Chapitre 23

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Sous le choc, Eldria se rappela soudain qu’elle n’était pas seule et tourna la tête vers le lit. Le couple, l’un sur l’autre, la fixait d’un air malicieux.

– Notre petit ange semble s’être bien amusée, commenta la Comtesse d’une voix badine, la tête à l’envers.

– Et nous aussi, ajouta le Comte en s’essuyant le front. Cela faisait longtemps...

Ils s’embrassèrent longuement. Eldria mit immédiatement ce temps à profit pour essuyer tant bien que mal son entrejambe et le cuir sous elle d’un revers de main. Elle ne revenait pas de ce qu’elle venait de faire... De toute évidence, ils l’avaient vue. Jamais de sa vie elle ne s’était sentie aussi humiliée.

Après de nouveaux roucoulements, le Comte finit par se retirer de son épouse. Un mince filet de sperme s’écoula du bout de son gland. Il s’écroula sur le dos contre un coussin, son sexe humide reposant maintenant mollement sur son bas-ventre bedonnant. La Comtesse, quant à elle, se leva avec grâce, comme à son habitude. Elle s’essuya consciencieusement l’entrecuisse à l’aide d’un mouchoir en tissu laissé à disposition sur une table de chevet, puis elle se dirigea vers son sac et sortit une nouvelle fois la fiole remplie d’un liquide laiteux qu’Eldria l’avait vue boire un peu plus tôt. Elle le vida cette fois-ci entièrement. Devant le regard mi-paniqué mi-circonspect de la jeune femme, elle s’éclaircit la gorge :

– C’est le sperme de mon mari, commenta-t-elle nonchalamment en agitant la petite fiole. Le médecin m’a recommandé d’en avaler une gorgée avant et après l’amour...

Eldria devint écarlate.

– Ça a un petit goût salé, commenta-t-elle en souriant, comme elle l’aurait fait d’une vulgaire soupe à l’oignon. Car oui, je vous dois des explications ma chère.

Elle vint s’asseoir tranquillement sur le bord du canapé, visiblement pas du tout gênée par sa jeune invitée encore allongée, qui essayait maladroitement de cacher l’abondante humidité de ses parties intimes. Cela obligea Eldria à se redresser et à déplacer d’un geste innocent un coussin par-dessus l’endroit où elle avait joui. Elle serra les jambes et tenta machinalement de se cacher la poitrine de l’avant-bras.

– Avant toute chose nous tenions à vous remercier, mon époux et moi, pour ce que vous avez fait. Vous avez été parfaite. N’est-ce pas chéri ?

Le Comte ne semblait plus s’intéresser à elles. En entendant sa femme l’appeler, il leur adressa un regard distrait :

– Hein ? Ah oui, oui tout à fait, lança-t-il d’un ton peu intéressé.

– Ne faites pas attention à lui, reprit la Comtesse. Une fois qu’il a eu ce qu’il voulait, c’est un vrai rustre. Bien, où en étais-je ? Ah oui. Je vous devais des explications. Et bien sachez que la raison de notre présence ici, et de la vôtre par extension, et que mon époux et moi cherchons à... comment dire... procréer. En effet, depuis plus de dix ans maintenant, nous cherchons à avoir un enfant, en vain. Au début, cela ne nous inquiétait pas trop. Nous nous contentions, à l’époque où mon mari le pouvait encore, de nous accoupler tous les soirs. Mais au bout de quelques années sans résultat nous avons commencé à chercher des solutions. Je ne compte plus le nombre de chamans et autres diseuses de bonnes aventures qui nous ont tour à tour donné à ingurgiter d’obscures potions soi-disant propices à la fertilité, ou bien encore envoûtés par je ne sais quelle magie oubliée. Mais, cela va sans dire, jamais rien n’a fonctionné.

Eldria, qui n’avait rien demandé, se contenta tout de même d’écouter attentivement ces propos. Après tout, elle était curieuse de comprendre une bonne fois pour toutes quel était son rôle dans cette histoire sordide. La déconcertante facilité avec laquelle cette femme abordait ces sujets si intimes avait quelque chose qu’elle aurait pu qualifier de fascinant.

– Les années passant, l’espoir que mon corps vieillissant se décide à nous donner en enfant s’amenuisait de mois en mois. Pour ne rien arranger, mes charmes perdaient peu à peu de leur superbe car, comme vous avez pu le constater tout à l’heure, mon mari est de moins en moins partant pour la chose.

Elle se leva et se mit à faire les cent pas, de toute évidence toujours nullement dérangée par le fait d’être encore entièrement nue.

– Partant de ce postulat, reprit-elle, nous avons alors décidé d’employer des méthodes plus traditionnelles. Nous avons fait appel à diverses prostituées pour tenter d’aguicher quelque peu mon époux. En effet, le médecin nous a certifié que, dans un couple, plus l’homme est excité, plus la semence est fertile, ce que je suis bien disposée à croire. Mais encore une fois, malgré plusieurs essais, rien. Ce qui nous amène à cet endroit. Et à vous ma chère.

Eldria rosie quand la Comtesse se remit à la fixer de son regard passionné, presque maternel.

– Lorsque nous avons entendu parler de cet endroit, du fait que des dizaines de jeunes et jolies femme étaient disposées à nous aider à réaliser notre rêve, nous avons sauté sur l’occasion. Bien sûr, le prix d’une telle prestation n’est pas à la portée de toutes les bourses, mais avec vous, belle Eldria, cela en valait la peine.

L'intéressée baissa la tête. C’était donc pour cela qu’ils l’avaient choisie ? Pour les exciter et les aider à avoir un enfant ?

– Mais pourquoi moi ? réussit-elle à demander d’une voix fluette.

La Comtesse marqua un léger temps d’arrêt.

– Et bien, c’est très simple... En réalité, vous êtes mon portrait craché lorsque j’avais votre âge.

Pour la première fois, elle sembla un peu gênée.

– Quoique je ne prétends pas avoir jamais eu un corps tel que le vôtre ma chère ! Mais comprenez-nous, nous avions dans l’idée que, vous observant ainsi, mon mari puisse se projeter vingt ans en arrière et retrouver sa vigueur d’antan.

La Comtesse semblait attendre un commentaire d’Eldria, peut-être obtenir son sentiment, mais celle-ci demeura silencieuse, fixant intensément sans vraiment le voir le tapis à ses pieds. Ce couple aisé la prenait-il pour une prostituée ? Etait-ce qu’elle était devenue malgré elle ? Un profond dégoût d’elle-même la gagna. Devant son absence de réaction, la Comtesse changea de sujet :

– Mon mari et moi allons prendre un bain à côté. Vous êtes bien sûr invitée à vous joindre à nous si le cœur vous en dit.

Pas de réaction de la part d’Eldria. Cette dernière ne l’écoutait même pas.

– Bien... Nous vous laissons, ajouta-t-elle sans visiblement comprendre le mutisme de la jeune femme.

Le couple s’éclipsa alors dans la pièce attenante. Très vite, on entendit les clapotis de l’eau caractéristiques d’un bain, mêlés à leurs voix étouffées. Eldria ne prêtait pas attention à ce qu’ils se disaient. Elle n’avait pas bougé. Les yeux perdus dans le vide, elle se posait des questions sur sa condition. Avec ce qu’elle avait fait, était-ce ce qu’elle était devenue ? Une fille de joie ? Un simple objet de désir ? Elle eut un haut le cœur qui manqua de la faire vomir. Puis elle fondit en larmes, comme souvent ces derniers jours. « Au moins, ces gens-là sont gentils et ne me veulent pas de mal », se dit-elle pour tenter de se rassurer. Mais la Comtesse était-elle seulement informée de ses conditions de vie ici-bas ? Savait-elle qu’elle avait choisi une prisonnière pour l’aider à faire un enfant, et non une prostituée pour personnes fortunées ?

Au prix d’un effort considérable, elle reprit finalement possession de ses moyens. Elle s’essuya les joues, puis se rappela soudainement qu’elle était encore totalement nue. Sans perdre une seconde, elle bondit du canapé sur lequel elle n’était restée que trop longtemps avachie. Même si le mal était déjà fait, elle ne voulait plus qu’on la voit encore dans son plus simple appareil. Comme la Comtesse quelques instant plus tôt, elle utilisa un mouchoir en tissu pour s’essuyer prestement l’intérieur de ses cuisses, abondamment maculées de ses propres sécrétions intimes. Puis elle se précipita vers sa robe et sa culotte restées à même le sol, et les enfila sans tarder. C’était comme enfiler sa seconde peau, immédiatement elle se sentit moins vulnérable, moins dévoilée. Elle ne pouvait en revanche pas sortir seule de la chambre. Un garde l’attendrait certainement derrière la porte et ne la laisserait pas fuir sans demander son reste. Aussi décida-t-elle de s’arranger sommairement les cheveux à l’aide d’un petit miroir sur la table de chevet, et de finir de s’essuyer les joues. Elle ne voulait plus montrer de signe de faiblesse, et tout spécialement face à Madame Martone, vers qui il était possible qu’on la ramène. Elle devait être forte.

Après une vingtaine de minutes, le couple sortit enfin de la salle de bain, chacun enroulé dans une serviette blanche. La Comtesse adressa un sourire courtois à Eldria, qui les attendait adossée au mur près de l’entrée, mais ils ne prêtèrent pas davantage attention à elle. Tous deux finirent de se sécher, puis entreprirent de se rhabiller. Eldria détourna pudiquement le regard. Elle avait vu assez de nudité pour aujourd’hui.

– Bien, il nous reste à vous remercier jeune Eldria, lança finalement la Comtesse en lui tendant la main, après qu’elle eut terminé d’ajuster son corset.

Eldria hésita un instant, puis consentit à tendre le bras à son tour. Les deux femmes se serrèrent la main.

– Allons-y chérie, enchaîna le Comte en s’adressant à son épouse.

C’était à peine s’il avait jeté un œil à Eldria depuis qu’il avait terminé sa petite affaire une poignée de minutes plus tôt. Pour autant, cela n’était pas pour déranger cette dernière qui avait du mal à réaliser que cet homme d'un âge mûr, qu’elle n’avait jamais rencontré avant aujourd’hui, connaissait désormais absolument tout de son anatomie. La Comtesse lui adressa un dernier sourire bienveillant avant d’emboîter le pas à son mari.

– Adieu, dit-elle simplement.

Eldria les observa s’approcher de la porte. Elle ne pouvait pas en rester là, elle devait le leur dire. Elle rassembla tout son courage, et les interpella finalement alors que le Comte s’apprêtait à atteindre la poignée.

– S-Savez-vous quel est cet endroit ? bégaya-t-elle timidement.

La Comtesse lui jeta un regard interrogateur. Le Comte, lui, se figea quelques instants, puis continua son geste.

– Ne perdons pas de temps, dit-il en attrapant son épouse par le bras.

– C’est une prison, ajouta Eldria d’une voix fluette alors que de nouvelles larmes perlaient au bord de ses cils.

L’incompréhension se lisait sur le visage de son interlocutrice.

– Comment ? dit-elle sans comprendre.

Mais son mari avait déjà ouvert la porte, et l’entraînait sans ménagement dans le couloir. Eldria jeta un dernier regard paniqué à la Comtesse, avant que le Comte ne referme violemment la porte derrière lui, laissant la jeune femme de nouveau seule, en pleurs, dans la luxueuse chambre au sein de laquelle elle avait brutalement fait un pas de plus – et même un bond – dans le monde sans concession des adultes.

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