15. Contrat

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Les tourbillons de chaleur chahutaient dans le ciel de Cyryul, héritages maudits des Dieux enflammées qui foulèrent les Terres du Sud. Le soleil était haut. Les odeurs d'épices, de tabac Cyryulien, de cuisine se mêlaient, flattant ou écoeurant les nombreux nez qui inspiraient l'air des venelles animées de la cité.

Tyssy, les yeux écarquillés comme une enfant, se délectait de ces couleurs chaleureuses. 

Yulni et Olser étaient en retrait, se sentant agressées par toute cette foule.

- Mes amies, voici notre nouvelle maison!

Tyssy avait levé les bras vers le ciel.

- Quelle chaleur et toutes ces odeurs! J'ai envie de vomir.

Yulni se pencha en avant et vida son estomac dans un panier en osier, Olser ne tarda pas à faire de même.

Tyssy éclata de rire.

- Regardez mes amies! Toutes ses bourses bien pleines qui nous attendent. C'est vous qui vouliez venir ici!

Tyssy avait une revanche à prendre. Elle avait laissé sa vie aux mains d'esclavagistes. Elle reprenait son destin en main et plus jamais elle n'aurait faim, plus jamais elle ne se laisserait humilier par qui que ce soit, plus jamais elle ne porterait un masque quoique ce soit qui masquerait son visage. Le sang coulerait mais le sien resterai dans ses veines. Chaque personne qui lui ferait du mal, elle lui ferait payer au centuple. Elle regarda ses deux fidèles amies. Les deux seules personnes en qui elles auraient confiance jusqu'à la fin de sa vie.

Sadian Yrus leur avait donné rendez-vous dans une taverne "A l'Aigle Blanc", la première auberge qui accueillait les voyageurs à Cyryul. La devanture était d'une blancheur immaculée. Le bâtiment s'élevait sur trois étages, Yulni leva les yeux vers le haut de la taverne.

- Et ben si ça c'est une auberge, je n'ose pas imaginer la baraque d'Alzebal!

Tyssy eut un frisson d’appréhension. C'était le moment qu'elle attendait depuis si longtemps après avoir repris sa liberté, faire son entrée dans les sphères du pouvoir. 

Les trois amies se dévisagèrent.

Tyssy murmura.

- Soit notre vie change là maintenant, soit elle s'achève. Soyez sur vos gardes.

Yulni poussa la porte de l'auberge. Un brouhaha désagréable agressa leurs tympans, un mélange de musique, de rires tonitruants et de verres s'entrechoquant. Un aigle empaillé gigantesque se balançait mollement au dessus des clients. La pièce principale était grande et accueillait un grand nombre de tables toutes occupées. Au fond les clients jouaient des coudes le long du comptoir pour commander leurs boissons. Deux escaliers chacun bloqués par une barrière et un géant, les bras croisés, attendait avec envie qu'un imprudent alcoolisé s'approche de trop près pour transformer son visage en viande hachée.

Olser cria pour se faire entendre de ses amies.

- Mais quel endroit sympathique.

Yulni parla à l'oreille de Hyssy

- De l'extérieur, je n'aurais jamais imaginé un tel foutoir.

- On a les mêmes à Stannarg!

- Oui mais notre musique est meilleure.

Un vieux barde, qui n'était visiblement pas à sa première chopine, dansait à moitié nu sur une table, sa culotte ou peut-être celle de quelqu'un d'autre, sur la tête.

- Et nos musiciens ont beaucoup plus de vêtements.

- Vous voyez Duwhal?

- Non. Allons prendre un verre.

Les jeunes femmes se frayèrent un chemin parmi les poivrots et les fêtards. Hyssy sentit une main s'égarer sur ses fesses et les malaxer comme s'il pétrissait une pâte à pain. Elle fit volte-face dégainant sa dague et la planta dans l'entrejambe de l'impudent. Il tomba à genoux en hurlant. Les mains ensanglantés, il tenta d’attraper Hyssy qui fit un pas en arrière. Le peloteur chuta sur le plancher en gémissant.

- Salope.

Ses amis dégainèrent leurs armes.

- Allez les sodomites, approchez que je vous change en eunuque.

Le regard de Tyssy les fit hésiter quelques secondes.

Ils passèrent à l'attaque mais tombèrent avant d'avoir pu touché une des trois amies.

Tyssy, Olser et Yulni contemplaient les quatres cadavres. De l'ombre apparut un visage connu.

- Mes demoiselles, à peine arrivées et déjà de nouveaux amis.

- On voulait juste boire une bière. 

Duwhal sourit et ses yeux se plissèrent. Tyssy n'aimait pas ce type.

- Suivez moi gentes dames. Alzebal vous attend.

- Alzebal est ici?

- Au rez de chaussée c'est la plèbe, dans les hauteurs, c'est la crème. Cette taverne lui appartient. Il vous attend avec impatience.

Duwhal se dirigea vers l'escalier de gauche. Le géant s'écarta et les laissa passer le petit groupe.

Les trois femmes sentait leur coeur cognait derrière leur poitrine. Elles allaient rencontrer Alzebal, le tueur de rois. Tyssy sentit une main tremblante se poser sur son épaule. C'était Yulni qui cherchait du réconfort. 

Elles pénétrèrent dans une grande pièce, mal éclairée, toutes les fenêtres étaient dissimulées derrière de larges rideaux noirs sur lesquels étaient brodés avec du fil ocre des signes étranges qui ressemblaient à une forme d'écriture. Une grande table rectangulaire s'appropriait la plus large place, une dizaine de chaises attendaient autour, patiemment, que l'on vienne les réchauffer. Un grand fauteuil arrogant de luxure était occupé par un homme à la peau blafarde. Il parcourait des yeux un grand parchemin que l'on devinait vieux. Deux hommes en armure de cuir se tenaient debout légèrement en retrait derrière lui.

Un garde au visage peu amène les accueillit et les dirigea vers la table.

Duwhal avait disparu soudainement.

Tyssy observa attentivement les environs mais elle ne vit aucune trace du mercenaire.

- Je suis Alzebal.

Un homme à la peau blafarde s'était levé et les toisait. Il s'approcha des trois jeunes femmes suivit de ses deux gardes du corps et s'arrêta à quelques mètres. Son regard vif et ardent pénétra l'esprit de Tyssy. Elle le sentait en elle, fouillant sa mémoire. Elle garda un aplomb de façade. Son aura était telle qu'il captait l'attention, autour de lui plus rien n'existait. Cet être devait avoir des centaines d'années. La magie l'imprégnait comme une éponge emplit d'eau.

Ces amies étaient dans le même état que Tyssy.

Le garde de l'entrée héla les trois femmes.

-Un genou à terre!

Tyssy durcit le regard. Elle se libéra de l'emprise d'Alzebal en un instant.

- Je ne plie devant personne!

Le garde insista et mit la main sur la garde de son épée.

- Tout le monde s'agenouille devant le seigneur Alzebal.

- Ni mes amies, ni moi ne poseront un genou à terre, ni ne baisseront la tête. Le respect ne passe pas par la soumission.

Le mercenaire dégaina son épée.

Les trois jeunes femmes en firent autant prête à en découdre.

- Plutôt mourir que plier.

- Tant pis pour vous femelles.

Le sbire d'Alzebal attaqua mais avant que son arme s'abatte sur les trois amies. Il poussa un cri de douleur et lâcha son glaive. Une petite flèche s'était fichée dans son cou. Il tomba à terre en geignant.

Alzebal tendit les bras en souriant.

- Une place est libre Tyssy Crine.

La jeune femme ne se décontenança pas.  

- Nous sommes trois, seigneur Alzebal. C'est à prendre où à laisser.

Alzebal jeta un regard à deux de ses gardes du corps. Il ne prononça aucun mot. Un masque d'impassibilité glissa sur les visages des deux hommes. Ils dégainèrent chacun leur dague et lentement leur propre lame entailla leur cou. Ils s'égorgèrent sans mot dire et tombèrent sur le sol, les trachées béantes laissant s'écouler, à flot, leur sang qui s'insinua dans les interstices qui séparaient les pavés sablonneux.

Les trois femmes se figèrent, entre la peur et la fascination.

- N'ayez crainte jeunes femmes. Ces hommes étaient de piètres protecteurs. Bienvenue chez moi.

Tyssy savait que cette démonstration visait à les impressionner et c'était réussi néanmoins elle décida de ne rien montrer et sans marque d'émotion sur son visage elle s'adressa au roi des mercenaires.

- Qu'attendez de vous de nous?

Alzebal sourit et la fixa intensément. Tyssy fut troublée. Cet homme avait un charisme envoûtant.

- Je n'attends rien de plus que ce que vous faisiez avant. Éliminez les esclavagistes de Cyryul.

- Quel est votre intérêt?

Alzebal fit volte face et partit s'asseoir sur son trône, même sa façon de se mouvoir était fascinante.

- Chaque chose en son temps jeune impatiente. Vous pouvez disposer, Sadian va montrer votre maison.

Tyssy écarquilla les yeux.

- Notre maison? 

Yolni ricana.

- Nous allons avoir une maison pour nous?

Alzebal acquiesça de la tête.

- Suivez moi mes nouvelles collègues.

Duwhal venait de surgir derrière elles.

Tyssy sursauta.

- Va falloir que tu arrêtes de faire ça avec moi Duwhal, si tu ne veux que je te plante par un malheureux réflexe.

Le mercenaire ne répondit rien. Il se contenta d'un mouvement de la main les incitant à prendre la sortie.

Alzebal partit dans un fou rire.

- Je vous aime déjà gentes damoiselles.

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