Entraide inattendue

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 Une lame de fond, haute de plus de seize pieds, surgit à cet instant, avalant les distances à la vitesse d'un cheval au galop. Lotus ne peut rien faire. À peine a-t-elle vu cet être étrange dont la couleur de mer et d'algues l'a surprise, que la vague est sur eux, les tirant tout d'abord violemment contre le fil dans cet élan de marée qui piège l'infortuné. Moment s'incrustant en sa rétine à l'instant même où un éclair tombe ; le rouleau tumultueux et transparent attrape leur corps, sciant leur dos, puis, impitoyable, les écrase sur le sable.

 L'ancienne navigatrice, qui sait à quel point ce mouvement peut-être fatal, cogne sa tête si vivement qu'elle pense perdre connaissance ; un claquement l'avertit que l'arbre a cédé.

En un violent coup de pied elle remonte, utilisant le courant éphémère pour s'éjecter du tourment. Son crâne sonne et il lui faudrait immédiatement s'allonger pour ne rien aggraver, or, la créature, également bousculée, est échouée sur la rive, la houle manquant l'emporter une fois encore.

Le câble n'est passé qu'à un cheveu de leur chair. L'arbre s'est déraciné et le canot s'en va, fuyant le long de la berge, la mer se jetant à l'intérieur.

L'angoisse tordant son ventre, la jeune femme se précipite puis, sans songer plus avant, éloigne la créature des flots mortels, l'attrapant par ses épaules.

En effet, des épaules. Et pas seulement. Les bras allant avec, la tête, le cou, le torse. Toutefois, la ressemblance avec la Loumiane s'arrête là : Lotus n'arrive pas à fixer son regard sur la longue queue de poisson aux voiles multiples et emmêlées remplaçant ce qui aurait pu être des jambes.

 Fourbue, elle se laisse retomber à côté, un goût de sang et une âcre douleur à la nuque l'alarmant. La pluie bat son visage. Elle se tourne, observant l'être aux yeux clos : il a dû se blesser et sombrer dans l'inconscience. Elle espère qu'il ira mieux bientôt. Peut-être devrait-elle vérifier ?

La jeune femme se relève avec peine, glacée, et, abasourdie, analyse enfin sa situation : elle vient de sauver quelqu'un de la noyade, a manqué y passer aussi, son navire est parti, comme toutes ses précieuses affaires... De surcroît, cet être ne peut marcher.

https://www.wattpad.com/myworks/273071739-le-tumulte-des-vagues-en-cours (mon dessin de la créature sur Wattpad, mais ce n'est qu'une représentation possible)

Beaucoup d'écailles vertes ornent le bas de son corps, diminuant jusqu'à disparaître à son nombril. Son visage en possède à la mâchoire et sous les yeux. Sa peau turquoise, tirant plus sur le vert que le bleu, est glabre. Ses sourcils sont épais et courts, ses traits fins et ses paupières en amande. De longs cheveux verts, torsadés, s'étalent en étoile.

 « Quelle surprise... cela me rappelle... d'anciens contes... » Perdue dans ses pensées, la Loumiane continue de détailler ce corps étranger dont les reflets semblent jouer de la lumière des tridents électriques. Tant de voiles qui sont, sans doute, des nageoires, sur cette queue si grande, si grande que le bout en est recouvert par les flots.

Approchant la main pour en toucher la texture, elle ne remarque pas l'éveil de la créature. Une poigne la bloque à quelques centimètres de la peau écailleuse. Lotus sursaute et tousse, ne pouvant soustraire son regard à l'autre, confrontation méfiante, curieuse. Un regard animal qui la met mal à l'aise. Que va-t-il faire ?

L'être relâche son bras et, d'une torsion du bassin, roule sur la plage puis se tire jusqu'à l'eau. Sur le poignet de la voyageuse, la marque des doigts y est encore alors qu'il disparaît dans les rouleaux. Elle n'a pas eu le temps de dire un mot, regrette un peu son geste puis se rappelle à son présent : la survie !

 Courbée contre le vent, le sable durci facilitant heureusement sa marche, plus haut vers la berge, l'intrépide aventurière poursuit dans l'espoir de retrouver l'annexe coincée quelque part près de l'île. Le courant tourne autour des côtes, mais, quoiqu'elle connaisse un peu le coin, Lotus ne sait pas où cela pourrait la mener, surtout avec ce temps.

 À chaque tonnerre, le ciel semble lui tomber sur la tête. Le sifflement à ses oreilles ne l'empêche pas d'entendre cette tessiture si particulière provenant de la mer. Un cri d'appel.

 Lorsque cesse le chant marin presque symphonique, elle est à mi-jambes dans l'océan. En vérité, les vagues ici sont bien plus calmes, mais elle peut voir à sa droite leurs effroyables têtes se briser et augmenter le niveau d'eau. C'est un bassin à présent inondé, sans doute celui qu'elle a aperçu avant la tempête, une sorte de lagon d'ordinaire paisible, où elle s'est déjà baignée.

Au loin, la pauvre naufragée perçoit une boule s'éloigner, rejoignant, semblerait-il, la partie plus dangereuse de l'océan. Son canot ! Elle se lance au crawl, ne perdant pas de vue le point voguant toujours plus loin.

Deux notes troublent momentanément sa vision. Elle a freiné. L'être sauvé plus tôt la rejoint et sans trop s'approcher la dépasse, nageant incroyablement plus vite juste sous la surface.

 « Qu'est-ce que... »

Serait-il en train d'essayer de rattraper son annexe, comprenant son importance pour l'étrangère ? Néanmoins, Lotus le suit, pas très certaine.

 Il a déjà disparu de sa vision. Elle peut alors remarquer l'arrêt de son canot rond malgré la force du courant. Enfin, l'habitacle revient doucement, sa laisse souple tirée par l'être maritime.

Immédiatement, Lotus tente de repérer un arbre auquel l'accrocher en sécurité. Cela ne sera pas aisé, mais avec l'aide de cette créature, la réussite est probable. Il la suit d'ailleurs sans difficulté, observe-t-elle avec soulagement, cependant qu'elle nage jusqu'à la plage.

Évidemment, la marée joue en sa défaveur et la dévie de son trajet ; malgré tout, elle atteint son but et, tremblante de ces efforts répétés par un corps abîmé, se traîne jusqu'au tronc désiré. Il est bien plus gros que le précédent et bien mieux enraciné. Il tiendra.

 « Ici ! Ici ! » crie-t-elle de toutes ses forces, espérant que l'être la comprenne. Certes, leur langage est différent, mais il oblique et vient à sa rencontre, le câble frottant si vivement son épaule qu'une marque se dessine.

Lotus se sent terriblement désolée. Tout est de sa faute, après tout.

 « Merci », lui dit-elle, reprenant le filin.

Comme saisissant sa faiblesse, l'être ne relâche pas sa prise mais s'écarte et, à deux, ils parviennent à remonter l'annexe jusqu'à ce que la Loumiane fasse le tour de l'arbre, pantelante.

Son compagnon d'infortune, luttant contre les vagues, maintient la tension nécessaire à l'attache. Lotus s'empresse d'agripper le bout tubulaire sur le câble tendu, une mâchoire incassable qui étrangle aussitôt le tronc, dès qu'elle revient en courant à l'être mi-homme mi-poisson.

Ce dernier, comprenant que l'affaire est résolue, lui jette un dernier regard et s'en va, replongeant au cœur de son royaume.

 « Un royaume aussi dangereux que l'espace, même pour les plus aguerris », murmure la voyageuse, au-delà de l'épuisement.

Un fabuleux éclair illumine la voûte d'une traînée violette.

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