Tempête

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 Trois jours se suivent sous l'indolence du ciel.

Les baies blanches ne sont finalement pas comestibles, après une rapide analyse.

Ses blessures internes guérissent rapidement – elle n'est pas Loumiane pour rien. Tous les soirs, après une éreintante journée dans la forêt-jungle de cette île, elle retourne à son canot et s'y endort à l'abri. Ayant finalement trouvé une micro-source d'eau potable à l'intérieur des terres, Lotus n'a plus à s'inquiéter pour son hydratation. Quelques coques brunes l'intéressent : elles contiennent de gros quartiers de chair jaunâtre au goût appréciable. Nutriments, calories, minéraux, le nouveau fruit regorge de surprise. Voilà qui pourrait bien sauver le reste de ses aliments de secours.

 Ce soir-là, l'horizon apporte d'inquiétants présages. Elle reconnaît là le temps de son arrivée et craint pour son annexe qui ne tient que par le calme des eaux, le peu de fond et la faiblesse du courant à cet endroit. Elle ne peut tirer le filin, il y a des limites à sa force physique, surtout encore blessée. Il lui faudra bien une semaine de plus pour que l'os de son poignet se ressoude totalement.

Tout en restant prudente, doucement, Lotus s'habitue à sa nouvelle vie. Elle ne sait si elle pourra un jour s'échapper de là, mais au moins vit-elle, et en un seul morceau. Cependant, la créature lui revient suffisamment en mémoire pour enregistrer électroniquement cette impression. Son journal de bord a été détruit avec Oleron, aussi doit-elle tout recommencer ici.

 Le tonnerre gronde et la pluie se met à chuter, petites gouttes fraîches tout d'abord, puis averse en herses glaciales.

https://www.youtube.com/watch?v=AsD5u6k6dKI&t=5217s (à écouter durant ce passage:)

La jeune femme se réfugie dans son canot et ferme l'écoutille, le cœur assombri. Les flots remuent contre la coque. Ils frappent comme s'ils voulaient entrer. Recroquevillée sur son lit-siège, l'ancienne princesse se mord les lèvres, se demandant si elle n'aurait pas dû plutôt se réfugier à l'intérieur de l'île, gardant confiance dans le filin de sécurité maintenant le petit vaisseau près de la plage. Après avoir tout perdu, ou presque, elle ne peut s'y résigner et soupire, tandis que l'ondée martèle l'habitat.

 L'océan bondit sur les langues de sable qu'il noie sans pitié. L'eau soulève la survie qui part à la dérive. Percevant ce mouvement, la Loumiane grimace ; un éclair frappe les vagues déchaînées, plus loin, et son craquement métallique résonne longtemps encore.

 Un chant stoppe ses pensées quand le canot cogne la berge et tire sur sa longe tel un animal effrayé. Le courant l'emporte en oblique, la mer gonfle et rugit sous son fond ; l'arbre auquel est attaché la boule cédera le premier, elle le sait. Ce type de filin est fait pour résister à des tensions bien plus importantes.

 « Le chant... la créature ! » Trois notes presque plaintives. Trois notes ayant suffi à piéger son instinct au plus profond d'elle-même. Ce constat l'alarme et la fascine.

 BAOOooM !

 Lotus sursaute si violemment qu'elle manque tomber de sa couche. Celui-là n'est pas tombé loin ! Comment, si une créature il y a, peut-elle rester au dehors ? Serait-elle un être de l'eau ? C'est fort possible, d'après ce qu'elle a pu en voir. Mais... ne devrait-elle pas s'en assurer ?

Encore, deux notes, plus courtes, plus déchirantes. Cette fois, pas de doute. Et puis, ce n'est pas comme si elle pouvait résister à ces sons. Lotus ouvre l'écoutille ; les embruns s'invitent, le vaisseau devenu nacelle affolée tournoie, laissant l'océan furieux y jeter ses longs cheveux. Le ciel, opaque et noir, fendu d'éclairs jaunes et blancs, rugit sa colère. Elle n'y voit rien, tout se meut si vite, et le vent si fort qui siffle l'empêche de percevoir autre chose à présent.

Non, où est-elle ? L'île n'est plus là !

Le canot, emporté, glisse, sa laisse aussi tendue qu'une lame. Lotus sait à quel point cela peut être dangereux pour n'importe quel être. Quoique pour le moment l'arbre sur la berge tienne bon, elle perçoit dans la forme du tronc qu'il ne tardera pas à lâcher. Lorsqu'il le fera – et il le fera – non seulement le canot partira en tournoyant et l'eau rentrera à l'intérieur, mais son coup de fouet pourrait tuer un être à proximité.

 Là ! Quelque chose affleure, au milieu du remous chaotique de la marée ; une tête ! Oui, c'est bien la tête de la dernière fois, elle en mettrait son tonneau de muhr à l'eau ! Ce qui, littéralement parlant, pourrait tout à fait survenir.

 « Oh non. » La jeune femme vient de remarquer que la créature est coincée entre le ressac et la plage, le câble l'empêchant de s'en libérer. Ne peut-il donc s'enfuir par la terre ? Il n'y a plus de temps pour réfléchir, tout peut partir en vrille à chaque seconde... Si elle plonge en revanche à sa rescousse, le risque de se retrouver aussi coincée est très élevé. Et l'annexe, sa précieuse annexe, ne va-t-elle pas couler ? Refermer la porte par l'extérieur n'est plus réalisable, elle le sait bien depuis l'instant où elle a décidé de la rouvrir.

 Un long cri d'agonie éclaircit subitement son esprit, l'entraînant vers une seule action. Lotus est à l'eau et nage vers la forme, s'agrippant à son filin malmené alors que les vagues la repoussent violemment vers le fond.

 Après plusieurs minutes d'acharnement, déjà épuisée, le poignet brûlant et la hanche de même, la voyageuse l'aperçoit enfin de près.

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