La lettre au citron

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D'ordinaire prompte à jacasser à tort et à travers, Camille s'est dorénavant fermée à tout échange avec moi. L'entente entre nous, dans les cours et en-dehors de l'enceinte universitaire, est devenue froide, distante et pleine de reproches. Bien que j'aie tenté à plusieurs reprises de lui expliquer que je ne la jugeais pas et que je n'en parlerai jamais, elle a fait la sourde-oreille. Désormais, elle apprécie la compagnie de Constance Malagret, qui ne la quitte plus d'une semelle, engluées au point de manger l'une à côté de l'autre. Je la suspecte même de faire semblant de s'esclaffer lorsque je m'approche un peu trop. Au début, la culpabilité me rongeait, puis la déception l'a remplacé avant que je ne ressente plus que de la colère. C'est elle qui a fauté et c'est moi qu'elle ose mettre à l'écart ?

Je ne suis pas la seule à qui elle n'adresse plus la parole, elle a aussi rompu avec Gaël. Ce dernier nous avoua, à Bastien et moi, les derniers mois où sa paranoïa s'est manifestée. Des coups de fil tardifs, jusqu'à le fliquer en le suivant n'importe où dans ses déplacements, l'incriminant dans son appétit féroce envers la gent féminine. L'hôpital qui se fout de la charité, non ? Il nia et je me suis tue.

Les seuls qui ont l'air heureux de cette nouvelle sont Bastien et Iban. Tous deux répètent qu'elle avait toujours été folle, à chercher sans arrêt les moindres problèmes. Bastien a mis en garde son frère, apparemment sans succès. Aujourd'hui, ce dernier a le cœur brisé. Bien sûr, je n'ai rien avoué. D'une part, parce que je ne consens pas me mêler de querelles amoureuses qui ne me concernent pas, d'autre part, cela anéantirait Gaël.

Quant à Mollet, il m'avait intercepté à la fin de l'un de ses cours, afin de me remercier à nouveau pour ma discrétion et pour me prévenir de la fin de sa relation immorale avec son étudiante. C'était irréaliste d'avoir cette conversation inconvenante avec mon professeur. Par la suite, j'ai su qu'il était en instance de divorce. La tornade Camille avait sévi. Elle avait fait trois victimes uniquement pour une histoire de note. Quel imbécile ! Il pensait que sa femme allait pardonner ceci ? Ça aurait pu faire un scandale, il a eu de la chance.

Néanmoins, le vide de sa présence m'a aidé à plonger dans mes révisions et à la seule chose qui puisse me consoler : la symbologie, comme si elle laissait ma force interne rejaillir pour me permettre de fuir la réalité.

J'ai bûché sur la symbolique religieuse avec l'Ancien et le Nouveau testament, le Coran et les sagesses philosophiques des quatre coins du monde. Mon calepin près de moi, mon stylo parcourait des centaines de pages, je remarquais que plus j'étais passionnée, mieux ma mémoire visuelle s'activait.

Quelques semaines plus tard, la Présidente m'a convoquée pour me proposer de sauter une classe et d'entrer directement en Licence 3 grâce à mes crédits des partiels bien plus élevés que d'ordinaire. Elle m'a même identifié comme surdouée. Bien que ses paroles ne me tarissaient pas d'éloges, j'ai refusée l'offre de façon catégorique, n'ayant aucunement envie de sauter les étapes ou encore d'attirer l'attention sur moi. L'idée de donner une nouvelle raison à mes camarades de me montrer du doigt et chuchoter des insanités à mon encontre revenait à leur tendre le bâton pour me faire battre.

Dans la foulée, pas un jour ne passait sans que Lauren ne m'écrive. Comme si elle courait sans cesse pour rattraper le temps. Toutefois, elle s'absentait plus souvent dans la capitale française. À la dernière entrevue, elle semblait faible, très faible. Des cernes se dessinaient sous ses yeux et son téléphone n'arrêtait pas de sonner sans qu'elle ne réponde. Elle s'obstinait à ancrer l'intégralité de ses connaissances dans mon crâne, m'obligeait à utiliser mon cerveau pour l'apprentissage plutôt que pour réfléchir à la raison de son attitude étrange.

En juin, elle m'annonça un aveu à laquelle je ne m'attendais pas. La leçon avait été bien plus impressionnante que n'importe quelle autre, car elle me concernait. En contenant un point commun qu'apparemment son époux et moi avions.

Je ne l'avais jamais rencontré. Tant son nom que son visage m'étaient inconnus et je n'osais lui demander ces renseignements. Cela me paraissait déplacé. J'imaginais Lauren avec un vieil homme de quinze ans de plus qu'elle, le teint blafard mais élégant, les cheveux grisonnants et cultivé. C'est peut-être lui qui lui avait tout appris, qui sait ? Et j'étais très fière d'avoir une similitude avec un genre de Robert Langdon, un professeur en symbologie fictif des livres de Dan Brown, mais en gentleman Anglais. Je ne sais pas si un jour j'aurais l'honneur de faire sa connaissance, mais il m'intriguait au plus haut point depuis cette confidence.

Puis, les e-mails de la galeriste se sont raréfiés et lorsque je tentais d'appeler sur son portable, je me retrouvais relayée sur messagerie.

Enfin, durant le mois de juillet, j'ai reçu une lettre de sa part, une écriture fine et penchée :


Chère amie,

Dans le Yin et le Yang, tu es le Yang. La foudre venue du ciel de ton caractère dévastateur, impossible à maîtriser. Tu es comme le feu que les hommes vénéreront comme une ancienne divinité, en quête de découverte. Un volcan terrifiant que nul ne saura asservir, à moins qu'il décide de s'endormir. Symboliquement, le feu rattaché au Soleil, peut-être tout-puissant, céleste, idolâtré et destructeur, mais si beau à regarder. Pourtant, le feu dans sa sagesse est purifiant, régénérateur, symbolisant la maison, le foyer et l'amour divin.

Tu sais ce que tu vaux désormais et je ne veux pas que tu perdes un jour espoir de voir tes rêves aboutir. Ouvre-toi au monde et refoules tes peurs, laisse la vie faire son œuvre. Tu comprendras plus tard. Tu es sans pareille, telle la Vénus de Médicis, fugitive mais surprise lorsqu'elle émerge des flots. Festina lente.

Ta tendre admiratrice,

Lauren Smith

Ses mots me laissent perplexe. Pourquoi tant d'admiration ? Tant de compliments ? Et cette Vénus, encore, commence sérieusement à m'agacer. Lorsque mon père me le soufflait, je ressentais de la fierté. Me retrouver comparée à Vénus flattait mon ego. Mais depuis le procès, mon physique continue de me poursuivre, alors que je voudrais être tout sauf une jolie petite poupée. N'ai-je pas autre chose d'attrayant ? Ne suis-je pas plus qu'une esthétique agréable ? Une personne à part entière ?

Et puis cette comparaison avec le feu... Je suis loin d'être une âme forte ! Je le parais peut-être mais la vérité est différente. Lauren me connait-elle vraiment ? Elle dépeint un tableau de moi que je ne reconnais pas. Je ne représente ni la sagesse, ni l'amour divin. Loin de là ! Mon caractère semble bien trempé mais mon cœur est bien atteignable, et comme tout un chacun, j'ai peur de le retrouver démoli, peur de sa faiblesse.

Mais encore. J'approche la lettre pour la sentir. Mes sourcils se sont froncés d'incompréhension : elle sent étrangement le citron.

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