Chapitre 14 suite

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Aymeric poussa les portes des cuisines et pénétra avec enthousiasme dans ce qui semblait une arène. Tout le personnel était en ébullition pour ranger le prodigieux désordre du banquet.

Un sourire amusé au coin des lèvres, il se dirigea vers sa cousine. Elle était assise dans un coin, penchée sur Agnès qui tétait son sein. Dès qu’elle l’aperçut, Catherine lui fit signe d’approcher. Son visage angélique exprimait une angoisse mal contenue.

Aymeric vint s’asseoir à ses côtés et lui entoura les épaules :

- Que t’arrive-t-il, ma douce ? Tu as l’air chagrinée.

- Alis a disparu, elle n’est pas rentrée dormir cette nuit et ce matin personne ne l’a vue, ça ne lui ressemble guère, j’espère qu’il ne lui est rien arrivé.

- Personne, vraiment ?

Aymeric avait volontairement repris ce mot, soutenant le regard fuyant de Bénédicte qui s’était rapprochée d’eux. Se sentant prise en faute, celle-ci haussa les épaules et tourna les talons telle une princesse outragée.

Le capitaine reporta son attention sur sa cousine et la rassura en lui racontant - passant sur quelques détails - sa nuit avec Alis.

Catherine attendit patiemment la fin de son récit avant de lancer avec ironie :

- Je comprends mieux ta mine réjouie, beau cousin.

Aymeric n’eut pas le temps de lui répliquer que Berthe approchait de son pas pesant :

- Qu’est-ce qui vous met d’aussi bonne humeur ? Grommela-t-elle en soupirant.

- Devine avec qui Alis a passé la nuit ?

Catherine avait du mal à retenir son excitation et voulait la partager avec la matrone. D’ailleurs, Berthe perdit son air bougon et un sourire malicieux envahit son visage.

- Eh bien mon garçon, tu ne perds pas de temps à ce qu’on dirait !

Elle continua en prenant Catherine à témoin :

- Et Alis qui nous soutenait qu’elle n’était pas énamourée de lui ! Mais moi j’avais bien vu comment elle le dévorait des yeux, notre beau capitaine. Faut dire que si j’étais à sa place, moi aussi j’aurai sauté sur l’occasion… enfin si on peut dire, gloussa-t-elle en regardant Aymeric.

- Voyons, ma bonne Berthe, comment peux-tu parler ainsi, tu es comme une mère pour moi, tu le sais bien, s’indigna Aymeric d’un air faussement outré. Et puis ce n’est pas ce que vous croyez, nous avons juste « dormi » ensemble, c’est tout.

- Oh mais on ne croit rien, Aymeric, cependant si ce que tu dis est vrai, alors c’est que tu dois être sacrément énamouré de cette donzelle pour ne pas avoir cherché par tous les moyens à la faire céder à tes ardeurs.

Aymeric regarda la commère comme si elle venait de dire une énormité encore plus grosse qu’elle. Se ressaisissant, il préféra éclater de rire avant d’ajouter :

- Comme tu y vas !

- Et toi, comme tu es naïf ! Enfin, moi ce que j’en dis…

Puis se tournant de tous côtés, Berthe demanda :

- En attendant, où est-elle ? Ce n’est pas le travail qui manque alors faudrait pas traîner.

- Justement, Berthe, c’est pour ça que je voulais te voir. Alis s’est tordue la cheville cette nuit et j’ai bien peur qu’elle ne soit pas d’une grande aide.

- Elle a choisi son jour pour se faire mal ! Comment je vais faire moi ?

Croisant le regard plein d’espoir de son cousin, Catherine lui adressa un sourire complice et proposa:

- Je peux la remplacer, Berthe. Je me sens beaucoup mieux tu sais. Je ne serai peut-être pas aussi efficace, mais cela vous allègera la tâche.

- Mouaih, rétorqua la matrone d’un air dubitatif, de toute façon, on n’a pas le choix… Enfin, qu’elle se repose pour nous revenir le plus vite possible.

- Alors, vous n’aurez pas besoin d’elle, insista Aymeric d’un air innocent.

Le regardant avec suspicion, Berthe plissa les yeux en grommelant :

- Toi, tu as une idée derrière la tête.

- Décidément, on ne peut rien te cacher !

Aymeric murmura son plan à l’oreille de la matrone et attendit son verdict.

- Par ma foi, c’est une bonne idée. Je serais bien venue avec vous, mais je ne voudrais pas gêner. Allez, je vais demander à Pierre de te mettre quelques restes de côté et après, je te prépare une besace avec tout ce qu’il faut pour ne pas mourir de faim. Je compte sur toi pour bien t’occuper d’Alis, ajouta-t-elle d’un air menaçant, c’est une gentille petite et je ne voudrais pas qu’il lui arrive quoi que ce soit.

Berthe le planta là et alla lui préparer tout ce qu’il fallait pour un déjeuner sur l’herbe.

Une fois son devoir accompli, elle lui carra la besace dans les bras et s’éloigna en gloussant devant son air ahuri.

Se tournant vers Catherine, Aymeric s’aperçut qu’elle aussi était hilare.

- Je ne te savais pas si serviable, ricana-t-elle. Vas-y mais ne profite pas de la situation, c’est mon amie et je ne voudrais pas qu’elle se retrouve dans le même état que moi.

- Ne t’inquiète pas, elle sait se défendre et elle est en de très bonnes mains, lui rétorqua-t-il d’un air hautain. En attendant, pourrais-tu me donner une chainse et un bliaud secs ? Les siens sont encore humides. Alis a aussi réclamé sa sacoche, elle m’a dit que tu savais où elle se trouvait.

- Je vais aller te chercher tout ça, mais il va falloir que tu t’occupes d’Agnès pendant ce temps. Tiens, et prends-en bien soin.

Plissant les yeux avec malice, Catherine déposa son précieux fardeau dans les bras crispés de son cousin et le laissa-là, éclatant de rire devant son allure empotée.

Aymeric la regarda s’éloigner d’un air penaud puis chercha désespérément autour de lui une âme charitable pour le délester. Mais il ne croisa que des regards narquois ou indifférents face à son embarras. Décidant de prendre son mal en patience, le jeune homme s’assit avec précaution et regarda le nourrisson entre ses bras. Repue, Agnès s’était endormie. Aymeric la trouvait si petite et si fragile qu’il n’osait bouger. Catherine lui avait joué un mauvais tour : c’était sûrement pour le punir d’avoir été odieux. Mais aussi, pourquoi tenait-elle à tout prix à lui cacher l’identité de celui qui l’avait ainsi engrossée et malmenée ? Pourquoi protégeait-elle cet immonde individu ?

Aymeric regarda d’un air farouche autour de lui. Dire que ce moins que rien était dans les parages, mangeant et buvant à la même table, causant et riant tout en sachant qu’il ne pouvait rien contre lui! Cette perspective l’enrageait au plus haut point. Il en venait à soupçonner tout le monde, cherchant dans chaque visage masculin la trace de quelque indice qui aurait pu le mettre sur la voie. Mais rien, absolument rien ne transparaissait jamais à son plus grand désespoir.

Il repensa au jour où Berthe était venue le chercher et lui avait montré Catherine en sang, rouée de coup, presque morte. S’il l’avait perdue, il serait devenu fou.

D’ailleurs il n’en était pas passé loin.

Mais la petite Agnès avait tenu bon et c’était un miracle vu le piteux état de la mère.

Aymeric reporta son attention sur la fillette et ne put s’empêcher de chercher sur son visage un détail qui aurait pu le mettre sur une piste, mais elle était encore trop minuscule pour voir quoi que ce soit.

- Quelle tête mon cousin, on dirait que tu regardes un fantôme.

Aymeric sursauta. Perdu dans ses pensées, il ne l’avait pas entendue arriver. Il leva la tête et dévisagea Catherine d’un regard acéré :

- Tu sais très bien à quoi je pense, alors garde tes réflexions stupides.

Blêmissant sous l’insulte, Catherine jeta les affaires d’Alis à côté de lui et cracha entre ses dents :

- Tu ne vas pas recommencer avec cette histoire ! J’en ai assez, je ne veux plus en entendre parler, alors laisse-moi tranquille !

Aymeric allait riposter, mais croisa à temps le regard réprobateur de Berthe. Il ravala la remarque acide qui lui brûlait la langue en lui rendant son enfant.

Sous le coup de la colère, il ramassa les affaires d’Alis et tourna les talons, ignorant les larmes qui obscurcissaient le regard de sa cousine.

N’osant pas bouger de peur de signaler sa présence à quelque soldat importun, Alis faisait semblant de dormir en attendant avec impatience le retour d’Aymeric. La garnison commençait à s’éveiller. Elle entendait des rires gras en réponse à des plaisanteries d’un goût douteux, des cliquetis d’armes que l’on ajuste, des rots et pets tonitruants, quelques molles disputes avinées et même une chanson paillarde dont le refrain libertin fut repris en cœur. Personne ne semblait faire attention à elle pour son plus grand soulagement. Par contre, une furieuse envie d’uriner lui nouait le ventre et l’empêchait de goûter avec sérénité ce repos pourtant bien mérité.

- Pourvu qu’il se dépêche, pensa-t-elle en serrant les jambes, je ne vais pas pouvoir me retenir indéfiniment.

Soudain, elle entendit avec bonheur la porte de la garnison s’ouvrir à la volée et une voix familière s’exclamer :

- Salut la compagnie ! Alors, pas trop mal à la tête ?

Des ricanements confus lui répondirent. Seul Jean, le guetteur à l’olifant, osa lui retourner la question en regardant sa couche d’un air entendu :

- Et vous, capitaine, la nuit a dû être un peu courte à ce que l’on dirait !

Cette fois-ci, des rires plus francs accueillirent cette saillie. Aymeric préféra jouer leur jeu et lui rétorqua avec un clin d’œil :

- Si tu savais !

Puis, sans leur laisser le temps d’enchaîner, il se dirigea à grands pas vers sa couche où Alis s’était assise et le regardait approcher comme s’il était le Messie en personne.

- Je vous ai tant manqué, ma belle ? Souffla-t-il à voix basse en s’asseyant sur le trépied après avoir déposé ses affaires à côté d’elle.

Elle eut une petite grimace embarrassée avant de lui répondre sur le même ton :

- J’attendais des habits décents pour pouvoir aller aux latrines et me rafraîchir un peu.

Sans attendre sa réponse, elle se mit sous les couvertures et fit passer prestement la chainse qu’il lui avait prêtée par-dessus sa tête avant de s’emparer de celle qu’il lui tendait et de s’en vêtir aussi vite.

Aymeric resta sans voix devant cette manoeuvre soudaine et admira la rondeur de ses épaules dorées ainsi que sa magnifique chute de rein partiellement cachée par sa longue chevelure de jais qui s’arrêtait juste à la naissance du sillon de ses fesses.

Malmenée par ses gestes précipités, la couverture qui lui masquait les seins avait glissé, dévoilant des rondeurs appétissante malheureusement vite dissimulées par la chainse. Alis sortit ses longues jambes de la couverture sans prendre la peine de rabattre sa chainse plus bas qu’à mi-cuisses et, mettant un terme à sa contemplation, elle lui tendit une main impatiente pour qu’il l’aide à se lever.

Aymeric sortit de sa torpeur et se leva d’un bond pour la soutenir alors que retentissaient quelques sifflets admiratifs. Il releva la tête et son regard suffit à arrêter net les plaisantins tandis que la chainse retrouvait la loi de la pesanteur.

Devant son impatience grandissante, Aymeric l’aida à enfiler le bliaud prêté par Catherine. Il était plus court, s’arrêtant au-dessus de la cheville, et légèrement serré aux entournures, faisant ainsi saillir ses seins et ses hanches… pour son plus grand bonheur.

Mais obnubilée par son envie pressante, Alis n’y prêta pas attention et, après avoir ramassé sa sacoche - elle s’oindrait la cheville plus tard - elle tendit son coude à Aymeric. D’une voix plus autoritaire que quémandeuse, elle lui demanda :

- Vous m’accompagnez ?

Le capitaine s’empressa de lui obéir après avoir esquissé une légère courbette.

- Mais certainement, ma mie, et pendant que vous ferez vos affaires j’irai préparer mon étalon pour que nous puissions partir sans tarder.

Il passa cérémonieusement son bras sous le sien et l’escorta vers la porte, ignorant les regards

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