Chapitre 19 - pour toi

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En allant dans la chambre de Nath, ou peut-être devrait-il y penser comme à leur chambre, Lidseï se sentait stressé. L’oméga avait bien signifié qu’il avait le choix. Il pouvait aller dans sa première chambre et rejoindre Kavri. C’était tentant. Enrouler ses bras autour du grand corps de son ami et dormir contre sa chaleur… Il ne l’avait jamais fait. En faites, il n’en avait jamais eu la liberté… Seulement, Lidseï savait bien que s’il y allait, il n’y aurait pas de retour en arrière. Nath s’était déjà senti rejeté de la plus grave des façons. L’alpha le comprenait et il avait l’impression que cette chambre et l’intimité qu’elle supposait était la clé pour réparer les choses entre eux. Pourtant, là, sur le pallier, il se sentit comme un intru et il hésita. Il hésita vraiment. Et si Nath ne voulait plus de lui ?

Depuis le lit, le petit oméga l’observait en silence. Refusant visiblement de l’aider en lui indiquant quoi faire. Lidseï baissa les yeux, se fit le plus petit possible et souffla piteusement :

- Est-ce que je peux venir ?
- … tu seras toujours le bienvenu, Lidseï.

Cela arracha un petit sourire à l’alpha qui osa enfin avancer. Il marcha jusqu’au lit et s’appuya doucement dessus. Il marqua une nouvelle pause. Cela faisait longtemps que Nath n’avait pas eu ses chaleurs, remarqua-t-il. Si Nath n’avait plus confiance en lui, peut-être qu’il refuserait de les passer ici. Il irait alors à l’étage inférieur, avec des alphas sans partenaire, pour jouir de leurs attentions. L’idée lui donna envie de grogner. Il la chassa de son esprit. A la place, l’alpha se glissa dans le lit froid et attendit silencieusement que Nath éteigne sa lampe. Dans le noir, ce serait peut-être plus simple pensait-il. Seulement, quand la lumière se coupa, rien ne changea.

- Je suis désolé… finit-il par admettre.
- … moi aussi.

La voix de Nath était chevrotante et l’entendre si blessé fit mal à l’alpha.

- Désolé ? chuchota Lidseï, déconcerté.
- Un jour, tu auras confiance en moi.

C’était une promesse et en l’entendant, Lidseï comprit que ce qui avait le plus blessé Nath, ce n’était pas son choix de protéger Kavri. Non, c’était la peur. Nath vivait dans un monde où il n’y avait aucune raison de craindre les omégas. Dans son monde, il suffisait d’un sourire, d’un regard, d’un geste, d’un rien pour arrêter un autre oméga. Seulement, dans celui de Lidseï, ce n’était pas le cas. Dans le sien, les regards n’étaient pas bien vus. Les sourires de malaises passaient systématiquement pour autre chose. Les gestes semblaient toujours agressifs. Dans le monde de Lidseï, un rien ne suffisait jamais. Il pouvait bien se débattre, rugir, attaquer, mordre, chercher à blesser, … Il pouvait bien essayer de massacrer la personne en face de lui, ça ne l’arrêterait pas pour autant. Il pouvait également se faire aussi doux qu’un agneau, se courber, supplier, mendier, … Ça ne marchait pas davantage. Les omégas disaient que « c’était nécessaire » ou que « c’était pour leur bien » et ils continuaient simplement.

Vu qu’ils vivaient dans deux mondes différents, Nath ne pouvait pas comprendre sa peur. Seulement, lui, il s’était retrouvé entre deux personnes qui lui étaient chères. Il avait réussi à arrêter Kavri avec presque rien, parce que l’alpha était prêt à l’écouter. Et il s’était retrouvé là, le cœur battant la chamade face à Nath avec cette simple certitude : il ne pouvait pas l’arrêter. Si Nath décidait de punir Kavri, il ne pourrait strictement rien faire contre ça.

- Tu auras confiance en moi… répéta doucement Nath, sans combler l’espace vide entre eux qui ressemblait de plus en plus à un gouffre infranchissable.

Lidseï hésita un long moment avant de demander :

- Et vous aurez confiance en moi ?

Nath émit un rire désabusé et triste.

- Oh Lidseï… Tu n’as pas remarqué ? Je dors dans tes bras. Il y a longtemps que tu as gagné ma confiance…

Ce n’était pourtant pas tout à fait vrai. Pas entièrement. Mais comment avoir totalement confiance d’une personne qui a peur de vous ? La peur peut faire faire de drôles de choses. Ils s’endormirent sans se toucher séparés par les non-dits et les attentes impossibles. Au petit jour, quand Lidseï se réveilla, Nath avait disparu. L’alpha resta un long, très long moment à observer le plafond. Il allait devoir réussir à faire quelque chose. Quelque chose d’impossible.

Il allait devoir rassurer Nath et lui prouver qu’il avait confiance en lui. C’était faux, bien-sûr, mais c’était peut-être un mensonge qu’il était capable d’élaborer et de tenir. Nath y avait cru jusqu’à l’attaque en tout cas.

Il allait également devoir s’assurer que Kavri ne recommence plus jamais. Et ça… c’était autrement plus complexe, mais c’était vital.

Couché dans le lit confortable, il chercha à lister ses différentes options, mais il n’en avait pratiquement aucune. C’était comme si le drame était annoncé et que quoi qu’il fasse, il pourrait à peine retarder l’inévitable. Un jour, Kavri recommencerait. Un jour, Lidseï le protégerait. Un jour, Nath serait blessé de ce choix.

***

En partant ce matin-là, Nath s’était arrêté un long moment dans sa salle de bain. Devant son grand miroir, il avait observé les bleus qui s’étaient formés sur ses épaules. Là où les mains de Kavri s’étaient refermées sur lui, il pouvait voir le tracé de ses doigts formé par des marbrures noires. Là où il avait cogné, c’était des plaques plus ou moins rondes qui s’étalaient. Il n’avait rien dit à personne. Il était resté silencieux à observer son reflet. Puis, il avait carré les épaules, lavé et séché son corps douloureux et recouvert les marques de vêtements. Voilà. On ne les voyait plus. Elles étaient toujours là, mais on ne les voyait plus.

Nath ressortit, regarda la forme endormie de Lidseï dans le lit et fit attention de ne pas le réveiller. Dans la pièce principale, il nota que la porte de la chambre de Kavri était bien fermée. Là encore, il marqua un arrêt. Il hésita. Le mieux était sans doute de laisser Lidseï le gérer pendant un moment. Oui… Ce serait le mieux pour eux trois. Alors il partit.

***

Les mains de Lidseï tremblaient alors qu’il nouait fermement un collier autour du cou de son ami. Kavri ne disait rien, il se laissait manipuler tranquillement. Pire, il se laissait aller contre les doigts de l’autre alpha, savourant le moindre contact. Il aimait que Lidseï le touche. La laisse fut rattachée, elle claqua doucement à la fermeture. Lidseï frémit, mais il fut le seul.

- Nath est sorti aujourd’hui… Il est allé… dans notre ancienne zone pour son travail. Alors… Je me suis dit que ça te ferait plaisir de venir regarder la vue avec moi.
- … oui.

Lidseï lui fit un sourire et l’invita à le suivre sans pour autant lâcher la laisse même s’il avait l’impression qu’elle lui brûlait les doigts. Silencieusement, il la noua au crochet et vérifia qu’elle était bien attachée. Il avait un goût amer en bouche.

L’honneur des alphas n’était pas un concept qu’il maîtrisait bien. Il avait déjà entendu parler de cette notion, l’honneur. On lui avait même dit, quand il était petit, qu’il était honorable de bien se comporter avec les omégas. Ça n’avait jamais été quelques choses de réellement important pour lui mais à cet instant, il se sentait sale. Il avait l’impression de se déshonorer en enchainant Kavri.

Mais en même temps… Il avait besoin que Nath leur refasse confiance et pour ça, il devait être sûr que Kavri ne l’attaque pas une nouvelle fois. Lorsque c’était arrivé, il n’avait rien vu venir. Nath rigolait, le taquinait, c’était bon enfant comme souvent avec l’oméga. Lidseï arrivait même à se détendre avec lui. Petit à petit, Nath parvenait à lui faire oublier sa peur de mal faire. C’était un véritable magicien à sa manière, un magicien de douceur qui le berçait dans une routine de normalité. Nath ne faisait rien de plus… Il avait défini les règles du jeu : manger ensemble, dormir ensemble, se parler normalement, … et puis, il avait laissé Lidseï s’y habituer et s’y conformer.

A présent, s’il voulait retrouver cette routine, il allait devoir faire des choses. Des choses comme attacher son ami. Et d’autres choses comme lui parler peut-être. Kavri était toujours aussi silencieux alors ça n’allait pas être facile. Du bout des doigts, il caressa l’attache et soupira. Peu importe comment il se lançait, il devait essayer.

- Quand j’étais gamin, j’adorais les jeux de société. Tu as eu l’occasion d’en faire quand tu étais petit ?

Il laissa retomber le silence. Kavri ne répondait pas mais peut-être était-il simplement en train d’y réfléchir ? Ce n’était pas bien important, alors Lidseï reprit.

- On n’est pas censé aimer gagner… on est censé aimer le « beau-jeu ». Seulement moi, j’aimais gagner… Je me faisais souvent punir et puis… les autres ne voulaient plus jouer avec moi. On m’a donné des puzzles à ce moment-là. Seulement les puzzles, c’est chiant. J’ai jamais aimé ça…

Lidseï s’assit contre le mur en soupirant. Il n’aimait pas penser à cette période de sa vie car c’était à la fois la plus heureuse et la plus amère.

- A trois, on pourrait jouer… A deux aussi tu me diras… mais à trois, c’est quand même plus drôle.

Kavri restait silencieux. Il regardait l’extérieur mais il avait l’air d’écouter également.

- Enfin… maintenant… je ne pense pas que Nath accepterait de jouer avec nous. Pourquoi tu l’as attaqué hein ?

Lidseï ferma les yeux, soupira et attrapa son compagnon par les épaules, le forçant à le regarder.

- Réponds-moi, merde ! Pourquoi tu l’as attaqué ?
- … pour te protéger.
- Me ? Tu déconnes là ! Je sais me protéger tout seul !

Le plus grand l’observa comme s’il disait la chose la plus étrange de tous les temps et puis il répondit simplement :

- Non.

Puis il ajouta quelques mots qui finirent de plonger Lidseï dans l’effroi.

- Mais maintenant, je suis là pour te protéger.

Si Kavri essayait de le sauver d’agression imaginaire, ils étaient perdus. Il ne pourrait plus jamais le libérer. Il ne pourrait plus jamais lui faire confiance auprès de Nath. A n’importe quel moment, ça pourrait arriver. D’une voix blanche, Lidseï murmura :

- Qu’est-ce qu’il avait fait exactement ?
- Tu ne te sentais pas bien. Tu étais tendu. Mais tout va bien… je te protégerais.

Lidseï attrapa l’autre alpha et le serra fort contre sa poitrine. Il le berça un moment sans oser le regarder. C’était pire qu’il ne l’avait envisagé. Si Nath comprenait… Nath était adorable, patient et courageux mais… s’il comprenait. Lidseï eut envie de pleurer. Une main tendre se posa au creux de son dos et le caressa comme pour le consoler. Les larmes se mirent alors à couler sur son visage. Il ne pourrait jamais réparer une telle chose, pas si c’était lui le déclencheur…

Lidseï se recula légèrement et lui embrassa le crâne dans un geste tendre. Kavri leva le visage et réclama ses lèvres. Lidseï pleurait toujours lorsqu’il l’embrassa dans un baiser chaste.

- Si je te suppliais de ne plus jamais l’attaquer, tu pourrais le faire ? Pour moi ?

Kavri lui offrit le plus beau des sourires et chuchota :

- Je le tuerai pour toi.

Un grand froid s’abattit sur Lidseï… Il le tuerait pour lui. Ce n’était même pas une surprise. La dernière fois s’il n’était pas intervenu, Kavri ne se serait pas arrêté. Il aurait recommencé à frapper jusqu’à ce que Nath ne soit plus capable de bouger du tout. Rien d’autre n’aurait pu le convaincre de relâcher sa prise. Rien d’autre que lui parce qu’ils s’étaient rapprochés, parce qu’ils avaient brisé le tabou de proximité et peut-être parce que Kavri faisait plus que l’apprécier à présent.

Lidseï devait lui répondre. Il devait dire quelque chose. Il devait refuser, lui expliquer que c’était une mauvaise idée, … Il devait… Il devait… Il devait. Seulement, les mots ne passaient pas sa gorge. Il n’arrivait même pas à les former dans son esprit. Toute sa concentration était tournée vers une seule et unique pensée. Si quelqu’un comprenait que Kavri souhaitait la mort de leur oméga, alors il serait enfermé à jamais dans l’une de ces horribles cellules. Il serait enchaîné. Il serait maltraité de nouveau. Si qui que ce soit comprenait ces sinistres projets, alors Kavri serait perdu. On ne les laisserait plus jamais être ensemble.

Lidseï avait l’impression de suffoquer et dans son esprit, deux petits mots tournaient en boucle. Pour toi. Tout ça pour lui…

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