Chapitre 14

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Aymeric s’éveilla tôt ce dimanche matin. Un rayon de soleil s’était glissé par l’étroite meurtrière de la garnison située au-dessus de sa couche et lui chatouillait avec insistance le coin de l’oeil. Agacé, il allait se tourner lorsqu’il se rappela juste à temps de la présence d’Alis dans son dos. Il arrêta net son mouvement et un sourire d’aise se dessina sur sa bouche. Il sentait son souffle régulier sur sa nuque et remarqua sa main qui, dans son sommeil, avait glissé sur son ventre. Il savoura avec bonheur cet instant d’intimité tout en réfléchissant au moyen de le prolonger. Durant son séjour à Millau, il n’avait pas arrêté de penser à elle, revoyant sans cesse ses yeux envoûtants dans la lueur mouvante des torches.

Aymeric ne put se contenir plus longtemps et se tourna avec précaution. Appuyé sur un coude, il la regarda dormir, admirant ce visage qu’il trouvait si parfait. Le pli soucieux de son front avait disparu et la moue chagrine de sa bouche avait cédé la place à une ébauche de sourire. Ses longs cils bruns reposaient au bord de ses pommettes, renforçant cette impression de sérénité et d’abandon.

Jamais il n’avait éprouvé une telle attirance pour une femme. Sa beauté le désarmait ; ses dérobades l’attisaient ; son désespoir l’émouvait et même son mauvais caractère l’amusait.

Telle un rapace, la main d’Aymeric s’éleva, hésitante, et survola les vallons de son corps endormi. Ses doigts se retenaient à grand peine de se poser pour caresser cette peau aux reliefs séducteurs. Ayant enfin trouvé une proie à sa mesure, il s’empara d’une mèche de ses cheveux épars sur l’oreiller et la fit rouler entre ses doigts pour en éprouver la structure douce et soyeuse. Une envie folle le tenaillait de serrer Alis dans ses bras et de l’embrasser, mais il ne voulait ni l’effrayer ni la réveiller car quelque chose lui disait qu’il la perdrait au moindre faux pas. Alors il se contenta de la contempler, le regard errant sur les magnifiques courbes que révélait sa chainse délicieusement retroussée à mi-cuisse. D’un coup d’œil circulaire, Aymeric s’assura d’être le seul à profiter d’un tel spectacle. La plupart de ses hommes étaient rentrés, mais gisaient sur leurs couches, cuvant leur vin en ronflant.

Rassuré, il reporta son attention sur Alis. Maintenant qu’il avait gagné sa confiance, il n’avait pas envie que leur intimité s’arrête aussi brusquement qu’elle avait commencée. Il fallait qu’il trouve un moyen de l’accaparer pour la journée. Oui mais comment ?

S’ils restaient au château, Alis retournerait vaquer à ses occupations et il ne la reverrait qu’au souper. Jamais il n’aurait la patience d’attendre jusque-là !

Pour le remercier de ses bons et loyaux services, le baron lui avait donné quartier libre ce jour d’hui, alors pourquoi ne pas en profiter et le passer en agréable compagnie ?

Avec amertume et déception, il regarda ces cuisses pleines surmontant deux adorables genoux ronds avant de s’attarder sur ses jambes musclées. La vue de sa cheville enflée lui soutira un hochement de tête agacé. Dès qu’il verrait Gautier, il lui ferait passer l’envie de recommencer. Et encore, cet abruti avait de la chance : elle n’avait qu’une cheville foulée, sinon…

À ce moment-là, une idée commença à faire son chemin dans son esprit et un sourire lumineux éclaira son visage : comment n’y avait-il pas pensé plus tôt ?

Aussitôt, il se pencha et lui effleura le front de ses lèvres. Puis, impatient de vérifier la bonne marche de son plan, Aymeric se servit de la mèche de cheveux qu’il tenait encore entre ses doigts et lui chatouilla la joue pour la réveiller.

Dans son sommeil, Alis se frotta le visage, agacée, mais à la troisième tentative, elle ouvrit les yeux et la première chose qu’elle vit fut son sourire éclatant de charme.

- Bonjour Alis, avez-vous bien dormi ?

Encore engourdie, elle hocha machinalement la tête tout en s’étirant et s’assit sur la paillasse en clignant des yeux, éblouie par la vive clarté matinale. Elle jeta un regard endormi autour d’elle, mais s’éveilla tout à fait lorsqu’elle réalisa avec effroi que la matinée était déjà bien avancée. Elle ramena ses jambes en bord de couche et, sans se soucier de sa cheville malade, elle tenta de se relever. Aussitôt, elle poussa un cri de douleur et retomba lourdement. Au bord de la panique, elle se tourna vers Aymeric :

- Il faut que je parte, Berthe doit m’attendre !

- À mon avis, vous ne lui serez pas d’une grande utilité, vaudrait mieux vous reposer.

L’air nonchalant avec lequel il lui répondit la laissa pantoise.

Profitant de sa stupeur, Aymeric se jeta à l’eau pour lui faire sa proposition :

- J’ai une suggestion à vous faire. Profitons de cette belle journée. Je vous emmène en promenade, je connais un joli coin au bord de la rivière, je suis sûr qu’il vous plaira. Vous n’allez pas rester assise toute la journée à regarder les autres travailler.

Interloquée, elle le regarda fixement, ne sachant quoi lui répondre.

- Mais…, commença-t-elle.

- Il n’y a pas de mais, je m’occupe de tout. D’ailleurs, je vais de ce pas prévenir Berthe et vous chercher quelque chose de sec à vous mettre sur le dos.

Animé d’une énergie à toute épreuve, Aymeric se leva d’un bond. Il prit son bliaud noir, l’autre étant encore humide et s’habilla.

Encore éberluée par sa proposition, Alis le regardait faire sans mot dire. Elle savait qu’il avait raison. Pour ses coéquipières, elle ne serait d’aucune aide. Et puis, même s’il lui restait un fond de méfiance envers lui, elle n’était pas mécontente de passer la journée loin de ce château où elle commençait à trouver le temps long cloîtrée entre ces maudits remparts. Seulement, un sentiment de remords et de gêne l’empêchait d’accéder à sa demande. Elle baissa la tête pour chercher les mots justes, mais prévenant la question qu’il sentait germer dans sa tête, Aymeric la devança en lui soulevant le menton :

- Rassurez-vous : le baron n’accordera pas d’audience avant un jour ou deux. De toute façon, mieux vaut le laisser reprendre ses marques avant de lui soumettre votre requête. Le temps ne peut que jouer en votre faveur.

Devant son air déçu il ajouta :

- Ne vous ai-je pas promis mon aide ? Faites-moi confiance, le moment venu, je vous arrangerai une entrevue avec lui.

- Merci, murmura-t-elle en retrouvant un sourire timide.

- Ne me remerciez pas à l’avance, ça porte malheur. Eh ! Je fais ça dans le but de vous voir sourire, non de vous faire verser des larmes, ajouta-t-il devant son regard remplis d’étoiles comme si elle allait pleurer.

Malgré elle, Alis pouffa devant sa grimace de déception.

Aymeric lui renvoya aussitôt un clin d’œil complice et se pencha pour ramasser son bliaud et sa chainse encore humides.

Retrouvant son sérieux, Alis eut la présence d’esprit de lui avouer :

- Pas mon bliaud, je n’en ai pas d’autre.

- Je ne vais pas vous laisser attraper la mort en vous faisant porter ces vêtements. Vous avez à peu près la même taille que Catherine, je lui demanderai de vous en prêter un. En attendant, reposez-vous et ne bougez pas d’ici. Vous ne risquez rien, tous ces sacs à vin cuvent et ne sont pas prêts de vous faire grand mal, surtout si vous restez sur ma couche. À tout de suite, ma belle, ajouta-t-il en lui caressant la joue du bout des doigts.

Sur ce, Aymeric se redressa et tourna les talons.

- Attendez !

Il se retourna d’un bloc, déjà persuadé qu’elle allait refuser leur escapade.

- Pourriez-vous aussi ramener ma sacoche, s’il vous plait ? Lui demanda-t-elle de son air le plus innocent. Demandez à Catherine, elle sait où je l’ai mise. Dedans j’ai un onguent qui soulagera ma cheville.

- Mais vos désirs sont des ordres, gente damoiselle.

Conscient d’avoir gagné une autre manche de la partie, Aymeric esquissa une courbette et s’éclipsa après lui avoir fait un de ses plus beaux sourires.

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