Après avoir passé l'arme à gauche

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Défi : Votre personnage meurt et se retrouve dans un endroit complètement inconnu. à vous de me décrire à travers ses yeux ce qu'il voit (ce peut être un jardin, une ville ou même le néant).

Il n'y a rien. Quoique, c'est un mensonge. Il n'y a pas « rien » mais...

D'abord, je vois des arbres de toutes sortes et de toutes tailles remplir mon champ de vision. Mais ce n'est pas une forêt, les arbres jonchent la plaine dont l'herbe ne donne aucune sensation au touché contrairement à l'herbe dans le monde des vivants. Il n'y a personne autour de moi, pas même l'ombre d'un esprit ou quelque chose de ce style, rien, personne, seulement moi. Des ramilles blanches de givres à terre, des pommes de pin, des fruits de toutes sortes dont certaines que je connais même pas, le terrain en est couvert de toute part.

Je marche bien que mes pieds ne touchent pas véritablement le sol, sol qui est au final inexistant. Il est là sans être vraiment là. C'est étrange, je l'accorde. Le temps n'existe pas ou plutôt n'existe plus, peut-être même que c'est un concept d'humains... J'avance en quête de quelque chose et non pas de quelqu'un, j'ai assez donné, essayé, et voilà comment on me remercie, en me tuant ? Sacré mort d'ailleurs ! Mon rire se répercute à travers la plaine. Soudain, au loin, l'ombre d'une montagne se dessine. Je m'avance encore et encore jusqu'à commencer à apercevoir les ossements, les crânes des personnes qui ont dû passés par là.

Mon regard se fige sur la montagne. Là. Là-haut, il y a une figure dont je n'arrive pas vraiment à distinguer, à décrire. Mon regard tombe. Je reprends mon chemin en débutant l'ascension. La montagne - si s’en est vraiment une - est couverte d’une poussière noire, peut-être que ce sont des cendres, d’ossements humains et de bulles flottant au-dessus de ces mêmes ossements. En traversant ces bulles, j’entends. J’entends toutes ces voix, je ressens toutes ces émotions, toute cette colère qui les anime. Cela ne m’affecte pas. Je me sens bien ici, tout est calme et silencieux, je me sens en paix.

N’est-ce donc pas ça la mort ? La paix intérieure ? Enfin, je ressens aussi une profonde rage, une profonde haine envers ceux qui m’ont tout arraché jusqu’à la fin mais je me sens en paix. Sacré paradoxe.

Le temps n’existe pas, il n’existe plus mais je le ressens encore. La montée est longue et fastidieuse, mon regard est attiré par le décor et les souvenirs d’autrefois, de ceux qui ont gravi ce lieu sinistre. Le ciel si vaste, si majestueux est d’une noirceur terrifiante, plus tu le regardes plus tu es aspiré par la pénombre, avalé, dévoré jusqu’à ce que ton âme lâche un dernier cri. Le ciel ici c’est une assuétude, une dépendance dont notre âme s’y attache comme du métal sur un aimant.

Au sommet, il n’y a rien. Oh ça aussi, c’est un mensonge. Au sommet, il y a un large bâtiment sans porte ni fenêtre. Sans rien faire, je m’y retrouve à l’intérieur, enfermé comme un lion en cage. Soudainement, ma vision me lâche, la noirceur m’avale, mes émotions explosent comme un volcan furieux.

Et là… j’entends, je l’entends cette voix ni masculine ni féminine, d’une clarté sans égale qui inspire à la crainte et également à la fascination.

« Curieuse âme, ici voilà. La mort ne t’a jamais effrayé, terrifié, tu ne m’as jamais haï. Tu es morte avec le sourire, résignée mais également bouillante de rage, de haine, de colère. Et pourtant tu es en paix. Voilà bien des centaines d’années que je n’ai pas croisé ce type d’âme d’un paradoxe étonnant… Inébriant, fascinant, oui. Sache ma chère que la mort n’est pas la fin absolue, c’est la prochaine aventure. Va donc, parcourt ces plaines immenses, découvre et apprend, peut-être que tu seras la première à atteindre le sommet. »

L’excitation arrive, m’envahit. Et je me retrouve dans la plaine à l’exact endroit où j’ai ouvert les yeux. Une aventure ? Génial ! Je me fiche que je sois morte, que je sois dans un lieu aussi terrifiant que fascinant. La mort, en fait, c’est la prochaine aventure.

La plaine, c’est la même. Terrifiante plaine, je vous dis. Mais cette fois-ci, les ossements se trouvent parmi les ramilles, les pommes de pin et les fruits. Le vent souffle, je marche encore et encore.

La plaine est vaste. Les arbres ne se ressemblent pas, ils murmurent quand je passe, ils murmurent des choses que de jeunes oreilles ne doivent pas entendre. Je passe, j’entends les murmures désespérés des âmes prises au piège, des âmes dont la désillusion les avaient frappé violemment. Je passe, je marche, j’admire, je contemple. Quel magnifique paysage ! Si enivrant, si fascinant…

Le temps, c’est une perception. La vie, c’est une perception. La mort, elle aussi, est une perception. On entend que la vie est belle, mérite d’être vécue, qu’elle doit être aimée et chérie mais que la mort, c’est le vilain petit canard, celui dont on ne veut pas, dont on déteste. Mais voilà, je n’ai jamais aimé la vie, la trouvant mensongère et difficile, d'une hypocrisie si forte, je l’ai même haïe par moment.

Les beautés de la vie ? Je les ai trouvés.

J’avance, je marche encore et encore. Les arbres disparaissent peu à peu de mon champ de vision, ils sont remplacés par des buissons dont j’aperçois des petites branches, des fruits. Le ciel reste le même bien que j’aperçois une lueur violette dans le ciel, des ombres rapides dont leurs ailes leurs permettent de provoquer des rafales de vent. Je m’arrête les entendant me rapprocher de moi comme si je ne suis qu’une distraction ou le bouffon d’un roi. Bien que je n’entends que des cris, des mots se forment dans mon esprit.

Et je comprends. Que c’est fascinant. Ils se posent sur l’unique arbre se trouvant dans la plaine, là où je suis. Cet arbre est immense, il danse, il vibre, il me fait frissonner sans savoir pourquoi. Ces oiseaux, je suppose, me fixent. Ils parlent tout en me fixant.

Je me remets à marcher, passant l’arbre de quelques mètres. Des ombres se dessinent. Des gens, des humains, je suppose. Morts de vieillesse, d’accidents ou de meurtres peut-être… Ils forment une foule.

Je les contourne. Leurs voix unies crient, leurs âmes hurlent de rage contre moi sans que je ne sache pourquoi. Oh si, je comprends. Ce sont toutes les personnes qui m’ont arraché une chose ou deux durant ma vie, détruit jusqu’à qu’il ne reste qu’une coquille vide telle la coquille d’un escargot vide.

Mes paupières se ferment. La foule disparaît. Le silence revient. La mort, c’est atteindre son ataraxie. Ou plutôt cette paix que j’ai tant voulu atteindre quand j’étais encore en vie.

J’ai trouvé une rivière. Des plaines et des plaines, oui, je les ai toutes traversées évitant foule et oiseaux qui ne sont que des commères, des personnes que je déteste particulièrement.

Pour la première fois, je vois mon apparence grâce au reflet de l’eau. La peau hâve, des cernes noires autour des yeux montrant le manque de sommeil avant ma mort, le corps fantomatique, transparent, vêtu des mêmes vêtements que je portais au moment de ma mort, et j’ai un couteau planté dans mon estomac. Du sang coule en continue de mes plaies, de mes blessures physiques comme mentales. Et je reste là à m’observer longuement.

Le reflet change. Et je revois le moment de ma mort, comme si je regardais un film ou une vidéo. Je les vois se fendre la poire après m’avoir tabassé, m’avoir poignardé à mort. Je les vois prononcer des paroles qui n’ont ni queue ni tête.

Ils me regardent, s’éloignent les yeux écarquillés d’horreur alors qu’ils réalisent qu’ils m’ont tué. La police arrive, l’ambulance aussi. La police les arrête, l’ambulance m’emmène à la morgue. L’enterrement passe, c’est un enterrement solitaire, seule une personne se montre, paie ses respects.

Dans la mort, j’ai souri. Heureuse. C’est étrange oui mais c’est un profond soulagement pour mon âme, pour moi-même. J’ai passé l’arme à gauche en ayant fait tout en mon pouvoir pour profiter des beautés cachées du monde. La mort ne m’a pas déçu, au contraire elle m’a surprise. Je marche, je visite, je découvre les beautés de la mort… Mais on ne peut pas en dire autant pour les autres âmes.

Car, la mort, c’est une perception différente pour tous.

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