Opus medico-chymicum (bis)

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« Hermès - Mercure chez les Romains - était le messager des dieux. Dieu des voleurs aussi, il vola le troupeau d'Apollon et séduisait, par sa flûte de Pan d'un lyrisme parfait. Il fut l'amant d'Aphrodite - Vénus - avec qui il eut un enfant Eros - Hermaphrodite. Il courut aux Naïades et aux Nymphes. Il eut beaucoup de maîtresses et d'amours inachevés... »

Cette phrase apprise dans un livre de mythologie grecque m'est revenue en mémoire. L'image de Simon flotte encore dans mon esprit, entre mysticisme et réalisme.

Le train entre en gare du Nord. Paris dévoile son second visage, pauvre, peuplée de pickpockets. Les « no go-zones » relatés par les touristes, sont en réalité les coins les plus authentiques de la capitale. Je ne suis pas de ces personnes qui idéalisent Paris. Dans toutes belles villes, il y a de la pauvreté, de la délinquance et des mafias.

Tard dans la soirée, me voilà à nouveau chez moi, à attendre que Bastien se pointe. Il me l'a annoncé sur le chemin du retour.

Anxieuse, je démarre un rangement phénoménal. D'abord ma valise, puis celui de l'appartement. Je nettoie la vaisselle qu'Iban a laissé croupir dans l'évier. Où est-il encore fourré celui-là ?

L'interphone m'alerte que Ferroni est là. D'une voix incertaine, je réponds, puis je déclenche l'ouverture.

Devant la porte, je le reçois avec un visage fermé. Je devine, à son regard fuyant, qu'on a atteint aujourd'hui le dernier jour de notre histoire. Il a fallu qu'il me demande si ça allait pour que je parte au quart de tour. Je lui hurle dessus en lui confiant que je savais pour lui et Selena. De là, les yeux écarquillés, il me jure qu'il ne s'est rien passé, les mains jointes, comme pour me prier. Il me confesse qu'elle se trouvait là par hasard, devant le Starbucks alors qu'il ne l'avait même pas invitée.

Je ne crois pas au hasard.

Nous allumons chacun une cigarette. Il se tient un instant contre le bar, nerveux, puis entame les cent pas à mesure que fusent les reproches. On ne s'entend plus. On ne se comprend plus. Nous sommes à cent lieues de ce petit trottoir où nous nous étions embrassés. Mais il reste Bastien Ferroni. Mon premier amour, l'homme qui a su calmer mes angoisses lorsque ça n'allait pas. Puisque nous en sommes aux confessions, je lui avoue avoir embrassé un homme à Londres. L'effet est immédiat. Il frappe d'une main tendue dans la lampe posée sur le buffet. Elle explose contre le sol. Il me hurle qu'il ne veut plus me voir et que s'en est fini entre lui et moi. Que je le déçois. Que j'ai changé. Que la Charlie qu'il avait connu n'existait plus depuis que j'étais devenue obsédée par toute cette envie d'être la meilleure en tout. Cette déclaration me tord l'estomac et, furieuse, je l'accuse de m'avoir embobinée depuis le début avec son ex. Que pour moi, il continuait son histoire avec elle dans mon dos. Réplique qu'il laisse en suspens. Il me lance un dernier regard de fureur avant de claquer la porte en partant, me laissant seule, à la fois soulagée et pleine de remords face aux cendres de nos cigarettes gisant partout sur le sol, seules traces de la tempête qui venait de passer au 5ème étage du 32, rue Ballu.

Les étapes de nos vies, on ne les voit pas se dégrader. S'améliorer, oui. Jamais se détériorer. En peu de temps, ce qui me semblait justice et protection, avec comme proches Lauren et Bastien, avaient disparu. Des amitiés perdurent. D'autres périssent à jamais. Pour un mauvais choix. Un malentendu. Un autre chemin. J'atteins ma dernière année d'études et tout ce que j'avais construit en deux ans, n'est plus. Celui qui me reste et qui me tend encore la main n'est autre que mon fidèle colocataire. Si lui je le perdais, je pense ne jamais m'en remettre. Toni et Clara se font plus rares, mais elles sont là. Et bien que le retour de Camille dans ma vie soit étonnant, cette nouvelle relation entre elle et moi se détermine presque avec pudeur. A tâtons, nous recherchons cette amitié qui nous avait unie par les souvenirs de deux anciennes belles sœurs, désormais célibataires. Une amitié triste et travaillée, en vérité. En quête de s'accrocher au passé, sans pour autant garantir un futur entre nous. L'espoir.

Une année débute bientôt et je ne sais pas si j'ai hâte ou si j'appréhende. La fin d'une ère dans un an, ou le début ?

Dans une glissade maladroite, je rejoins le bureau de Mme Nathalie Cigliano en ce samedi matin du mois de juillet 2011.

— Bonjour professeure ! Les rumeurs sont vraies ? me précipité-je à l'interroger.

— De quoi me parlez-vous Mademoiselle Mahé ? demande-t-elle d'un ton faussement étonné.

— Cette option de symbologie en art ? dis-je, surexcitée.

Je ne tiens plus en place. Mon sourire est à deux doigts de décrocher ma mâchoire. Une option en symbologie ! Je crois rêver ! L'apprentissage de Lauren m'a bien souligné le plus important en symbologie : les interprétations sont multiples et l'unique vérité n'existe pas. Bien que mon excitation soit incontrôlable, j'espère sincèrement que le professeur sera pédagogue et non récalcitrant. Cette nouvelle matière et cet enseignant ont intérêt à faire leur preuve. Sur l'instant, cependant, je suis impatiente de commencer mes cours. J'ai réussi ma deuxième année avec brio et j'ai pris la décision de suivre le parcours d'histoire de l'art. Moi, si certaine de faire carrière dans l'archéologie ! Il ne m'aura suffi que de croiser la route de Lauren pour emprunter un tout autre chemin. Une voie, à mes yeux, sans limite.

— Ah oui, oui. C'est vrai, reprend Mme Cigliano. D'ailleurs, Mlle Mahé ? Mme la Présidente aimerait vous recevoir.

— Pourquoi, moi ?

— Vous n'avez reçu aucun appel ?

— Non.

— Je l'ai su ce matin. Elle m'a demandée si vous pouviez monter la voir d'urgence dans son bureau. C'est à propos de vos résultats.

— D'accord, merci Madame Cigliano.

Drôle de façon de procéder.

Je ne suis allée qu'une fois chez Mme Delacour, l'année dernière après mon refus de ne pas sauter ma Licence 2. Aujourd'hui, je suis fière de moi, d'avoir pris cette décision. Autant dire que je n'aurais jamais connu ce cours de symbologie sinon. Les signes du destin ?

Je me perds deux ou trois fois avant d'arriver devant son bureau. La porte est entrouverte. Je toque puis la pousse.

La musique de Bach, la suite pour Orchestre n°3 Sarabande, sur un vieux vinyle apaise mon stress. Ma main lâche la poignée et je marche d'un pas réticent. Je me retourne pour regarder s'il y a quelqu'un, puis appelle :

— Madame la Présidente ?

Personne ne répond. Je fais le tour du bureau, très austère. Ce qui reflète assez la personnalité de notre directrice. Les couleurs sont lourdes, sombres et les rideaux laissent filtrer peu de clarté. De la moquette recouvre le sol et d'innombrables étagères de livres décorent les murs. Seulement une grande illustration m'interpelle : l'Opus Medico-Chymicum de l'auteur alchimique, Johann Daniel Mylius. Très ésotérique.

L'alchimiste en question était un adepte de la chimie et de la magie. L'alchimie est une science secrète du Moyen-Age. Que ce soit par le savoir, la magie ou la révélation divine. L'alchimie entre deux êtres existe-t-elle ? Le Yin et le Yang font-ils partie de cette étrange science ? Tant de mystères rien qu'en analysant cette œuvre. Le titre Opus Medico-Chmycum est une longue suite de chiffres à décrypter. 2366 154532 36215361 = 64 n’est autre que le code chez les alchimistes. Rien d’anormal jusque-là.

Je me remémore ce que j’avais appris sur le soixante-quatre. Dans la culture égyptienne, il est le nombre de fragments dans l'œil d'Horus, pour certains l'œil oudjat du dieu égyptien est un symbole protecteur, pour d'autres il renferme un secret satanique. Et dans la culture chinoise, le chiffre de l'hexagramme – 六十四卦– est le symbole constitué de trait Yin et de trait Yang utilisé dans le Yi Jing, un livre de divination antique et connue mondialement. Mais aussi, c'est également le nombre de cases dans un échiquier, et même celui du modèle de codons hexagrammes de l'ADN pour synthétiser un acide aminé. Le multiple du numéro huit, symbolique du caducée d'Hermès. Tourné sur le côté, le caducée représente l'infini : ∞.

Dans un autre cadre près de l’œuvre de Mylius, le même symbole du serpent qui se mord la queue, déjà vu sur la porte d'entrée de l'Atelier d'Or chez Maria. Il symbolise la continuité et l'immortalité, ainsi que le précepte alchimique du « tout est un ». L’infini.

Étrange ce symbole récurrent dans ma vie ?

Je fronce les sourcils. Quelle est cette drôle de coïncidence ? Toujours ces signes hasardeux, comme un fil destiné à un même sujet : le destin, l’ouroboros, Hermès, dieu des messagers... Ce n'est pas la première fois que je pense à lui, que je l'interprète dans différentes situations ou dans diverses suggestions dans ma vie. Et la Présidente, pourquoi a-t-elle ceci dans son bureau ?

La porte claque. Je sursaute et me retourne.

— Bonjour Mademoiselle Mahé.

— Bonjour. Excusez-moi, la porte était ouverte, je vous ai appelée mais...

— Vous vous intéressez à cette œuvre, je vois, observe-t-elle en faisant le tour de son bureau.

— Oui, simple curiosité, dis-je, mal à l'aise.

En guise de réponse, elle me sourit.

— Asseyez-vous.

Elle arrête le vinyle qui s'était mis à grésiller. Si éprise par le tableau, je ne m'en étais même pas rendue compte.

Je prends place sur le fauteuil vaquant, face à elle.

— Je voulais vous voir pour vous tenir au courant de la nouvelle option que j'ai adoptée cette année pour notre Université.

— Oui j'en ai entendu parler.

— J'aimerais que vous vous y inscriviez. Vous pourriez apporter votre pâte.

— C'est-à-dire?

— Vous êtes l'une de nos plus brillantes étudiantes dans votre cursus, et cela ne peut vous apporter que des connaissances supplémentaires dans la branche que vous désirez suivre, non?

— Et bien, je suis très honorée et j'allais évidemment m'inscrire.

— Vous m'en voyez ravie. L'enseignant est réputé dans son domaine, vous allez pouvoir apprendre davantage, faites-moi confiance.

— Je suis impatiente. Comment s'appelle ce monsieur ?

— Nous ne divulguons pas les noms avant la rentrée, vous le savez. Certains professeurs ne veulent pas que les élèves se renseignent sur eux.

— D'accord, réponds-je, déçue. Mais, pardonnez-moi cette question. Pourquoi me convoquer, moi ? D'autres étudiants sont intéressés, je suppose.

Elle me fixe longuement, reprend son souffle et dit :

— Je suis persuadée que la symbologie vous sera d'une grande aide dans votre cursus. Vous êtes brillante. Et il y a des codes dans la vie qu'il vaut mieux savoir lire.

J'allais répondre lorsqu'elle se lève pour me signaler que l'entrevue est finie. Avant de la suivre jusqu'à la sortie, je jette un dernier coup d'œil sur sa fiche postée sur son bureau. Un emploi du temps sur lequel est inscrit option de symbologie en art suivi en-dessous d'un nom anglo-saxon : Taylor.

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