Mon île - 07 - Le secret

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Une année de dure labeur s’écoula.

Je n’sais pas si vous avez r’marqué, mais la nuit commence à tomber, vos parents n’vont plus tarder, alors y s’rait peut-êt’e temps d’ach’ver cette partie, et vite, non ?

Non Gigi, nous n’avons même plus trois quart d’heure devant nous, donc non, je n’vais pas faire un chapit’e à rallonge !


Une année, entière, s’écoula, d’un seul coup, d'un seul !


Fils s’entraîna, s’exerça, apprit… bon, on a d’jà fait l’topo avant, c’est toujours pareil, il a vécu une année routinière, j’abrège :

Fils goûta à tout l’enseignement possib’e prodigué par Père.

Lui, qui se croyait déjà fort, gagna en résistance, en technique, en musculature, en réflexe, en hardiesse, bref, en plein d’choses.


Quelques mois auparavant – c’est à dire quelques mois avant la fin d’l’année entière qui vient d’s’écouler… c’n’est pas vrai qu’vous êtes perdus ? Mais… oh… j’en ai marre, on va faire simp’e :

Une année c’est un an ! Un an c’est douze mois ! Quelques mois avant la fin des douze mois – qui viennent de s’écouler –, c’est par exemp’e huit mois. Douze moins huit ?

Je rêve où vous réfléchissez ? Ne m’dites pas qu’ça c’est trop dur ?!

Quatre, ouf, un matheux. Non toi c’est Mathieu, avec un i… Je… je… merci Mathieu, pardon… je...


<< AH AH AH, Dieux du ciel aidez-moi ! Qu’ai-je donc fait de si terrib’e pour que le sort s’acharn’ ainsi ?! Débarrassez-moi d’ces monstres, faites-les disparaître, sortez-moi du purgatoire ! AH AH AH >>


Quatre, donc… en fait disons plutôt six. Six mois après l’dernier chapitre, Fils se battit contre Père, et ?

Oui, c’est une question ! Il perdit… Non c’n’est pas la bonne réponse, mais j’aurais dû m’en douter, une chance sur deux, forcément vous tombez à côté.

Donc j’r’commence, sans poser d’question : Fils se battit contre Père et Fils remporta la victoire !

Quoi, encore ?! Il y avait trois chances ? Comment ça ? La défaite, un match nul et la victoire. C’n’est pas croyab’e, vous allez tout m’faire ?! Tu m’as prise pour un site de paris ou quoi ?!

P’tits pirates, sachez qu’chez les pirates, il n’y a pas d’égalité, on gagne ou on perd ! Pas d’demi-mesure. Une victoire, ça n’se, partage, PAS. Chut, j’vous vois v’nir : hormis si on est dans la même équipe, bien entendu, mais entr’ adversaire, pas d’égalité, jamais !


Donc, depuis qu’il l’a battu une fois, six mois auparavant – … non, rien ? Bon, bonne surprise –, il le battait régulièr’ment. Jusqu’à c’qu’un jour :


– Alors, vieux bougre, tu ne fais plus le malin, hein ?

– Ça va, ça va, laisse-moi souffler un peu, s'essouffla Père.

– L’éélèèvee aa déépaasséé lee maaîîtree, l’éélèèvee aa déépaasséé lee maaîîtree, laaiissee-lee, laaiissee-lee, entonna Corinne.


Fils ne tint pas compte de ces demandes et se laissa submerger par son côté sombre maintenant parfaitement acquis :

– D’accord vas-y, prends ton temps et souffle, accorda Fils tout en se jetant sur lui.


Père, qui n’avait pas l’espoir de voir sa demande honorée, se servit de son côté sombre, largement ancré en lui, et anticipa sur la fourberie de Fils : il se pencha, tira de sa botte un couteau et le pointa devant lui. Dans l’élan, Fils faillit s’empaler dessus ; il s’arrêta juste à temps :

– Ma parole, tu es malade ! Un peu plus et j’étais…

– … trucidé, planté, piqué ! Tu as bien fait de t’arrêter net, le félicita Père.

– Vieux fou ! ragea Fils.

– Ah ah, croyais-tu que j’allais me battre à mains nues toute ma vie ? questionna Père tout en avançant vers Fils, la lame pointée droit sur lui.

– Bats-toi à armes égales ! râla Fils tout en reculant.

– Oh, qu’entends-je, des lamentations ? questionna à nouveau Père.


Fils ne répondit pas et se contenta de grimacer en signe de frustration.


– Fils, crois-tu que dans la vie l’égalité règne ?


Acculé contre un arbre, la lame pointée devant son nez, Fils se résigna à écouter Père prêcher la bonne parole :

– Dans la vie, Fils, il n’y a pas d’égalité. La vie n’est pas faite pour se battre à armes égales. Les plus forts terrassent les plus faibles, c’est ainsi. Mais les plus forts n’ont pas la garantie que la vie les garde en vie, seuls les plus malins vivent une vie entière. Tu as été fort, je suis malin.

– Tes palabres me tuent, maugréa Fils.

– Mes palabres te garderont en vie si tu les appliques ! gronda Père. La vie n’est pas un sport, la vie n’est pas un jeu. La vie n’a pas de règles. Alors use, et dispose, toujours, de tout ce qui te permettra de vivre… plus vieux que les autres.


Naturell’ment, durant les mois qui suivirent, Père et Fils s’affrontèrent au couteau, puis à l’épée. Fils apprit d’abord les bases et répéta inlassablement les mêmes gestes : parade, riposte, parade, riposte, parade, riposte.

Puis, logiqu'ment, il se vit, au fur et à mesure, enseigner toutes les bottes secrètes de Père.

Qu’en découla-t-il ? Oui, c’est encor’ à vous que j’pose la question ! Il en découla qu’il se prit des raclées, oui. Qu’il eut quelques coupures, oui. Soignées par Corinne, oui. Et s’il gagna ?


Parade, riposte, contre, appel, feinte, assaut, contre-attaque, corps-à-corps, passe avant, passe arrière, garde, le tout se termina sur un enroulé de l’arme et une épée s’envola dans les airs.


Oui, ok, ça fait encore cliché mais c’est comme ça ! J’n’invente rien !


– Bien joué, Fils, je crois que je n’ai plus rien à t’apprendre, tu maîtrises l’épée aussi bien que moi.

– Mieux, Père ! fanfaronna Fils.

– Miieeuux, l’éélèèvee aa déépaasséé lee maaîîtree, miieeuux, l’éélèèvee aa déépaasséé lee maaîîtree, entonna Corinne.

– Ça va ! On a compris, maudit perroquet, ronchonna Père. Fils, ne t’emballe pas, disons plutôt que nous sommes d’un niveau égal.

– Ah oui ? rigola Fils tout en avançant vers Père, la lame pointée droit sur lui. Depuis quand y a-t-il des ex æquo chez les pirates ?


Oh, c’est à peine croyab’e, j’viens d'vous faire la même remarque just’ avant. Les grands esprits s’rencontrent.


– D’accord, d’accord, baisse donc cette épée.

– Je connais tes coups fumants, tu sens la malhonnêteté. Je baisserai mon épée quand tu auras reconnu ta défaite et que j’entendrai de ta bouche : « Fils, tu as gagné ». Voilà, rien de plus, rien de moins, tu as juste à prononcer : « Fils, tu as gagné ».


Contrarié de n’avoir d’autres plans, agacé que Fils ne le laisse plus ruser, quelque peu furieux de devoir l’avouer, mais quand même un peu fier, de mauvaise grâce, Père obtempéra :

– Fils, te voilà fin prêt, tu as gagné.


Prêt pour quoi ? Retrouvons-les quelques jours plus tard, attablés devant un verre de rhum :


– Père, d’où sors-tu tout ce rhum ?

– De ma cache secrète, Fils.

– Dee saa groottee, dee saa groottee, seecrèètee, seecrèètee, dévoila Corinne.

– Tais-toi donc, fichu perroquet ! Quel imbécile tu fais ! Ne t’a-t-on jamais appris qu’on ne trahit pas un secret ?! fulmina Père.

– Une grotte secrète ? Pourquoi cette information n’a-t-elle jamais été portée à ma connaissance, Père ? interrogea Fils avec calme et intérêt.

– Parce que… parce que c’est ma grotte, mes trésors, mon secret, à moi ! cracha Père.


Fils surjoua la surprise, porta la main sur son cœur, ouvrit grand la bouche, grand les yeux et s’indigna :

– Père, je suis ton Fils ! S’il t’arrivait quelque chose, il serait bon que j’en hérite, non ?

– Il ne m’arrivera rien, trancha Père.

– Père ? Tu m’as tant appris, tu m’as entraîné, éduqué, formé… Père, tu es devenu mon père, tu es la seule famille que j’ai…

– Eet mooii, eet mooi, eet mooii, se rappela Corinne à son bon souvenir.

– Tu es la seule famille que j’ai… avec Corinne, corrigea Fils sans trop s’attarder à lui. Père, me fais-tu donc si peu confiance ?

– Ce n’est pas ça mais… chercha à argumenter Père.

– Mais quoi alors ?! éclata Fils en se levant d’un bond. Nous ne devons pas avoir de secret, je suis prêt Père, prêt à passer à autre chose.

– Iil diit vraaii, iil diit vraaii, iil diit vraaii.


Père le considéra avec attention et reconnut qu’il était temps de passer à cette autre chose :

– Après tout, peut-être as-tu raison, peut-être devrais-je partager mes trésors, mes secrets, peut-être que ma retraite sur cette île, dorénavant une si longue retraite, doit s’achever.

– Oui ! C’est ça Père ! Voyons plus loin ! s’enthousiasma Fils.

– Oui, peut-être que tous les deux nous pouvons envisager de nouvelles choses, peut-être que les Femmes, que j’ai toujours pensé invincibles, peut-être qu’ à nous deux nous pourrons les vaincre… et voir plus loin.

– Noouus trooiis, noouus trooiis, noouus trooiis, tonitrua Corinne.


Fils secoua la tête – de droite à gauche, de gauche à droite, on s’en fout, imaginez l’sens que vous voulez à la fin ! – , se rassit, fixa Père en instant et s’agaça :

– Peut-être, peut-être et encore des peut-être. Puis revoilà venues vos fameuses Femmes ! Tous les deux, qui êtes bien mystérieux, commencez donc d’abord par m’expliquer qui elles sont, ces Femmes si énigmatiques !


Père hocha la tête – pfff, de haut en bas, on en est vraiment encore là ?! –, respira calmement, bu son verre, garda un moment le liquide alcoolisé en bouche, se le passant avec soin sur les gencives et sur la langue, l'avala dans un gloups sonore et se décida à fournir une explication :

– Je te souhaite de ne jamais les connaître.


Fils attendit que Père poursuive :

– À mon apogée je les ai croisées. J’enchaînais les victoires en mer, mon bateau voyait ses cales se remplir d’or. J'étais un pirate redouté. Mais je n’en ai pas eu assez. Je les ai abordées et un marché a été conclu avec… une de leur princesse. Une mission saugrenue, somme toute ridicule, bien simple, m’a été confiée. J’ai failli en mourir, alors je me suis vengé ! Leur monde existe, tâche de ne jamais y aller.


Vous comprenez que… je n’sais pas si c’est à cause d’un abus d’alcool qu’il n’a pas écouté Père, bien qu’il ait su m’raconter c’passage, mais… vous comprenez que… à moins qu’avec le temps le Capitaine ait voulu oublier… peut-être qu’il a vraiment oublié, après tout… vous comprenez que… à moins que peut-être n’y a-t-il jamais vraiment cru… peut-être qu’il a toujours pris El Capitano pour un vieux fou… bon, vous comprenez que l’Capitaine est quand même arrivé dans leur monde, malgré les mises-en-garde de Père…

Il vient tout juste de mettre les pieds sur l’Île mais nous n’en sommes plus là, on verra ça ultérieur’ment. Rev’nons-en à l’explication de Père et au tout début de sa vie d’adulte :


– Attends, attends, tu as vu des femmes dans un autre monde ?

– Oui, d’un autre monde, l’espèce féminine n’a pas le monopole sur Terre, Fils !


Fils le regarda d’un air étrange et poursuivit, pour s’assurer d’avoir tout bien compris :

– Tu aurais travaillé pour elles ?

– Qu’est-ce que cela a de si étonnant ? Oui, moi, il y a quelques années de cela, moi, j’ai effectué une mission pour elles.

– Forcément tu as échoué…

– Tutute, ça a mal tourné, corrigea Père.

– Quelque chose a mal tourné, en convint Fils, tu l’as mal pris et, revanchard que tu es, tu leur as fait une crasse.

– Et comment !


Fils inclina la tête, pour signifier que sur ce point il ne doutait pas de lui.


– Qui sont-elles, à la fin ?!

– Hein ?! Une tribu, une peuplade, je n’en sais rien moi, en as-tu terminé avec ton interrogatoire ? commença à perdre patience Père.


Fils, qui n’en avait pas terminé, recentra le débat et revint à un point plus glorieux pour ne pas brusquer et braquer Père :

– Ce doit être une sacré vacherie qu’elles ont enduré, pour qu’elles soient si obstinées et finissent toujours par te retrouver.

– Je ne fais pas les choses à moitié, se vanta Père tout sourire.

– Pourquoi en ont-elles autant après toi ? revint Fils à la charge.

– Es-tu si crétin que tu en as l’air ?! cria Père en regardant le ciel – oui, le plafond !


Fils se tourna, leva la tête, ne comprenant pas dans l’instant que cette question lui était adressée.


– Oh, oh ! C’est bien à toi que je parle, Fils ! Pourquoi en ont-elles après moi ?

– Je viens de te poser la question !

– Tu m’as déjà donné la réponse !

– Parce que tu t’es vengé ? tenta Fils.

– Oh, une fulgurance !

– Et depuis… des années, à cause de ça, elles te poursuivraient sans relâche ? D’un monde “extraordinaire” jusque… ici ?

– Ce n’est pas une supposition ! Elles me poursuivent et me retrouveront ! Comme toujours !


Fils, voyant le tout tourner en rond, opta pour une question moins évasive :

– Comment t’es-tu vengé ?

– Oh, Fils, tout ça c’est toute une histoire, mais puisque tu veux savoir…

– Est-ce une longue histoire ? se découragea Fils, regrettant presque les proportions prises par cette discussion.

– Trèès loonguuee, trèès loonguuee, troop loonguuee !

– Je crains qu’il n’y en ait, en effet, pas de version courte, valida Père.

– Oh… quelle tristesse, se lamenta pour de bon Fils.


Tout devrait avoir une version courte !


– Oh, comment ça “oh”, c’est toi qui veux tout savoir, moi je sais !

– Oui, finalement “oh”. Après tout, puisqu’elles doivent venir, j’aurai tout le loisir de les rencontrer et de faire leur connaissance en temps voulu. Alors restons-en là, c'est mieux ainsi. Puis de toute façon, entre-nous, je ne comprends pas grand-chose à tes balivernes et tes sornettes de vieux fou.

– Mais… ne put que dire Père, surpris de ce revirement de situation.

– Sers-moi un verre et reparlons plutôt de ta grotte aux trésors.

– Mais…

– Le trésor ! insista Fils.

– Les Femmes aussi, il va falloir s’y pencher, à nous deux, maintenant que je t’ai formé, je pense que l’on a une chance de s’en sortir, persista Père.

– Le trésor ! Les Femmes, on s’en sortira bien avec de belles promesses, balaya Fils tout en éclatant d’un rire franc, convenu et plein d’assurance.


Père secoua la tête – arrêtez – mais finalement laissa Fils à ses convictions :

<< – Profite, Fils. Tu ne sais pas à qui tu as affaire. Je sais, je sens, je suis certain que bientôt nous serons fixés. Et alors tu sauras. Fasse que l’on soit rusés. >>

<< – Oouuii, biieentôôt, biieentôôt, biieentôôt. Préépaaroons-noouus, eellees aarriiveent. >>

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