Chapitre 2 – des jambes en coton et des pieds gelés

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Nath avait fait de son mieux pour se montrer très sûr de lui en arrivant à la zone commune. Ce n’était pas si évident que ça, mais il tenait à ce que le fiasco de la première rencontre ne se reproduise pas et pour ça, il avait un plan très simple. Il suffisait de ne pas déplacer Lidseï. Pas de déplacement donc pas de risque de punition et il pourrait l’observer dans son milieu « naturel ». Il avait assuré à Atkins que rien de ce qu’il pourrait voir ne serait un frein à l’acclimatation. Il n’allait pas prendre peur, s’il avait dû le faire, ça aurait été le cas à la simple lecture de son dossier. Ou même après. Lorsqu’il avait vu Lidseï dans un tel état lors de la première rencontre, ça n’avait franchement pas été reluisant.

Atkins avait semblé détester l’idée, mais il avait accepté après la promesse qu’il serait particulièrement prudent. Pour se rendre à la salle dédiée aux rencontres, il y avait une centaine de mètres de couloir à franchir, un trajet qui lui avait semblé fort long. Mais pour rejoindre les quartiers de Lidseï, c’était une tout autre histoire. D’ailleurs, un bêta dû le guider. En faisant la conversation, comme à son habitude, le petit oméga avait appris qu’il s’appelait Sido et il avait réussi à lui faire lâcher pleins de petites informations complémentaires durant tout le trajet. Il fallait descendre de plusieurs étages, dans les sous-sols de l’immense bâtisse. A chaque pallier, Nath se demandait combien d’alphas pouvaient être présent ici, Sido n’en savait rien lui-même. Les alphas ne restaient pas longtemps pour la plupart, lui expliqua-t-il.

Les zones communes que Nath était en train de construire étaient réellement énormes mais on parlait seulement d’une cinquantaine d’alphas à terme. Toute sa structure, toutes salles confondues, aurait pu tenir dans une petite partie de ce bâtiment et pourtant, il n’enviait pas les lieux. L’endroit devint de plus en plus décrépi et humide, il frissonna en pensant à ces personnes qui vivaient ici au quotidien.

- C’est votre deuxième séance avec Lidseï ? demanda gentiment le bêta, le voyant morose.
- Ou-oui, c’est ça. Ce sera moins cosy que la première fois, mais j’espère qu’il ira mieux.
- Je ne crois pas qu’il ait été puni au collier aujourd’hui… sans doute seulement à la laisse.
- A la laisse ?
- Hum… oui. Suivant son comportement il a le droit à des attaches différentes. C’est dommage mais il nous mène la vie dure en ce moment.

Sido secoua la tête, un peu dépité. Il aurait tellement préféré que les choses soient plus calmes avec ces alphas… Mais ce n’était jamais le cas. Nath de son côté ne comprenait pas et ce fut naïvement qu’il demanda :

- Mais comment une attache peut-elle être punitive ?
- Oh c’est plutôt simple. Au lieu d’être libre, il est coincé… et certaines attaches sont fatigantes car il ne peut pas se coucher.

Nath frémit en comprenant de quoi on parlait exactement. Il ne s’agissait pas juste d’attacher le bout d’une laisse mais de ne laisser que quelques maillons à l’alpha, exactement comme cela avait été fait lors de la première rencontre. Il avait cru alors que c’était pour assurer sa sécurité, mais il comprenait à présent que ça n’avait pas été le seul but.

Ils passèrent devant un grand nombre de chambres, minuscules, sur lesquelles étaient installées une pancarte avec un chiffre. Ils s’arrêtèrent finalement devant le numéro 24.

- Nous y sommes. Je vais vérifier si tout va bien et lui faire crocheter ses menottes au cas où.

Nath acquiesça doucement et déglutit en voyant le garde prendre des précautions, commençant par ouvrir un petit volet pour regarder à l’intérieur de la chambre avant d’ouvrir la porte qui était lourdement barrée. C’était une cellule plus qu’autre chose décida-t-il alors. C’était si différent de ce qu’il avait lui-même conçu… mais lorsqu’il put enfin rentrer, il se rendit compte à quel point il s’était fourvoyé. Ce n’était pas « si différent », ça n’avait simplement rien à voir. Lidseï se tenait debout, avachi contre un mur, au plus près d’un crochet à laquelle sa laisse, très tendue, était accrochée. Il tremblait et même ainsi, il emplissait pratiquement tout l’espace. Une couchette sommaire sans drap ni couverture, formant à peine un banc en bois dans lequel la forme d’un corps s’était creusée à force d’usage se tenait sur le côté. Un trou d’évacuation, à même le sol, permettait visiblement de faire ses besoins et c’était tout. Il n’y avait rien d’autres à part peut-être, l’éclairage sommaire au plafond. Nath hésita un instant avant de rattraper Sido, sans même prendre la peine de dire le moindre mot à l’alpha.

- Excusez-moi !
- Oui ?
- Serait-il possible que sa laisse soit au niveau de la couchette, s’il-vous-plait ?
- Oh… Euh… Oui. Oui, je devrais y arriver.
- Merci beaucoup.

Le bêta revint, sortit la télécommande qu’il montra manifestement à Lidseï qui recula vaguement et ne bougea plus pendant qu’on le détachait. Il suivit sagement le garde jusqu’à la couchette où il s’assit avec un certain soulagement, cela faisait plus de dix heures qu’ils le forçaient à rester debout et ses jambes ne tenaient vraiment plus. Elles semblaient faites d’une substance molle et flageolante. Nath ajouta doucement :

- Et est-ce que vous pourriez lui laisser un peu plus de longueur ?
- Ah désolé, je suis déjà au maximum autorisé pour lui…
- Le maximum autorisé ?
- C’est une punition longue… Je ne peux pas faire mieux.
- D’accord… Merci.

Le bêta hocha de la tête tranquillement, avec un sourire un peu pincé et lâcha un « soit sage » sévère en direction de l’alpha avant de sortir. Il n’en pouvait sincèrement plus de punir ce genre d’alphas… Nath soupira en observant la porte de la petite cellule qui s’était rabattue sur lui, puis il se frotta la tête et lâcha sombrement :

- Salut…

Aucune réponse ne vint. Lidseï n’avait pas assez de marge pour se coucher réellement, mais il avait adopté une posture de repos, avachi contre les murs, les genoux relevés vers sa poitrine et les yeux mi-clos. Nath prit un véritable moment pour le détailler, de grandes cernes marquées son visage. Il était mal habillé et ne portait ni chaussettes, ni chaussures pour cacher ses pieds sales et sans doute gelés qui se blottissaient l’un contre l’autre. La cicatrice qui barrait son sourcil était parfaitement éclairée, la rendant un peu plus visible qu’elle ne l’était en réalité.

- C’est donc ici que tu vis… murmura Nath, juste pour combler un peu le silence.

Lidseï détourna un peu plus le visage comme pour refuser la discussion, mettant l’oméga de plus en plus mal à l’aise. Il y avait un aspect vraiment tragique dans cette vision. Nath avait la sensation pour la première fois de sa vie de toucher à la misère humaine.

- Est-ce qu’il y a quelque chose que tu voudrais que je te ramène… pour la prochaine fois ?

Il faillit ajouter « quelque chose de raisonnable » mais se retient, préférant voir ce que Lidseï pouvait demander de but en blanc. L’alpha resta étrangement silencieux. Il ne montrait même pas de signe d’attention, d’écoute ou de compréhension.

- Oh allez, tu dois bien avoir quelques idées non ?

L’alpha ferma complètement les yeux et murmura si doucement que Nath eut du mal à l’entendre.

- Je ne veux pas être puni.
- Je comprends. Je ne veux pas que tu sois puni, moi non plus, mais il y a sans doute pleins de choses que tu pourrais me demander malgré tout.

Lidseï glissa sa langue à la jonction de ses lèvres, pour essayer de les humidier. Il avait vraiment soif, mais il n’en dit rien, se contentant de chuchoter :

-Comme quoi ?
- Et bien… peut-être quelque chose à manger ? Ou quelque chose pour améliorer les choses ici ?

Lidseï baissa un peu la tête, puis fit « non » en la secouant sans ajouter la moindre chose. Tout pouvait énerver les gardiens et Atkins, il en avait parfaitement conscience. Tout arrivait déjà à les énerver. Tout. Prévoir ce qui les conduirait concrètement à le punir devenait de plus en plus difficile. Doucement, sur un ton qui se voulait rassurant, Nath lui demanda :

- Est-ce ça t’embête que je vienne te voir ici ?
- Non…
- Parfait, alors je reviendrais ici la prochaine fois. Autant t’épargner un trajet… Même si je suppose que tu es mieux installé là-haut.

Il y eut un instant de silence avant que la voix profonde de l’alpha ne s’élève à nouveau.

- Combien ?
- Quoi ? demanda Nath, un peu bêtement, surpris par la question qui n’avait pas le moindre sens à ses yeux.
- Combien de fois… vous allez revenir ?
- Et bien jusqu’à ce que l’on soit assez à l’aise, tous les deux, pour que tu puisses venir me voir chez moi, puis jusqu’à ce que tu sois assez bien pour rester.
- Moi ou un autre.

L’alpha n’avait pas bougé, ses yeux étaient restés clos, sa voix égale à elle-même. Il ne semblait rien ressentir de particulier. Ses pieds, effectivement gelés, se frottèrent légèrement l’un contre l’autre avant qu’il ne cesse comme s’il s’était rendu compte de ses propres mouvements. Nath garda les yeux rivés sur ses pieds mais il se força à garder un ton léger, bien loin de ses propres émotions.

- Oh. Je suppose qu’on ne t’a pas expliqué. Attends ! Je te fais toute l’histoire. Dans cette zone, il y a des années maintenant, vivait un alpha, Merwan. Il a réussi à changer énormément de choses dans les zones communes et depuis, on expérimente des programmes divers et variés. Je me suis proposé pour l’un d’entre eux. J’ai rempli un dossier, avec mon futur lieu de vie, ce que j’aime, ce que je n’aime pas et pleins de détails sur moi. Le dossier a été envoyé à un groupe d’alphas composé par Merwan. Ils ont des dossiers d’omégas qui se proposent et des dossiers d’alphas en attente. Enfin différents tas de dossier en fonction des programmes je pense… Bref…

Nath hésita un instant puis reprit.

- C’est ce groupe d’alpha qui a estimé qu’on irait bien ensemble. Il n’y a que toi. Je ne vois pas d’autres alphas potentiels et tu ne verras pas d’autres omégas potentiels… A moins que j’abandonne, je suppose.

L’alpha avait rouvert les yeux et le fixait à présent de ses yeux noirs d’encres. Aucune émotion particulière ne s’y reflétait. Nath assura :

- Je ne compte pas abandonner. En faites… J’aimerais apprendre à te connaitre. Ils n’ont sans doute pas décider de nous présenter pour rien. Est-ce que tu n’es pas curieux toi ?
- Non.
- Non ?
- Non…

Lidseï hésita un moment avant d’avouer :

- Je suis fatigué.

C’était une évidence. Il suffisait de le voir pour en être certain d’ailleurs. Gentiment, Nath demanda :

- Tu veux que je revienne une prochaine fois ?
- Si vous partez… Ils vont revenir me chercher.
- Ah… D’accord. Bon et bien écoute, je vais m’installer là… Et tu n’as qu’à dormir un moment.

Du haut de sa couchette, le grand corps sembla se crisper un peu plus puis il fit « non » de la tête, refusant un tel arrangement.

- Le sol est propre, ne t’inquiètes pas. Répondit Nath tout en s’asseyant loin du trou d’aisance même s’il ne semblait pas avoir servi depuis très longtemps.
- Si vous êtes curieux, je suis d’accord pour répondre à vos questions.
- Tu ne préfères pas dormir ?

Lidseï se tut, hésitant à répondre qu’il serait puni si l’un des bêtas s’en apercevait. Voyant qu’il se refermait un peu plus encore, Nath enchaîna.

- C’est comme tu veux.
- Vos questions ?
- D’accord… alors disons… qu’est-ce que tu aimes faire de tes journées ?

Le regard perdu qui lui répondit lui brisa le cœur. L’alpha s’humidifia les lèvres une nouvelle fois, hésita, cherchant une réponse quelconque, puis proposa sur un ton si interrogatif que Nath en eut mal :

- Me reposer ?

***

En rentrant chez lui ce soir-là, Nath avait comme un goût amer dans la bouche. Il vivait dans un petit appartement, tout contre sa future zone commune. Il avait conçu lui-même une partie des plans et choisi les équipements nécessaires à ses yeux. C’était encore en construction, mais à chaque fois qu’il rentrait, il faisait un petit détour pour voir l’avancée des travaux. Comme il était tard, il n’y avait plus le moindre alpha sur le chantier, mais pendant la journée ils étaient nombreux. Les bêtas l’étaient encore plus et quelques omégas, maître d’œuvres pour la plupart les accompagnaient.

Habituellement, voir les murs encore bruts parvenaient à le faire sourire, mais cette fois-ci, il ne se sentit pas plus heureux. Il rentra dans le chantier, gravit la pente douce qui permettait d’aller jusqu’aux halls. C’était une très grande entrée dans lequel il y aurait en permanence une personne à l’accueil afin de guider les visiteurs. Il avait voulu que l’endroit soit très chaleureux, mais ça ne se verrait pas immédiatement. Cette entrée était comme un sas entre l’extérieur et les alphas qui seraient gardés ici. Seuls les visiteurs viendraient par-là, d’autres entrées et sorties secondaires permettraient de faire rentrer et sortir les alphas en toutes discrétions. Oh pas qu’il veuille les cacher, non, mais il pensait surtout au confort de tous. Il avait essayé de réfléchir pour minimiser le risque de punitions et pour cela il pensait que les alphas devaient être à l’aise. A cette pensée, il baissa un peu la tête et serra les mâchoires.

En avançant jusqu’au bout du hall, on trouvait un ascenseur serti de deux grands escaliers permettant de monter au second étage, puis au troisième. Les rampes avaient déjà été posées, alors il glissa les doigts dessus tout en gravissant l’édifice pour rejoindre le dernier étage. C’était là qu’il avait conçu ses propres appartements. Tout près des escaliers et de l’ascenseur, pour plus de praticités. Ils étaient plus grands que la majorité des appartements présents. En faites, il n’y en avait que trois qui soient aussi grands dans toute la bâtisse. C’était ce qu’il avait nommé « les appartements de couples ». Ils étaient conçus pour trois personnes, deux adultes et potentiellement un enfant. Ce n’était que des résidents permanents des zones communes qui y auraient accès. Comme cela se faisait souvent, dans chacun, on trouvait une chambre commune, une chambre d’enfant et une chambre isolable, pour l’alpha. Ce fut là qu’il se rendit. Il ouvrit la porte, déjà posée, et observa l’espace en silence. Les meubles n’étaient pas encore arrivés, mais ce qu’il vit ne lui plut pas.

Dans un espace aussi vaste, il fallait faire des concessions. Cette chambre n’avait pas de fenêtre. En échange, il avait réussi à obtenir une fenêtre dans la chambre commune, dans la chambre d’enfant mais également dans le salon. Tous les appartements collaient la façade pour être aussi lumineux que possible et au centre du bâtiment, des puits de lumières venaient agrémenter tout cela. Il aurait pu en rajouter un, au-dessus de ces chambres, mais les fenêtres étaient des risques pour la sécurité et c’était pour ça qu’il ne l’avait pas fait. La vision de Lidseï dans cette pièce si sombre, vaguement éclairée artificiellement, revient le hanter. Il avait détesté ce qu’il avait vu là-bas. L’humidité, le froid, la laisse continuellement courte, l’absence totale de confort… Son alpha ne savait même pas ce qu’il pourrait aimer faire !

Dans chaque chambre d’alpha, il avait prévu un lit simple quoique très grand pour contenir les gabarits les plus épais. Lidseï ne faisait pas partie de ceux-là, il était plutôt petit pour un alpha. Il avait prévu un meuble sécurisable, contenant les vêtements de l’alpha mais pouvant être entièrement verrouillé si la sécurité l’imposait et un petit espace « à remplir » en fonction des préférences de chacun. Il y avait assez de place pour installer une machine ou deux de musculations ou n’importe quoi d’autres. Ainsi même à l’isolement, si une telle chose devait se produire, l’alpha ne serait pas totalement désœuvré.

Au début, au moins au début, Lidseï dormirait là. Nath avait choisi une literie confortable, il l’avait lui-même testée, des draps de bonnes factures et une série de couettes en fonction des saisons et des préférences des uns et des autres. Se reposer. Il ferma les yeux alors que la voix, interrogative, de l’alpha lui revenait à l’esprit. Aimait-il le confort ? Aimerait-il cet espace ? Nath se laissa glisser le long d’un mur, blanc, et se retrouva au sol. En levant la tête, il observa l’unique luminaire qu’il avait choisi et fait installer. Il offrait un éclairage doux et tamisé. Ça lui avait semblé approprié à l’époque, mais aujourd’hui, il aurait préféré une lumière agressive qui n’aurait en rien pu lui rappeler la cellule sordide dans laquelle il venait d’abandonner Lidseï. Partir sans l’emmener avait été horriblement dur, mais il n’avait pas réellement le choix. Nath ne lui en avait pas encore parlé, mais il y avait toute une série de critères qu’ils devaient remplir ensemble avant qu’il ne puisse le sortir de là.

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