de massages chinois, secrètement transformé en bordel « nextdoor ». Après des mois à se croiser et se dire bonjour pudiquement, elle m'a demandée une cigarette. Elle venait de Pologne, Kasia Dabrowska. Juste un échange, des lèvres étirées à mon encontre et un aurevoir avec son accent sensuel. Une personne sort de votre vie et une autre y entre. Ainsi va l'existence.

7 mai 2011

Enfin, après moins d'un an, je décide de remonter à Londres, mais cette fois-ci, pour voir Simon. J'ai besoin de rattacher ce fil transparent entre moi et la Smith Art Gallery, me rattacher au souvenir de Lauren. Traverser sous la manche à m'en faire mal aux tympans. Voir défiler les paysages du Nord qui me rappellent les décors celtes de la Bretagne. Alors que je m'attends à regagner mon hôtel, seule, je remarque la présence de Simon un journal à la main, assis sur un siège de la gare, une cheville posée sur son genou opposé. Il n'y a pas de doute, il est détendu.

Un beau châssis passe tout près de lui et bien qu'il soit derrière le journal, il arrive tout de même à pousser le bout de papier pour la reluquer. Simon Williams est réellement un coureur de jupons. Je l'observe un temps, un rire intérieur.

Dès lors que je m'avance avec ma valise à roulettes, il se lève d'un bond. Il n'est pas en costume aujourd'hui. Un pantalon chino beige retroussé, des chaussures de ville en velours d'un beige foncé et une chemise en lin bleu Jeans dessous un gilet en maille gris. Son cou protégé par une écharpe légère d'un même ton que son pantalon. Ce gaillard solide et sûr de lui ne passe pas inaperçu. Ce séducteur-né fait son petit effet rien qu'à sa silhouette imposante. Un peu trop rentre-dedans à mon goût, mais extrêmement drôle dans son attitude quand on le connaît. Il m'embrasse sur la joue :

— On y va, la môme ?

— Oui.

Il me jette un coup d'œil espiègle, en prenant ma valise.

— Bon voyage ?

— Ça va, juste quelques marmots qui braillaient.

Nous sortons de la gare St Pancras International. Le temps est mitigé et j'ai peur de me prendre une rincée. Mon ciré jaune, utile durant les longues journées de pluie bretonne, est dans mon bagage. Je n'ai pas envie de me ridiculiser devant Simon.

Il hèle un taxi qui nous amène à mon hôtel. Le temps de m'enregistrer à l'accueil, monter ma valise et redescendre, le ciel s'est déjà un peu assombri.

— On va boire un verre ?

J'accepte, volontiers. Je souhaite marcher pour découvrir les rues londoniennes et lui demande des nouvelles de la Smith Art Gallery. « Tout roule », voilà bien la seule réponse à laquelle j'ai eu droit. Je le sens distant, moins dragueur, moins collant mais plutôt à s'intéresser à moi d'une autre façon. Il m'interroge sur mes études, les cours que j'ai eus par Lauren et la formation de restauratrice récente avec Maria puis Victor. À cause de lui, je ne fais que jacasser sans prendre le temps d'admirer la ville. Je lui parle de Iban, mon meilleur ami, mon colocataire, mon bourrin d'homo, et de Bastien. Malheureusement, je me rends compte que ces derniers temps, il y avait bien plus de points négatifs que positifs à raconter.

Mon portable vibre.

— Excuse-moi.

Un message de Camille. Tiens, c'est bizarre. Qu'est-ce qu'elle me veut depuis tant de mois ?

— Je suis désolée de t'écrire uniquement pour ça, je viens de passer au Starbucks près de chez moi et je suis tombée sur Selena et Bastien...très proches.

Mon cœur oublie un battement lorsque je reçois une photo de mon petit ami avec son ex, assis face à face, la photo un peu floue ne me permet pas de détailler, mais le peu d'informations m'indique que Bastien est en tête à tête avec son ancienne copine derrière mon dos. Et moi, que fais-je à l'heure actuelle à Londres avec un homme plus âgé que moi ?

— Qu'est-ce qu'il y a ? T'es livide. Tout va bien ? me demande Simon en me sortant de mes songes.

Je le regarde. Il s'est penché sur moi, inquiet. Comment Bastien peut-il me tromper avec son ex ? Certes, je l'avais oublié ces derniers temps. Mais est-ce une raison pour sauter sur la première pétasse qui lui court après ? Je suis abasourdie. Non, je ne vais pas commencer à pleurer, j'aurais l'air de quoi devant Simon ? Une sale gamine qui tente de jouer les adultes. Je m'efforce de sourire.

— Tout va bien. Alors, on va où ?

— Dans un pub. Tu aimes le blues ?

Nous nous arrêtons devant le Ain't Nothin' but blues, non loin de Regent Street. Les notes de guitare font vibrer les vitrines du pub et une voix féminine chante une ode à l'amour, à la liberté et à l'humanité. Cassante et sans une fausse note, elle nous emporte dans son monde. Lorsqu'on entre, Simon me tient fermement par le bras pour ne pas me quitter. Se frayer un chemin dans ce genre d'endroit est un art à apprendre. Mais Simon a l'air d'être connu comme le loup blanc. Les clients lui serrent la main, d'autres le laissent passer sans broncher. Le barman nous dépose deux pintes de bière. Nous sommes en plein happy-hour. Nous bavardons et il me raconte quelques détails graveleux de son passé, des femmes qu'il a l'habitude de ramener chez lui et les péripéties qui vont avec. Il me fait rire. Je jette un œil discret à sa main et constate qu'il n'a plus son alliance. Je lui en fais part. Il me raconte qu'il avait été marié avec une certaine Daliane, mannequin suédoise, durant quelques années. Elle était partie avec son photographe cinq mois plus tôt. Je n'arrive pas à décrire s'il l'avait en travers de la gorge ou s'il était soulagé. Je ne me suis pas étendue sur la question, préférant le laisser avec son divorce.

Les musiciens, désormais enivrés par l'euphorie du rock, chantent, sautent et mettent l'ambiance. J'applaudis, je siffle et je bois. Simon pose sa main sur ma cuisse et me demande à l'oreille si j'aimerais manger quelque chose, ailleurs. Je lui propose de continuer ici.

La soirée se poursuit sur le même ton. Nos verres se remplissent au fur et à mesure que la nuit avance, alors que rire en sa compagnie m'est d'une facilité telle, que je finis par en avoir mal à la mâchoire. J'espère ne pas être niaise, mais il a l'air de passer un bon moment aussi.

Quelques regards dévient sur nous, un homme noir et une femme blanche ? Un homme mature avec une jeune femme ? Je ne sais pas ce qu'ils avaient à nous fixer. L'alcool à son paroxysme, j'avais accroché une dame dont je n'avais pas aimé la moue de dégoût en nous observant. Simon m'a prise par la taille pour me sortir dans la rue.

— On s'en va.

— Mais on s'amusait bien, me plaigné-je.

Son bras ne s'était pas enlevé de ma taille.

— Oui, on s'amusait bien.

Mes mains sur son torse, je peux sentir chaque battement de son cœur. Son regard s'ancre dans le mien. La peur se lit dans ses yeux. Puis, brusquement, il me prend par la main et m'écarte de la porte d'entrée du pub.

— Attends, où m'emmènes-tu ?

Il marche jusqu'à l'angle d'une ruelle et me plaque contre le mur. Il me contemple. Ma chemise est entrouverte, laissant apparaître le haut de ma poitrine gonflée de désir. Je me rends compte, mais là face à moi, Simon Williams est un homme accompli. Je me sens séduisante et j'ai envie d'aller plus loin. J'ai bien compris que l'amour et l'érotisme peuvent être dissociés. Ce soir, il n'y a pas d'amour mais une simple envie d'enfreindre les règles. Je n'aime pas les manières des hommes, encore moins celles de Simon. Pourtant, je veux braver les limites de la bienséance. J'ai besoin d'un élan instinctif, sans écouter ma raison. A l'heure qu'il est Bastien s'envoie sûrement en l'air avec son ex. Lauren n'est plus. Ma vie est un vide total.

Ma jambe dénudée vient caresser la sienne et remonte jusqu'à ce que je puisse sentir son appétit sexuel dans son pantalon. Simon n'est pas du genre patient. Il m'attrape le visage en coupe et m'embrasse. Nos respirations se confondent et je n'ai qu'une envie, c'est qu'il me prenne ici et maintenant. Tant pis pour la pudeur ! De toute façon, ma vue est trouble à cause de l'alcool. Sa main passe sous ma jupe et atteint mes fesses simplement vêtues d'un boxer en dentelle. De l'autre, ses doigts déboutonnent ce qui semble le gêner pour emprisonner un de mes seins. Sa bouche embrasse mon cou. Je suis à sa merci et je lui caresse l'arrière de son crâne. Ses cheveux râpent contre mes paumes et j'y enfonce mes ongles. Sauvage, c'est ce que je veux. Que ce soit sauvage.

Soudain, il recule. Je suis débraillée, excitée et très alcoolisée. Je reviens vers lui et il me bloque les poignets.

— Non.

Je fronce les sourcils.

— Qu'est-ce qu'il y a ? m'inquiété-je, le souffle encore un peu court.

— Ce n'est pas une bonne idée.

Il est consterné. Il enfonce son pouce et son index sur ses paupières.

— Tu veux qu'on monte à mon hôtel ? lui proposé-je, courageuse.

— Non. On s'arrête là.

Je passe mes doigts sur mes lèvres comme dépitée.

— Très bien. Mais je ne vois pas en quoi c'est mal.

— Tu as un petit ami.

— Qui doit sûrement me tromper à cet instant même, tu vois ?

— C'est pour cette raison là que tu fais ça ?

Je m'avance vers lui et lui caresse le torse jusqu'aux épaules.

— Non. Tu me plais.

— C'n'est pas possible nous deux.

— Pourquoi ! crié-je sans m'y attendre. Hein ? Tu es trop vieux ? Ou parce que tu te dégonfles ?

— Parce que je ne suis pas celui que tu cherches ! Je ne serai jamais Lauren ! Tu comprends ça ? Ça ne t'apportera rien de coucher avec moi. Demain, je te lâcherai comme toutes les autres, sans laisser de nouvelles. Je ne peux pas tenir de promesses. Je suis un salaud et je ne veux pas l'être avec toi, tu saisis là ?

Je me sens nulle. Horriblement gênée. Je ramasse mon sac glissé de mon épaule au cours de notre étreinte.

— Je vais rentrer.

— Je te raccompagne, lâche-t-il en s'adoucissant.

Le chemin est interminable et le silence en dit long sur notre culpabilité. Arrivée dans ma chambre, je fonds en larmes, de honte. Que croyais-je ? Qu'un homme de cette envergure allait s'intéresser à moi ? Je ne suis qu'une gamine sans expérience. Et demain matin, la réalité me frappera en plein visage. Bastien. Oh mon Dieu ! Qu'avons-nous fait ?

Annotations

Vous aimez lire Laurie P ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0