Chapitre 8

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 À ma sortie, je m’étais renseigné sur Internet. En droit belge, l’expression garde à vue n’existe pas. C’est à cause des polars français que nous avons hérité de ce terme. Chez nous, nous parlons d’arrestation judiciaire. Je figurais donc sous le coup d’une arrestation judiciaire ! Kinovsky m’avait lancé avec ironie : c’est donnant donnant !

 Ce salopard voulait surtout me donner une bonne leçon. Ah ! ça vous fait marrer, ça ! Il me dit de m’estimer heureux qu’il ne m’inculpe pas d’entrave à la justice. Putain ! je crus que j’allais pisser dans mon froc quand on me passa les menottes. Il y avait mis les formes, le Kinovsky. Sale type !

 Je me tenais assis là sur ma couchette, comme un con, me rongeant les sangs. Pourquoi m’humilier, moi, de la sorte ? J’avais fait preuve de bonne foi, tout de même !

 Marc et moi n’avions pas l’esprit à mal ! Je voulais juste voir mon appart ! Merde, quoi ! Ah non ! les scellés, c’est sacré ! Et gnagnagna et gnagnagna : j’entendais encore ses foutues récriminations :

 — L’individualisme du citoyen est tel qu’il trouve normal d’ignorer la loi ! Il minimise la gravité de ses actes parce que in fine, il n’y a pas mort d’homme. Vous avez intérêt, monsieur Mangon, à jouer dorénavant franc-jeu avec moi !

 Voilà le type de phrases qu’il me vociférait au visage, l’index tendu sous mon nez. Un index qui puait le tabac !

 Depuis le début de l’enquête, Kinovsky ne s’expliquait pas pourquoi l’appel de détresse que j’avais lancé avait été géolocalisé à Cointe alors que je me trouvais dans mon appartement. Il en conclut que quelqu’un avait pris mon téléphone. Maintenant, il tenait entre les mains ce portable. La carte SIM avait été retirée pour être réutilisée dans un autre appareil. Pourquoi ? Ça n’avait pas de sens.

 Quelqu’un avait-il voulu se montrer le plus discret possible en espérant que mon GSM soit détruit dans l’incendie ? Mais dans quel but ? Le type au laser ! Si c’était lui qui avait déclenché la catastrophe, pourquoi avait-il alors appelé les pompiers ?

 Je devais en parler à l’inspecteur. Si cet homme était venu bouter le feu pour éliminer un témoin gênant, il savait à présent par les journaux que je n’avais pas péri dans le brasier. Et s’il recommençait ? La nuit passée, il était peut-être entré dans ma chambre pour terminer le travail ! Quel mystère voulait-il préserver au point de tuer quelqu’un ? Il n’avait pas répugné à mettre en danger la vie des locataires de mon immeuble. Un secret d’État !

 — Ouais ! soliloquai-je. Je vais écrire ça dans mon roman : un secret d’État, c’est super, ça ! Un coup d’État : assassiner le Roi en personne ! Non, c’est trop tiré par les cheveux. Abattre le Roi ne changerait rien, à part mettre tous les Belges en émoi ! Qu’est-ce qu’il y a comme type important, chez nous ? Aucun ! Tu en zigouilles un, un autre prend sa place, telles les têtes de l’Hydre. Il doit s’agir d’autre chose. Mais quoi ? Quel rôle occupe dans cette histoire le Mémorial de Cointe ? C’est le point le plus élevé de la ville. Un sniper pourrait prendre position et arroser tous azimuts ! C’est dingue ! Il serait complètement fou de tenter un coup comme ça ! Une fois cerné, il n’aurait aucune retraite possible. À part se jeter dans le vide, je ne vois pas comment il pourrait s’y prendre pour échapper à la capture. Enfin, la nuit porte conseil. J’aviserai demain avec l’inspecteur.

 Je m’allongeai sur le banc pour essayer de dormir.

 Dès huit heures, un gardien me sortit de la cellule d’isolement. Il me tendit les lacets de ma paire de godasses, la ceinture de mon jean et ce que j’avais eu dans les poches avant ma mise au placard. Digne d’un film tout ce cinéma : comme si j’allais me pendre avec mes lacets !

 Pas de Kinovsky à l’horizon. J’avais ruminé toute la nuit ce que j’allais lui dire et voilà qu’il me snobait ! À quoi rimait ce cirque ? On me fit signer un registre et je me retrouvai dans la rue Saint-Léonard, puant le bouc, le menton hérissé de poils de barbe.

 Alors, c’est comme ça ! m’exclamai-je. J’étais vexé que l’inspecteur ne désire pas connaitre ce que j’aurais pu ajouter à mon témoignage. Mais, il savait des choses que j’ignorais. Son manque d’intérêt à mon endroit m’en avait convaincu. Il me voulait dehors ! C’est certain. Mais pourquoi ? Allait-il me faire surveiller ? Je jetai un œil par-dessus mon épaule. Je cherchais un type en civil, un journal entre les mains, avec un air louche et qui m’aurait fixé d’une manière ostensible. Mais rien de tout cela, où alors, il se cachait, bien tapis dans la foule des badauds. Je pris dans ma poche de la monnaie en vue de retourner place Saint-Lambert pour sauter dans le 12 qui me remonterait chez Marc.

 La maison semblait vide. Marc avait oublié de me donner une clé. De mon côté, je n’y avais bien sûr pas songé. Après avoir sonné plusieurs fois, je restai comme un con sur le seuil. En face, quelqu’un m’observait derrière le voile des rideaux. Mon ventre émit quelques borborygmes. Je crevais de faim. Je n’avais pas même bu une boisson. Je me sentais trop sale pour entrer dans un café.

 Les poils de la barbe du matin crissaient sous mes doigts. Je pris un air absent et m’assis sur la marche de calcaire. Le contact froid de la pierre me fit frissonner. Ma mère aurait dit que ça donne des hémorroïdes, de poser son postérieur de la sorte…

 De l’autre côté de la rue, deux visages, à présent, se tenaient derrière la fenêtre. On devait sans doute se demander quel sale coup un type comme ça était en train de préparer. De vrais curieux, dans ce quartier !

 Une voiture arriva. Je reconnus la 206 de Janice. Elle stoppa à ma hauteur et coupa le moteur. J’aurais bien aimé l’embrasser sur la bouche rien que pour voir la gueule des deux fouinards, planqués derrière leurs rideaux ! Elle ne baisa même pas une de mes joues…

 — Tiens, tu tombes bien toi ! Tu vas pouvoir m’aider à rentrer les courses.

 Sans un mot, je la suivis jusqu’au hayon et me saisis de deux grosses poches remplies de victuailles. Elle fit de même, les clés de la maison entre les dents.

 — Tu ne travailles pas ? demandai-je pour la forme.

 Elle marmonna une phrase que je ne compris pas. Le trousseau dans sa bouche étouffait ses mots. Elle déposa un sac contre ses genoux, déverrouilla, donna un coup de reins dans la porte, puis entra en poussant un ouf de satisfaction.

 Je dus encore me saisir de deux casiers de bière, de bouteilles d’eau minérale et d’une imitation de Coca Cola.

 — Où étais-tu passé ? me demanda-t-elle, sans préambule. On t’a attendu pour le souper tant qu’on a pu… Tu aurais pu prévenir, tout de même !

 — J’ai eu un empêchement.

 Je ne savais quoi répondre. Je n’avais pas envie de l’effrayer en lui racontant que j’avais été privé de liberté toute la nuit ! Que j’avais été envoyé au coin comme un élève indiscipliné, car il était question de cela, j’en étais convaincu ! Kinovsky avait voulu marquer le coup, histoire de bien me faire comprendre que je n’avais pas intérêt à jouer au plus malin.

 Janice appela en bas de l’escalier. Orianne descendit sans même me saluer. Elle demanda dans quel sac se trouvaient les chips, fouilla, poussa un cri de satisfaction, puis s’en retourna sans oublier de m’adresser un doigt d’honneur discret en passant sur mes chaussures.

 Sale gamine ! pensai-je. Elle m’avait laissé poireauter sur le trottoir sachant très bien que j’attendais que quelqu’un m’ouvre. Je suis certain qu’elle m’en voulait à mort après l’épisode de la douche. Pourtant, je n’avais rien à me reprocher !

 — Elle ne t’aide pas à ranger les courses ? dis-je pour me venger d’elle.

 — Les examens approchent. Elle a beaucoup de travail, la pauvre !

 — Tu parles ! fis-je en moi-même.

 Janice me confia un sac de produits surgelés qu’elle me demanda de descendre à la cave. Ma corvée terminée, je me changeai après être passé par la salle de bain. Il y avait un loquet à la porte. Je m’empressai de le pousser.

 Rafraichi et présentable, je me préparai un expresso et avalai une tranche de pain tartinée de fromage.

 — Marc est au travail ? demandai-je, étonné de ne pas le trouver à la maison.

 — Ben oui ! Pourquoi cette question ?

 Sans le moindre doute, elle ignorait tout. Marc n’avait pas eu le courage de l’informer de sa mise à pied. Sûr que cela allait barder quand elle en serait informée ! J’espérais juste ne pas me trouver dans les parages à ce moment-là : je n’ai pas l’étoffe d’un héros comme vous pouvez le constater…

 Comme je l’ai dit, la nuit porte conseil. Celle passée au poste m’avait porté à la réflexion. Il en résultait que je devais parler à l’inspecteur Kinovsky de l’homme au laser. Mais, je voulais en savoir plus en vérifiant mes suppositions sur place.

 Je demandai la 206. Janice sembla contrariée. Je prétextai un appartement à visiter. Elle accepta à contrecœur.

 — Tu es prié de ne pas ramener un PV !

 — Marc le fera sauter, répondis-je en boutade.

 — Cela m’étonnerait, il est contre ce genre de passe-droit !

 J’arrivai rue des Hirondelles en moins d’un quart d’heure. Le portail conduisant à la tour était condamné par une chaine cadenassée. Par contre, juste à gauche, celui de l’église du Sacré-Cœur présentait des ventaux grands ouverts. J’engageai la 206 rue des Moineaux et garai la voiture au pied de l’édifice religieux.

 Un jardinier tondait les pelouses. Il me jeta un regard bovin. Je lui lançai un salut de la tête qu’il ne me rendit pas. Il y a des gens comme ça…

 L’air embaumait l’herbe coupée. Avec cette odeur, l’été paraissait plus présent que jamais. Je m’éloignai à grands pas du ronflement assourdissant. Ça, par contre, c’était moins plaisant. On ne peut pas tout avoir…

 Je ne devais parcourir qu’une cinquantaine de mètres. À mi-chemin, je me retournai pour contempler l’immense fresque sur tout un flanc de l’église, composition représentant l’envol de dizaines de grands oiseaux blancs. Cela ressemblait à une œuvre d’artiste de rue. En fait, je ne savais pas si l’exécutant avait reçu l’approbation de quiconque ou avait répondu à une demande.

 En y regardant de plus près, on pouvait se rendre compte que ce gigantesque tableau camouflait bien des défauts en façade.

 Après avoir pris mes renseignements sur Internet, il s’avéra qu’il s’agissait bien d’une commande faite au graffeur français Bonom, commande passée à la dernière minute par la chancellerie du Premier ministre pour les cérémonies du centenaire de 14-18. Comme je m’y attendais, la fresque symbolique montrant une centaine de mouettes, dont l’une porte un coquelicot rouge, était destinée, entre autres, à masquer l’état de décrépitude de l’édifice. Il y avait eu polémique au sujet de cette fresque.

 Il faudra que j’y retourne pour voir le coquelicot, car à l’époque, je ne l’avais pas remarqué.

 Enfin, j’arrivai devant l’entrée principale de la tour. Je levai les yeux à la verticale. Le sommet semblait, telle la proue d’un vaisseau, avancer au milieu des nuages que poussait la brise. Cela me donna le tournis !

 Je fus assez déçu : un volet empêchait d’examiner la porte. Je savais qu’il y avait aussi des points d’accès sur les autres faces de l’édifice. Je me mis donc en exploration.

 J’observais avec minutie les chambranles à la recherche de dégâts qu’aurait pu laisser un outil comme un pied de biche.

 — Je peux vous aider ? fit une voix dans mon dos.

 Je me retournai, surpris. Je n’avais pas entendu arriver le jardinier. Sans nul doute avait-il trouvé mon manège inquiétant.

 — Oui, vous pourriez peut-être m’éclairer. Vous avez eu ces derniers temps un vol ou une tentative d’effraction ? demandai-je avec suffisamment d’aplomb pour ne pas paraitre suspect.

 — Pourquoi cette question ? Vous êtes policier ?

 — Non. Enquêteur, lâchai-je sans réfléchir.

 L’homme semblait perplexe. Il me considéra quelques instants. Il devait s’interroger. Comment réagir face à ce type bizarre qui se tenait devant lui ?

 — S’il y avait eu un problème, je serais au courant, répondit-il enfin.

 — Hum… Et ses trois dernières semaines, il n’y a rien eu de spécial ?

 — Attendez voir…

 Le jardinier pressa son nez du bout de l’index pour se donner le temps de la réflexion. Son visage s’éclaira :

 — Il y a bien eu quelque chose à la Bergerie, un peu plus bas. Ça me revient, maintenant.

 — Et donc ?

 — Un couple désirait faire des photos depuis le point panoramique de la tour. Je me rappelle bien parce que ça a palabré pendant une heure. En dernier recours, ils ont contacté le président de l’ASBL qui a donné son accord exceptionnel.

 — Vous voulez dire qu’ils ont pu monter là-haut ?

 — Ben oui ! C’était le but. Ils voulaient être photographiés avec la ville éclairée derrière eux en arrière-plan.

 — Vous étiez là ?

 — Ouais, j’suis bénévole, fit-il avec une pointe d’orgueil dans la voix.

 — La police est venue vous interroger ?

 — La police ! Non. Pourquoi ?

 L’explication me semblait plausible et je me sentais soulagé : la folie ne me guettait donc pas. Cependant, depuis mon appartement, je n’avais pas remarqué un seul coup de flash. Ou alors, je m’étais éveillé juste après la séance photo.

 Quelqu’un avait dû rester sur place sans que le bénévole s’en rende compte. L’homme au laser agissait peut-être à l’insu de ce couple. Il avait profité de la situation. Dans ce cas, comment s’y était-il pris pour sortir ?

 À l’évidence, il s’était bien passé quelque chose cette nuit-là. Il devenait de plus en plus plausible que ce type m’avait aperçu et qu’il avait tenté de me supprimer. Ce qui n’était pas pour me rassurer.

 L’enquêteur envoyé par Kinovsky avait négligé la piste de la tour. Comment aurait-il pu savoir ? Je devais prévenir l’inspecteur.

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