Amour chimérique (2/4)

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Enfin seuls...


Loin du rugissement des festivités, les parures de la bonne société tombèrent. Rahyel glissa les doigts dans ses cheveux pour les remettre en désordre. Il se sentit bien mieux. Du moins... autant qu'il en était possible face à ce qui se profilait. Il redoutait de découvrir le vrai visage de la Princesse. Se montrerait-elle plus hostile sans autre public que lui ?


Il avait bien tenté de lui proposer une collation, afin de calmer leurs esprits épuisés, mais elle avait poliment refusé. Elle voulait se débarrasser au plus vite de la dernière épreuve de cette journée. Ce qu'il comprenait. Tous deux n'occultaient pas l'enjeu de cette première nuit. Le repos viendrait après.


Le jeune homme avait troqué son kimono de mariage contre un simple pantalon et un haut entrouvert. Il alla s'installer sans conviction sur le bord du lit. Tout son corps rejetait l'idée de forcer une relation avec une inconnue. Sa tête tempérait tant bien que mal ce refus. Se répéter d'honorer son nouvel engagement ne l'aida en rien.


Face à lui, derrière les paravents en papier décoré, des ombres dansantes se muèrent en un corps de chair. Ismara avait détaché sa chevelure, qui ondulait jusqu'aux hanches le long d'une tunique rose pâle. Celle-ci s'arrêtait à mi-cuisse, ce qui mettait en valeur les longues jambes caramel laissées pieds nus.


Rahyel ne pensait pas qu'il serait sensible à son charme... Cela ne changea pour autant son sentiment. Partager sa couche avec une inconnue ne l'excitait guère.


La belle lui adressa un rapide sourire, qu'il ne sut interpréter. Il nota toutefois qu'elle ne sortait toujours pas les griffes. Ce fait ne cessait de l'étonner. Le Prince continua à observer la jeune femme à la dérobée, pendant qu'elle éteignait quelques bougies dans un vain espoir de retarder son destin. Son empressement avait été chassé par de l'appréhension. Ainsi que de la curiosité. Ismara accorda elle aussi quelques coups d'œil furtifs à son mari, qui commença à la penser sincère dans ses intentions. Peut-être avait-elle mis, d'une façon ou d'une autre, ses griefs de côté. Peut-être, tout comme lui, espérait-elle seulement un peu de douceur à l'aube de sa nouvelle vie...


Ils continuèrent à croiser les regards, à se rencontrer de manière plus personnelle que devant l'autel, jusqu'à ce que la diversion arrive à son terme. La Princesse ne pouvait décemment pas souffler toutes les flammes. À court d'option, elle resta statufiée dans la semi-pénombre environnante. Une énième indécision, inspiration, puis le courage la saisit. Elle s'assit à l'autre bout du lit.


Silence. Aucun ne bougea. Chacun fixa une direction différente.


Cette fois-ci, le jeune marié identifia parfaitement la gêne de sa partenaire, qui le renvoyait à la sienne. Malédiction. Pourquoi se retrouvaient-ils dans un telle situation ? Parce que le mariage devait être consommé. Tout simplement. Que la tradition leur convienne ou non n'importait pas. Il fallait se lancer... alors autant en finir au plus vite.


Surmontant sa réserve, sa main navigua sur une mer de soie, essuya plusieurs échecs, avant de frôler les doigts vernis de blanc, de les toucher, de les conquérir en toute courtoisie. Une raideur se nicha entre eux, inexistante lorsqu'ils avaient fui la fête, mais désormais difficile à contourner. La réciprocité des échanges s'avéra difficile. Un moment fut nécessaire pour que le naturel s'installe.


Rassuré, Rahyel osa ancrer son regard dans celui d'Ismara qui ne flancha pas. Au contraire, elle l'autorisa à s'aventurer plus avant sur son bras. Elle aussi partageait cette envie de conquête rapide, tant pour prouver sa loyauté envers son nouveau pays que pour écourter ce long moment de gêne. Courageuse, elle accepta que son partenaire la guide dans les terres inconnues du devoir conjugal. Alors, en douceur, le Prince se risqua un peu plus haut à chaque montée sur la manche protectrice. Le coude, l'épaule, la nuque...


L'assurance gagnée, il anéantit la distance qui séparait leurs deux corps. Il poursuivit son exploration. Chaque muscle se crispait à mesure qu'il descendait vers le creux du dos. Rahyel sentit un doute, l'ignora. Nota trop tard que la Princesse s'était tendue. Sans avertissement, elle fuit son emprise et se releva pour y échapper de manière définitive. Perdu, il ne comprit pas sa méprise. S'était-il montré trop intrusif ? Il scruta les mouvements de son épouse, en quête d'un indice. Cette dernière se contenta de contourner le lit, puis plongea sous les draps. Mieux installée, elle darda sur lui un regard provocateur, qui masquait à peine son malaise.


La confusion mit à mal la confiance du Prince. À quoi jouait-elle ?


Les iris vertes le défiaient toujours de les rejoindre. Il y consentit et s'allongea aux côtés de leur propriétaire. Les secondes s'écoulaient, silencieuses ; l'échange muet se prolongeait entre les deux âmes. Avec prudence, l'héritière de Jawiad s'empara de la main de celui d'Amaraï, l'autorisant à s'avancer. Le jeu de paumes en entraîna un autre, les sobres caresses reprirent, hésitantes, vite suivies d'un frisson qui détonna. Cette fois, Rahyel ne renouvela pas son erreur. Il maintint un contact visuel avec sa compagne. Ainsi, il la rassurait, lui montrait qu'il lui suffisait d'un geste, et il reculerait.


Sensible à cette marque d'attention, la Princesse souhaita accélérer la cadence, accorder une affection maladroite, un simple baiser. Le jeune homme se déroba. Cette marque d'amour lui parut inappropriée dans ce contexte. Trop cynique, même pour lui. Ismara le comprit. Regretta. S'excusa d'une caresse sur la joue, acceptée. Rahyel s'abandonna au creux de cette tendresse. Progressivement, les nez se rapprochèrent et les fronts se touchèrent. Comme une autre manière de s'embrasser...


Paupières closes, les mariés savourèrent ce moment, le premier non teinté par le devoir. Ils le sentaient. Un lien se créait. Ils partageaient la même infortune, mais surmonteraient cette épreuve. Ensemble.

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