Chapitre 15 - l'ancien et le nouveau

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Erkay n’était pas un jeune oméga inexpérimenté. Il avait choisi de gérer une zone disciplinaire, ce qui impliquait une grande violence au sein de ses propres murs. Cette violence était d’abord dû aux alphas qu’il accueillait, mais au fil des années, des violences institutionnelles s’étaient mises en place… Des protocoles très bien admis par certains étaient vécus comme la pire des choses par d’autres et ils brassaient tant d’alphas qu’il était difficile de faire des programmes spécialisés pour chacun.

Chez lui, il y avait plusieurs cas de figures. Il recevait les alphas suites à des accidents plus ou moins graves. Ces alphas n’étaient pas faits pour être réinsérés jusqu’à présent. Autrement dit, il était censé les garder jusqu’à leurs morts. Les nouvelles manières d’envisager les choses étaient venues changer ça. Il y avait également de très jeunes alphas à qui il était censé faire prendre conscience des conséquences de leurs actes afin de les rendre plus docile pour leurs présentations… Et enfin, des alphas dont les omégas ne savaient plus quoi faire… Ils ne savaient plus comment s’y prendre pour les calmer et les séjours en zones disciplinaires, souvent de manière régulière, permettaient de rendre la situation gérable.

Lorsque des tests avaient été fait pour établir le moral, le niveau de bonheur, le niveau de stress… des alphas dans les différentes zones, la totalité des résultats qu’il avait obtenu, avaient été catastrophiques sans que ce ne soit une surprise. Sa zone était d’une violence sans nom. Erkay le savait mais il ne s’était jamais plu dans une telle atmosphère. Comme beaucoup de gérant, il pensait simplement qu’il fallait que certains fassent le sale boulot, qu’il n’y avait pas d’autres solutions mais il était relativement ouvert aux suggestions si ça ne mettait personne en danger. Il était même le premier à chercher des solutions. C’était peut-être pour ça que ce qu’il voyait de cette zone lui déplaisait autant. Pas parce qu’elle était d’une violence ignoble, non, ça malheureusement, il y était habitué. Mais il y avait des détails, des petites choses qui montraient juste à quel point Atkins avait abandonné l’idée de faire mieux. Et ce n’était pas quelque chose de récent, au contraire, ça avait dû s’installer progressivement.

Alors en visitant la zone auprès de ce jeune gestionnaire, il s’était senti de plus en plus mal. Mal parce que Nathsinka ne pouvait pas comprendre, parce qu’il ne pourrait pas lui expliquer et parce que les jugements allaient venir malgré tout. Comment ne pas juger ça ? Les pires endroits étaient une série de réduits où les alphas semblaient traités comme des objets. On les sortait pour qu’ils servent, on les entretenait pour qu’ils restent fonctionnels et on les rangeait simplement. Les plus chanceux avaient le droit à un cycle jour nuit de luminosité, mais la majorité n’y avait même pas accès. Les repas étaient sommaires et ils étaient tous, sans aucune exception, épuisés par l’obligation de faire du sport durant de très nombreuses heures sans pouvoir réellement s’hydrater ou récupérer. Il n’y avait aucune logique de réhabilitation là-dedans, aucune chance d’en sortir ou même de faire bien. C’était une condamnation à vie.

Erkay avait lui aussi, dans sa propre zone, un endroit pour les pires… mais il y avait organisé une porte de sortie, limité, difficile d’accès, supposant une obéissance sans faille, mais néanmoins possible. Cette lueur d’espoir, aussi petite soit-elle, évitait que les alphas ne se brisent sous les programmes les plus rudes et elle permettait à certains d’améliorer leurs quotidiens. D’abord par de petites choses comme l’accès à une plus grande variété de repas, à des équipements de conforts, à des chambres plus grandes, … puis à des sorties, à des jours de repos, … Un alpha qui serait tombé au fond du gouffre avait encore sa chance de remonter la pente. Il n’y avait rien de tout ça ici. Pas de lumière au bout du tunnel.

En marchant lentement dans les bas-fonds de la zone, les deux omégas découvraient une forme d’horreur qui paraissaient injuste au possible. Ces alphas étaient simplement brisés, ils attendaient immobiles et calmes, dans des pièces humides beaucoup trop petites pour eux. Ils semblaient avoir froid mais c’était bien la seule chose qu’Erkay aurait pu en dire car pour la majorité d’entre eux, ils n’exprimaient plus rien.

- Tu tiens le coup ? demanda-t-il soudain à Nathsinka.
- … mon alpha, Lidseï. Il vivait un peu plus haut. J’étais déjà venu…
- Oh d’accord. Donc tu n’es pas vraiment surpris… et ça se passe bien avec lui ?
- Oui, ça se passe bien. Il est adorable… et à vrai dire, je suis surpris. Choqué même. J’aurais jamais cru qu’il y en ait autant par ici. Je pensais que le couloir s’arrêtait un peu plus loin. Mais ils sont… si nombreux.

Erkay acquiesça. Cette zone était une véritable usine, l’une des plus grosses que l’on pouvait trouver. C’était exactement pour ça que la vider posait autant de soucis. Vider sa propre zone aurait pu être organiser en deux ou trois jours tout au plus et ceux malgré les profils à risque qu’il détenait entre ses murs. Mais vider cette zone ci était d’un tout autre niveau… C’était un choix osé, mais en voyant l’humidité ambiante, le froid qui s’installait entre les murs et l’ensemble des équipements, c’était le seul choix possible en l’état. Une partie de lui en voulait à Atkins d’avoir laissé les choses se dégrader ainsi… mais en vouloir aux morts n’était pas bien productif alors il faisait de son mieux pour chasser ces sombres pensées.

Devant eux, leur guide bêta Osin, se tendit de manière assez perceptible aux abords de la cellule numéro 12. Nathsinka ne sembla pas le remarquer. Il avait laissé son nouvel alpha dans l’une des salles du haut et pour ce qu’Erkay en avait vu, il semblait assez ébranlé par la rencontre. L’alpha était en mauvais état, physiquement certes, mais mentalement surtout. Atkins avait l’air d’avoir réussi à le creuser de l’intérieur pour le vider de toute substance. Ce n’était pas du jamais vu, mais c’était toujours un spectacle qu’Erkay trouvait pitoyable. Comprenant que Nathsinka ne relèverait pas l’hésitation et que le bêta ne parlerait pas de lui-même, Erkay demanda d’une voix douce.

- Un souci, Osin ?

Le bêta s’arrêta et sembla se détendre, comme si le simple fait de pouvoir en parler était un soulagement.

- En faites… oui. Je… Quand Atkins a commencé à donner des directions… inappropriées, nous l’avons suivi. Et je crois que l’alpha qui est enfermé ici ne devrait pas y être. Il n’aurait même jamais dû voir cet étage. Son dossier est minuscule, c’est encore un enfant quelque part.
- Atkins a voulu lui faire peur ?
- Oui… je pense. Mais après… et bien, il l’a juste laissé là.

Nath s’était arrêté de respirer au mot « enfant ». Les jeunes alphas qui sortaient de l’école étaient effectivement vu comme des grands adolescents par les plus âgés, mais qui irait mettre l’un de ces jeunes ici ? C’était censé être une mesure de dernier recours, pas une chose à faire en première intention. Erkay posa une main douce sur le bras du bêta, comme pour le rassurer et lui proposa de déplacer « le petit » immédiatement.

- Si ça te va Nathsinka ? Avec les jeunes, le moindre jour de retard peut être catastrophique…
- Oui, oui… Bien-sûr.

Pourtant au moment où la porte s’ouvrit et où il vit enfin le jeune homme de dix-huit tout juste, recroquevillé sur lui-même, presque totalement nu et glacé, le regard hanté, il aurait préféré que la porte ne s’ouvre pas. Il y avait quelque chose, dans sa posture ou peut-être dans son regard, qui l’ébranla fortement. Il avait déjà vu Lidseï dans un endroit similaire, mais là… C’était sans doute le fait qu’il soit aussi jeune.

- Non… non… s’il-te-plait Osin… chuchota le gamin achevant de briser le cœur de Nath.

Erkay fut le premier à bouger, il s’accroupit devant l’alpha qui aussi jeune soit-il, était immense, et posa une main douce sur sa tête dans une caresse prude qui n’était destiné qu’au réconfort.

- Tout va bien, petit. Tout va bien… On ne va pas te faire de mal…

L’alpha éclata en sanglot silencieux, les larmes dévalant simplement ses joues alors qu’Erkay continuait en douceur.

- Tu vas nous suivre et on va te remonter dans les étages d’accord ? On va te trouver un endroit plus sympa qu’ici. Tu vas pouvoir prendre une douche bien chaude et dormir dans un lit confortable. Ça va aller.

Erkay ne s’embarrassa pas d’une laisse, soutenant le jeune entre ses bras. A cet instant, il ressemblait à un père aidant son fils et le jeune ne s’y trompa pas, se laissant aller contre lui allègrement, simplement pour avoir un soutien moral. Même s’il ne disait rien, Erkay espérait vraiment qu’aucune autre surprise de ce genre ne les attendait dans les couloirs. Après un tel traumatisme, ce jeune alpha serait difficile à placer. Toute l’assurance qu’il avait en lui-même s’était étiolé pendant son séjour et il risquait de se montrer incertain à l’avenir… de quoi mettre n’importe quel oméga non averti dans le doute. Ses chances de trouver un binôme digne de ce nom avait fondu comme neige au soleil par cette seule décision… Après des années de travail de la part de ses parents, puis de l’école pour lui assurer un avenir convenable, cela rendait Erkay assez furieux.

Après l’avoir réinstallé à l’étage qu’il n’aurait pas dû quitter, au bon soin des bêtas qui reçurent des conseils très précis de sa part, Erkay se permit de tempêter de cette manière que l’on voit rarement chez les omégas.

- Dis-moi qu’il n’a pas été envoyé à l’abattage !?

Osin eut le bon ton d’avoir l’air choqué.

- Non ! Non, on ne fait pas ce genre de choses ! Atkins ne l’aurait pas permis. C’était la première fois… la première fois qu’un jeune descendait comme ça. Je le jure.

Erkay souffla, soulagé. Installer ce gamin en bas pour lui faire peur était une chose, mais quand il avait débuté dans le métier, on trouvait encore une pratique qui avait disparue, il l’espérait. Le jeune rebelle était confiné dans une pièce, à subir l’assaut de multiples omégas, souvent en groupe jusqu’à ce qu’il ne sente plus son propre corps. Noyé de luxure, il finissait par se perdre lui-même au fil des heures. Seulement l’objectif était d’abattre totalement sa volonté et l’abattage se poursuivait sans relâche jusqu’à le rendre à moitié fou.

- Tu sembles particulièrement en colère ? releva doucement Nathsinka.
- … oui. Tu sais… je suis à la tête d’une des pires zones. Le pire de ce que l’on peut voir, je le fais sans doute faire. Alors quand je vois pire encore…

Erkay haussa une épaule un peu fataliste.

- Je suis le papa de trois jeunes alphas, ajouta-t-il au bout d’un moment. J’ai tout fait pour bien les élever afin que le système ne soit pas trop rude avec eux et qu’ils soient heureux de leurs vies… comme la majorité des parents je suppose. La trouille qu’a dû ressentir ce gosse n’avait rien de légitime. C’est juste honteux.

Tout en se dirigeant vers la salle de réunion où les attendait le nouvel alpha de Nathsinka, Erkay poursuivit, sur un ton las.

- On nous a mis en binôme pour faire une moyenne. Tu représentes la jeune génération pleine d’espoir qui aimerait tout changer… et moi… Je suppose que je suis le vieux crouton râleur qui pense tout savoir.
- Tu n’es pas
- Oh si ! T’inquiètes pas. C’est juste un peu cocasse…

Nath l’observa sans comprendre ce qui pouvait l’amuser jusqu’à ce qu’un éclat étrange brille dans les yeux de l’oméga et qu’il ajoute :

- J’ai toujours adoré regarder les gosses tout réinventer… et je n’ai pas peur de ce genre de folie.

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