Indésirables ( 4/4)

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Les bruits de casse appartenant désormais au passé, Rahyel se concentra laborieusement sur la scène. Observa les soldats goupils qui inspectaient les marchandises. S'y intéressa à son tour. Les pots en terre cuite comme les grands sacs en tissu contenaient tous des plantes en morceaux, en poudre ou séchées. Astragale, ginseng, fleurs de sophora... Rien de bien surprenant. Ces espèces communes avaient leur place dans une herboristerie. La mauvaise surprise aurait été de trouver l'une de ces maudites fleurs propices aux rites hérétiques.

— Sens-tu quelque chose ? demanda-t-il à Elyas.

Ce dernier huma encore le sac qu'il tenait avant de répondre :

— Non... rien. Mais il y a tellement d'odeurs ici, c'est dur d'identifier celles qu'on cherche.

Rahyel réprima un soupir. Si un goupil à l'odorat aussi fin que celui de son assistant éprouvait des difficultés à repérer les marchandises prohibées, la tâche s'avérerait bien plus ardue pour ses pairs. Tant pis. Il s'en accommoderait. Il laissa la fouille aux goupils pour se pencher plus longuement sur les livres de compte.

De ce qu'il lisait, la boutique avait bien vécu un léger regain d'activité. Elle le devait à l'ajout d'un produit cosmétique à son catalogue, une première dans sa longue histoire. Il s'agissait d'une poudre pour parfumer les cheveux à chaque lavage, dont le coût dérisoire avait attiré les jeunes filles. L'approche du mariage princier avait accéléré les ventes. Rien de sorcier dans cette histoire. L'accusation proviendrait-elle d'une volonté de nuire à une rivale prometteuse ? Les soupçons du Général Hastern sur ce cas en particulier ne sortaient pas de la tête du Prince.

Il parcourut les autres documents à sa disposition, sans mettre la main sur la recette secrète du soin. Forcément. Elle se devait d'être bien cachée. Le jeune homme nota toutefois que les autres papiers semblaient en règle. Aucun ne mentionnait une dérogation pour détenir une quelconque fleur interdite et aucune n'avait été retrouvée pour l'instant. Ce qui était plutôt bon signe pour la propriétaire. Peut-être échapperait-elle au bûcher.

Rahyel allait appeler son assistant pour qu'ils vérifient ensemble les pots de poudre et leur composition, mais Elyas le prit de court :

— Altesse ! Je crois... avoir senti quelque chose.

Toute l'attention se focalisa aussitôt sur le goupil qui ne cessait de renifler une lourde armoire délabrée. Elle avait déjà été inspectée et violemment vidée par les peupléens de Hastern. Une bonne partie de son contenu avait fini fracassée au sol. Sur les étagères, quelques ustensiles comme des mortiers ou des pilons avaient survécu au cataclysme, en plus de babioles de mauvais goût. À première vue, rien ne sortait de l'ordinaire. Elyas s'intéressait à l'arrière du meuble quand Rahyel le rejoignit. Ce dernier remarqua des traces si légères sur le tapis miteux qu'elles passaient presque inaperçues au milieu des débris. L'agacement face un tel travail bâclé céda vite sa place à la curiosité.. La brutalité des soldats ne pouvait être la cause de ces marques, puisqu'elles suggéraient que quelqu'un pivotait l'armoire assez souvent pour abîmer le tissu.

— Regardez, elle n'est pas collée au mur... signala le jeune assistant.

Effectivement. Soit elle avait été déplacée à cause des fouilles... soit elle avait été remise en place à la hâte. L'ordre ne tarda pas : il fallait la bouger. La tâche accomplie et le tapis retiré, une trappe se révéla à eux. La tension monta d'un cran. La vieille femme fut traînée de force dans l'arrière-boutique pour s'expliquer.

— Pourquoi ne nous en as-tu pas parlé ? l'agressa d'entrée de jeu le capitaine Ormand.

— Ce... Ce n'est qu'une cave...

— Que contient-elle ? la pressa Rahyel, impartial.

Entre deux sanglots, elle leur assura qu'elle n'y entreposait que du vieux matériel et autres encombrants. Pourtant, elle se crispa quelque peu quand le Prince autorisa une descente. De plus en plus tendu par la tournure des événements, ce dernier ne put que regarder avec appréhension les deux volontaires qui s'enfonçaient dans le sol avant de disparaître. N'ayant pas la permission d'entrer, car Rahyel craignaient qu'ils ne détectent pas un éventuel piège magique, ils assurèrent que personne ne se trouvait dans la pièce à première vue et qu'elle correspondait aux dires de la femme, à un détail près :

— C'est un peu trop bien rangé pour un débarras !

Décidément, les mauvais signes s'accumulaient... Bien conscient qu'il ne s'agissait là que d'un premier visuel avant qu'un groupe de renfort n'investisse réellement le sous-sol, Rahyel décida tout de même de descendre à son tour.

— Votre Altesse ! le retint Ormand. Ce n'est pas prudent. Attendez au moins que plus de peupléens sécurisent la zone.

Hors de question. Il ne laisserait pas des incompétents souiller encore de nouvelles preuves. Il s'y rendrait le premier.

Sur ce, il esquissa un premier pas.

— Mais... ! protesta encore son subalterne.

— Je ne crains rien, capitaine, trancha-t-il froidement tout en valorisant son sabre.

Bien décidé à agir comme il l'entendait, le Prince coupla son geste à un regard qui n'appelait à aucune réplique.

— Bien, Votre Altesse... se résigna l'officier.

Sa volonté satisfaite, le jeune homme se tourna alors vers Elyas, dont les yeux d'or venaient de perdre en éclat : lui aussi avait espéré le voir renoncer. Pourtant, il n'avait pas renchéri. Il savait à quel point son maître pouvait se montrer borné dans ce genre de situation.

— Allons-y, l'exhorta ce dernier.

En un clin d'œil, le duo passait déjà la trappe.

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