Troublante harmonie

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 Son canot arrimé au tronc d'un arbre à moitié couché, fermement enraciné dans la lande sableuse, la jeune femme s'assoit, épuisée. L'heure lui a tiré la moindre parcelle d'énergie restante.

 Humant l'air pétillant à son nez si sensible, empli de sel et d'eau, elle se laisse aller contre la berge herbeuse. Le vent lui conte ses histoires, d'une nature étrange, aussi ferme-t-elle ses paupières.

 Le ciel se teinte d'obscurs. L'ancienne princesse dort, mouillée, froide, seule.

 Pas tout à fait seule. Deux yeux l'observent par-delà les remparts de vagues hautes, yeux curieux s'approchant, fluidement, dans un mouvement ondulatoire. La créature sinue entre les bancs, suit les courants, jusqu'à parvenir tout à côté du canot. Elle se dresse et se colle contre la paroi métallique, puis recule, comme surprise. Elle reproduit ce geste plusieurs fois, tapote la surface, puis revient à l'étrangère allongée sur la berge.

 La douleur de Lotus s'évanouit dans un dangereux sommeil ; elle ouvre les yeux, voit trouble. Tout son corps s'ankylose, glacé par la nuit venant. Elle ne veut pas mourir, il lui faut bouger sans tarder où le froid aura raison de sa vie.

 Comme elle s'éveille avec difficulté, l'observateur s'enfonce dans l'eau, ne laissant plus que la surface de sa tête disparaître bientôt au creux des ombres mouvantes.

 La Loumiane a tant faim qu'elle ne peut retenir un cri, mélange d'exaspération et de douleur. Allumant la lampe à clarté bleue de son sac à dos, elle cherche un coin plus sec en s'enfonçant parmi les arbres fins ; la peur de tomber nez à nez avec un animal lui fait guetter le moindre bruit. Son arme peut en assommer d'imposants, ainsi qu'en tuer par choc électrique grâce à sa batterie quasi inusable ; elle préfère toutefois éviter d'en arriver à de telles extrémités et dénicher quelques plantes ou fruits comestibles. Manger de sa nourriture en réserve serait une bête idée si l'île regorge de denrées.

 À bout de forces, n'osant aller plus loin dans son périple, l'être de l'espace revient à la plage, gémissant son malheur et ses blessures. Tout est si dur, insoutenable d'angoisses...

 « Qu'est-ce que... » Lotus perçoit un son venir de l'océan. Les Loumians ont très bonne ouïe ; l'onde est faible, mais lui parvient par fragments, comme hachurée de vent. Elle s'amplifie, portant à ses oreilles une douce mélopée à la fois frissonnante et curieuse.

 Lotus sursaute, presque violemment. S'agit-il d'une voix ? Y a-t-il une civilisation d'êtres développés sur cette planète ? Ou bien un animal aux cordes vocales étrangement similaires aux siennes ? Non, plus que cela. La tessiture est froide, hypnotique, attirante. La jeune femme remarque brusquement avoir marché jusqu'aux premières vagues.

 « Je devrais retourner dans ma survie et fermer la porte. Elle est bien attachée. Je n'aurai qu'à chercher des aliments demain, après un bon repos. Je ne suis pas dans mon état normal. »

 Aussitôt pensé, aussitôt exécuté. Nonobstant la lourdeur de ses pieds et la frayeur occasionnée plus tôt, la fière voyageuse rejoint l'annexe dont la base vaguement plantée sur le fond lui évite de trop bouger et de glisser plus loin vers l'île. Ce ne serait pas un mal, imagine la Loumiane, grimpant à l'intérieur. Elle pourrait y accéder ainsi plus facilement, mais pour le moment, la fatigue l'emporte sur toutes autres décisions.

 S'endormant enfin sur le siège étirable lui proposant un lit raisonnablement confortable, tout lui paraît si solitaire et glacial qu'elle crispe ses paupières, retenant un sanglot. De telles aventures, doit-elle se l'avouer, ne lui sont encore jamais arrivées. Pas aussi... désespérées. Pas aussi incontrôlables.

 Au matin d'une nuit sans rêves, Lotus, la tête lourde et le ventre aussi vide qu'un trou noir, attrape ses aliments d'urgence, avalant sans compter, avant de s'arrêter, confuse. Ce n'est pas ainsi qu'elle survivra ! La gorge sèche, elle regrette n'avoir pas préparé la veille d'eau douce grâce à l'énergie restante du canot ; il lui en reste si peu de toute façon qu'elle devra vite se contenter du soleil, si ce dernier daigne se montrer. Maudite avarie !

 Afin d'en être fixée, elle rouvre l'écoutille. Le temps s'est sensiblement amélioré, délavant la voûte de brume claire. La mer est plus paisible, moutons chargeant sa coque de leur tête blanche.

 Aujourd'hui, elle partira à la découverte de l'île en son entier.

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