Dans le courant

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 Il semble que le périmètre de l'île est bien trop grand pour être visité en une seule journée. S'enfonçant en son cœur, Lotus ne peut guère l'estimer, car la végétation se densifie et ne présente aucune échappée de l'autre côté. Peut-être même est-ce une presqu'île, mais qu'importe la réalité, la surface émergée ne doit pas être bien vaste, autrement ses cadrans le lui auraient indiqué lors de sa malencontreuse approche.

 « Même avec une avarie, je l'aurais bien remarqué, souffle-t-elle, tirant du tissu moulant sa jambe une liane collante. Il n'y avait que l'eau, l'eau, l'eau. C'est une île, oui. Une grande île, mais une île quand même, j'en mettrais mon tonneau de muhr à l'eau ! »

Vieille expression datant de son passé en tant que capitaine de la plus grande flotte du royaume, avant qu'elle ne cède son poste à son meilleur assistant, le soir de sa fuite, d'une façon quelque peu expéditive. Le muhr, boisson fortement alcoolisée, est une précieuse monnaie d'échange en son monde où les esprits voguent plus vite que le plus rapide des dougans lorsqu'ils sont soumis à sa saveur. Elle regrette ne pas en avoir dans sa survie. Voilà une chose qui aurait allégé bien des souffrances, autant physiques que mentales.

 « J'en avais bien un peu dans mon fidèle navire, ah, quel gâchis, Oleron, tu me manqueras. Tu me manques déjà trop. »

Oleron était le nom de feu son vaisseau, d'après une étoile de la constellation du dougan, un mammifère marin végétarien aux femelles d'environ cent quinze pieds vivant au plus profond de leurs océans. Lotus en a déjà aperçu deux dans sa vie. Une expérience inoubliable. Ces êtres, aux longilignes marques bioluminescentes parcourant leur cuir, aux grands yeux aussi bleus que leur environnement et à la queue de seize pieds de large, sont dotés d'une espiègle intelligence. Leur présence est toutefois rarement notifiée auprès des navires, mais lorsqu'ils s'y montrent, l'on dit que leur sillage apporte bonheur et prospérité à n'importe quel équipage le suivant parfaitement.

La jeune femme qui ne croyait pas à ces contes doit bien avouer qu'en voir de ses propres yeux avait été extraordinaire.

 La chaleur du jour croît depuis plus d'une heure de manière quasi exponentielle, à moins que ce ne soit la marche au fond de cette forêt finalement bien épaisse. La tête lui bourdonne, sans parler de son poignet, qui, malgré ses efforts, la lance dès le moindre faux-mouvement. Et sa hanche ! Elle ne peut plus se tourner en un certain angle sans éprouver une pointe aiguë remontant jusqu'à ses côtes.

La touffeur de cette jungle l'éprouve de plus en plus. Elle a trouvé quelques baies, blanches, mais n'ose les manger avant de les avoir testées grâce à l'instrument de sa boîte de secours, et l'ambiance est si lourde à présent qu'elle s'assoit sur un tronc mort, pantelante.

 « Bulniog, quelle chaleur ! Je piquerais bien une tête. »

Retrouver son chemin n'aurait pas été une mince affaire si elle n'avait pris soin d'attacher quelques bouts de bandage aux branches précédentes.

 Enfin, elle parvient à la plage où le ressac lentement s'étend, et retrouve son système de récupération d'eau douce par évaporation en plein soleil, recouvert d'un film étirable. Le fond ne suffit pas à étancher sa soif, mais elle devra s'en contenter pour le moment.

 Doucement à ses pieds les vaguelettes viennent se poser, fraîchissant le tumulte de ses pensées. Les nuages ont cédé face au ciel d'un turquoise sans fin.

 « Je survivrai », murmure-t-elle, laissant la brise porter cette promesse avec elle-même.

 Une forme mouvante attire son regard ; la jeune femme plisse les yeux, éblouie par la réflexion du soleil, hésitant à déterminer ce qu'elle voit.

 « Un poisson ? » suppose-t-elle à voix basse, intriguée.

Puis, la chose approchant, Lotus se tend, inquiète : l'on dirait une tête, presque comme la sienne, quelqu'un nageant ! Y a-t-il donc un autochtone, ou plusieurs, sur cette île ? Peut-être les a-t-elle effrayés et n'osent-ils seulement qu'aujourd'hui la rencontrer.

 La créature s'arrête entre deux dunes, disparaissant à sa vue. Les courants marins y passant creusent des bassins et rivières naturels, aussi se lève-t-elle précautionneusement pour s'avancer jusqu'au méplat de sable. Les affluents sont larges et profonds – sa barge de l'espace en a suivi les courants, la veille, avant de s'échouer proche de la rive. Se trouvant d'ailleurs non loin de la scène, Lotus lui jette un œil, guère rassurée. Là, au centre du bras de mer, quelqu'un, indéniablement, l'observe. L'ancienne princesse a toujours son arme dans la main, et cette arme n'a rien de visuellement agressif, aussi ne se préoccupe-t-elle pas du sentiment qu'elle renvoie. Toutefois, elle n'ira pas plus loin ; rester à sec est préférable.

 Une courte mélopée traverse ses oreilles, un mélange de notes, l'indéniable vibration de plusieurs cordes vocales dans le même temps. Secondes éternelles. Lorsque le silence revient – la mer s'est assourdie, à l'égale des autres sons – la voyageuse a le bout des pieds dans l'eau. Elle recule, plus surprise qu'effrayée. Quand s'est-elle laissé aller ainsi ?

Un bruit d'éclaboussure à nouveau l'alerte et la fait sursauter : un bref scintillement s'éloigne, là-bas, s'échappant du courant pour retourner à l'océan.

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