Mon île - 08 - La boîte

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– C’est encore loin ? se plaignit pour la quatrième fois Fils, au pied d’une côte.


Oui, on abrège, on abrège, je n’vais pas vous faire tout l’voyage depuis la cabane ?! À quoi ça servirait d’vous dire qu’après avoir bu quelques verres… d’eau, pour compenser l’trop plein d’rhum… sinon vous allez commencer à penser qu’ils sont alcooliques…

Non, ne m’dites pas que…

Bon, et si j’vous parlais d’l’alcoolisme ? Bien que je sente que ça risque, avec vous, comme toujours, de déraper. Ne dérapons pas !

Qu’est-ce donc pour vous que l’alcool ? De la bière, du vin, du rhum, du mojito… ok, ok, bien, bien, bien ! Vous n’allez pas m’faire la liste de tous les alcools connus ? Parce que là, j’devine, sans trop d’difficulté, qu’vos papas ou mamans, voire les deux, sont des bons vivants… d’sacrés bons vivants ! Ils ne déraperaient pas, parfois ? Très bien, ne m’répondez pas.

Sinon, aut’e chose ? Tout c’qui n’a pas bon goût… oui, mais ça c’est pa’ce que vous êtes des enfants, sachez qu’vos papilles linguales – évidemment… c’est l’dessus d’vote langue, c’qui vous permet d’différencier les goûts – n’sont pas assez subtiles pour apprécier les bonnes choses. Et tant qu’j’y suis, pour vot’e culture, décidément à la fin d’cette journée vous allez êt’e sacrément intelligents, sachez qu’il faut goûter au moins sept fois quelque chose pour que vot’e bouche commence à l’aimer. Sept fois, à moins qu’ce soit neuf… enfin, faut s’habituer, quoi ! Faites des efforts !

Allez hop : Moralité, mes p’tits pirates, insistez sur les épinards et les choux d’Bruxelles !

Comment ça j’l’ai déjà dit ? Et bah sachez qu’il faut s’entend’e dire au moins sept fois les choses pour que ça rentre ! Avec vous, on va arrondir à dix.

Ensuite, parce que je n’suis pas du genre à perd’e le fil, qu’est-ce donc pour vous que l’alcoolisme ? C’est de trop boire ? Oui, on peut dire ça, c’est bien résumé.

J’vérifie une chose : il faut boire avec... ? Mo-dé-ra-tion, parfait, la télévision vous a complètement r’tourné l’cerveau. Essayons aut’e chose : il faut manger ? Cinq fruits et légumes. Oh, ils sont forts ces médias, à force d’tout rabâcher ça va ancrer des générations entières… effrayant.

Bon, bref, ne dévions pas sur l’aseptisation de la société qui fera de vous des moutons bien éduqués, gouvernés par une élite ultra-conservatrice, pour ne pas dire manipulatrice, qui, sous couvert d’une soucieuse et bienveillante empathie, prétend préserver votre bien-être sans jamais montrer son avidité, vorace, et n’a d’autres buts que de garantir son pouvoir sur les masses, avec une lobotomie systématique et rigoureuse de vos esprits déjà asservis, conservant au passage ses richesses, immensurables, détenues au creux de toujours plus rares mains, mesurables, aux doigts sertis d’or, plutôt que de prôner un partage raisonnable, égalitaire et humanitaire ! Non, ne dévions pas.

Moralité, mes p’tits pirates, soyez rebelles, soyez pirates, n’mangez pas d’fruits !

En plus c’est nul, les trois-quarts foutent du jus partout et collent aux doigts.


Recentrons : je rappelle qu’à chaqu’ époque, des cultures et des pensées différentes. Intéressez-vous donc à l’Histoire ! Et donc, à chaqu’ époque son degré d’alcoolisme. Prenons l’exemp’e des pirates : l’alcool coulait à flot, il servait à s’motiver avant les combats, à fêter les victoires, à oublier les défaites, à supporter la rude vie en mer, il servait d’friandises, à s’désaltérer et à anesthésier les blessures – le Doliprane miracl’ en pipette qu’maman vous donne à chaque coup d’fiève n’existait pas.

L’alcoolisme, tel qu’on le conçoit aujourd’hui, ne voulait donc rien dire. Tout l’monde buvait, beaucoup et en permanence. Maint’nant, prenez un p’tit verre chaque jours et vous passez pour un alcoolique… Bref, comme toujours, à chaqu’ époque sa vision des choses, mais soyez conscients que l’alcool a souvent guidé l’monde, à travers toutes les périodes, pendant toutes les guerres, comme en temps de paix, dans toutes les sociétés et à travers toutes les couches sociales.

Moralité, mes p’tits pirates, buvez !

Mais oui, soit, modérez-vous en écoutant vot’e corps et en apprenant à vous connaître. Vous s’rez alcooliques quand vous n’pourrez plus vous en passer, quand vous commenc’rez à en êt’e malade le lendemain, quand vous n’saurez plus c’qu’vous avez fait après avoir bu, quand vous d’viendrez fous, fous de vivre avec des regrets !

Rassurez-vous, vous l’saurez, et à c’moment là, n’vous mentez pas à vous-même et arrêtez d’boire avant de n’plus l’pouvoir !

Je rassure tout l’monde, pas d’inquiétude, certaines drogues peuvent servir de substitut.


Quoi, Gigi ? Pfff, ok ! La drogue s’est mal… même si à chaqu’ époque… Quoi, Gigi ?! Ah oui, c’est vrai, on n’a plus l’temps…

Quand même, c’est dommage, j’avais pleins d’choses sympa à vous dire sur la drogue, vous n’imaginez pas tous les chouettes effets délirants psycho… ok, ok, très bien ! Rabats-joie... puisque vous préférez la fin d’l’histoire aux effets d’la drogue, j’abrège mes leçons d’vie et j’me moule à vot’e époque : la drogue, c’est nul ! N’vous droguez pas ! Jamais.

D’ailleurs, certaines drogues sont pour les dégénérés et les arriérés. Quoi ? C’était bien ça, non ? Pfff, Gigi, tu m’énerves à jouer sur les mots… Ok, “toutes” les drogues sont à proscrire.

Moralité, mes p’tits pirates, des fois, pour préserver l’bien-êt’e d’autrui, mentez sans hésiter.


Toutes ces moralités valent bien un p’tit test ludique : Mangez ? Cinq fruits et légumes… j’l’ai d’jà dit, aut’e chose ! Ni trop gras, ni trop salé, ni trop sucré, parfait. Des pommes ? Oui, aussi ! Et pour la viande ? Un peu, mais pas tous les jours, bien. Les produits laitiers ? Sont nos amis pour la vie, formidable. La montagne ? Ça nous gagne, mouais, vous vous doutez qu’j’préfère la mer. Le cheval ? C’est trop génial, c’est affreux, vous savez tout… L’exercice ? Bouger trente minutes par jour, ouh, tant qu’ça… Les antibiotiques ? C’est pas automatique. Oh… une plus dure : le p’tit lapin, qu’est-ce qu’il conseille ? De n’pas mett’e ses mains sur la porte, exactement ! Quand est-ce qu’il faut sortir couvert ? Quand il fait froid… aussi !

Mon Dieu, c’est excellent, respectez donc tout ça et vous n’aurez même plus b’soin d’boire modérément !


– C’est encore loin ? se plaignit, quelques minutes plus tard et pour la cinquième fois, Fils, sans que ni Père ni Corinne ne lui répondent.


Corinne, Père et Fils, traçaient à travers la jungle de l’île d’est en ouest.


Alors, on va voir si vous avez bien suivi : vers où se dirigent-ils ? La plage ou les falaises ? Quelles plages, quelles falaises ? Ah, ça commence mal… Je rappelle que, l’île comporte d’un côté des falaises, de l’autr’ une belle plage. S’ils la parcourent d’est en ouest, vers où se dirigent-ils, telle est ma question ! Vers l’ouest… oh, c’n’est pas gagné… vers la PLAGE ou la FALAISE ? Vers la falaise… moui, en même temps vous aviez une chance sur deux, p’tits chanceux ! N’la ram’nez pas !


– Père, ne me dit pas que tu parcoures autant de kilomètres pour aller chercher les bouteilles de rhum ? réalisa Fils.


Père, bien qu’exaspéré par la continuité des questions, consentit à lui répondre :

– En effet, j’ai une autre cave, plus petite, et plus proche de la cabane. S’occuper du transvasement, de l’une à l’autre, ça c’est le boulot de Corinne.

– Pluus viitee een voolaant, pluus faaciilee quuee maarcheer.

– Oui, et au passage, il oublie de te dire qu’il se sert copieusement, souligna Père.

– Maaiis faatiiguuaant, faatiiguuaant, coollaatiioon, coollaatiioon.

– Sommes-nous bientôt arrivés ? retenta Fils qui ne voulait entrer dans une discussion sans fin sur la livraison de rhum.


Père s’arrêta net :

– Ça tombe bien que tu poses la question, nous y sommes !


Ils y étaient !


– Comment ça, nous y sommes ? s’étonna Fils.

– Observe.

– Oobseervee, oobseervee, oobseervee.


Alors Fils observa : autour de lui une jungle vierge de toute trace d’humanité, composée d’arbres, hauts, gros, anciens, formant une végétation assez dense pour empêcher le plus gros de la lumière d’arriver jusqu’à eux.

Debout sur le versant de la colline, Fils tourna sur lui-même, il regarda plus haut, puis vers le bas et scruta le sol : des feuilles mortes, en décomposition, des plantes basses, épineuses, des fougères, d’un vert vif, des troncs morts, quelques gros rochers mais rien, rien de bien différent que ce qu’il avait pu voir jusqu’à présent.

Fils se concentra et écouta : le bruissement des feuilles, léger, un bout de bois qui craque, au loin, le bruit d’une fougère qui s’agite sous le passage d’un animal furtif, une branche qui s’affaisse avec l’envol d’un oiseau, ce même volatile qui ne peut s’empêcher de piailler, trois fois, du même cri strident, presque inquiétant, et, aussitôt, un congénère lui répond.


– Observe, et ressens, insista Père.

– Ressentir ? douta Fils.

– Ressentir, confirma Père.


En signe de “après tout pourquoi pas”, Fils haussa les épaules et huma. Il pensait sentir le rhum, mais seuls l’humidité ambiante, l’air de la nature, l’effluve boisée des lieux, la puanteur, putride, d’un animal se décomposant dans les environs, l’odeur de sa propre transpiration, le parfum d’un arbre fruitier, exotique, gagnèrent ses narines.


– Père…

– Trouve ! le coupa-t-il sèchement.


Après un froncement de sourcils expressif, Fils ferma les yeux et laissa l’endroit l’imprégner. Il se focalisa sur le tout : les senteurs, les sons, les sensations. Progressivement, un picotement se fit sentir sur sa nuque, puis un frisson le parcourut, et une impression bizarre le frappa, le marqua, le capta. Sur la gauche, sur sa gauche, par là-bas, oui, dans cette direction, quelque chose paraissait être, comme si on l’appelait, comme si…


– Ça t’appelle, n’est-ce pas ? Tu penses que ça demande à être trouvé, hein ?

– Oui, dit Fils évasif, obnubilé et perturbé par ses émotions.

– Va, vas-y.


D’un pas décidé, Fils gravit la pente d’une dizaine de mètres supplémentaire. Il se fraya un chemin entre les arbres, écarta de ses mains la végétation gênante, se glissa entre deux rochers et aperçut un boyau naturel s’ouvrant et s’enfonçant dans les profondeurs de la colline.

Dans ses oreilles, un bourdonnement léger, subtil, presque inaudible, sifflait en continu. Les picotements se propagèrent à tout son corps et, plus que tout, il eut la sensation certaine que sa présence était souhaitée, voulue, et attendue en ce lieu.

Fils ne résista pas à cet appel, alors, avec conviction, il pénétra dans ce trou, assez large pour qu’il puisse y ramper sans s’y sentir trop à l’étroit. Il progressa un bon moment, se traîna, bifurqua, parfois se redressa, crapahuta de quelques pas, se rabaissa et termina sur le ventre jusqu’à apercevoir une plus grande ouverture. Aidé de quelques contorsions, il déboucha dans une grotte sombre, opaque, éclairée par le peu de clarté extérieure parvenue jusqu’ici.

Fils s’étira sur la pointe des pieds, les bras levés bien haut. Il tenta de se repérer jusqu’à ce que la voix de Père le surprenne :

– Allez, pousse-toi de là, laisse-moi passer.


Fils s’écarta et Père sortit à son tour du long couloir.


– Alors, n’est-ce pas une bonne cachette que j’ai trouvée là ?


Toujours intrigué et perturbé, troublé par une étrange impression, Fils n’entendit pas sa question. Père n’insista pas et, habitué au lieu, se dirigea vers une des parois. Il s’arrêta devant et sortit de sa veste deux pierres à feu.


C’est ça, les briquets et les allumettes n’existaient pas, donc j’vous passe l’aspect technique et pour faire simp’e, ce qui je confirme est l’mieux avec vous, les pierres à feu, des cailloux particuliers et typiques, se percutent ensemble et le miracle se produit : une étincelle ! Des, si on les tape plusieurs fois. Ajoutez un peu d’combustible et arrive le feu.

Pour plus d’explications, pensez à r’garder Koh-Lanta ou The island ou Mans vs Wild ou les Marseillais je n’sais où, bref, ce genre d’émissions à la mode, pertinentes, formatrices, culturelles, actuell’ment diffusées en continue sur les chaînes gratuites de votre télévision.


Une torche fixée à la roche s’enflamma, sa lumière rougeoyante se projeta autour d’eux. Fils écarquilla les yeux et découvrit une caverne d’une quinzaine de mètres de large sur autant de profondeur ; le plafond, quant à lui, était juste assez haut pour qu’il puisse se tenir debout sans se cogner la tête.


Pfff, vous êtes navrants, je fais des pièges et vous n’réagissez même pas… Pfff, j’en ai marre…


Le plafond, quant à lui, s’élevait sur une hauteur suffisante pour que, juste avant, il ait pu, avec aisance, s’étirer de tout son long en levant les bras bien haut !


Voilà, voilà, je n’dirai rien d’plus.


Au fond, il aperçut une multitude de caisses, empilées les unes sur les autres. Se tournant du côté de Père, il discerna, au sol à côté de lui, plusieurs coffres soigneusement alignés.


L’autre bout de la caverne restait dans l’obscurité presque totale, la seule torche allumée n’étant pas assez puissante pour l’éclairer. De ses yeux, désormais plissés pour mieux observer, Fils essaya de percer cette pénombre, certain que la chose convoitée, désirée, ressentie, l’attendait là.


Père perçut son intérêt, s’approcha de lui la torche à la main et chuchota à son oreille :

– Tu la sens, elle t’appelle, son pouvoir… extraordinaire, non ?

– Qu’est-ce… donc ? Je crois que ça agit sur mon corps… j’ai dû mal à l’admettre mais…

– Elle t’attire, hein ?

– Eellee l’aattiiree, eellee l’aattiiree, répéta Corinne qui, à son tour, venait de faire son apparition.

– Prends, et va, ordonna Père en tendant la torche à Fils.


Fils s’en saisit et avança avec précaution jusqu’à la paroi. Il l’éclaira et vit, dans une sorte de case creusée à même la roche, une petite boîte toute en longueur et pas bien large. Il s’en approcha, plus près encore, la reconsidéra et délicatement s’apprêta à la prendre en main.


– Elle ne bougera pas d’ici, tu ne dois pas la toucher, observe-la à ta guise, étudie-la à loisirs mais ne la sors pas de sa cavité, l’avertit Père.

– Que cache-t-elle ?

– Un pouvoir indomptable, une parure légendaire, un trésor inestimable, un bien convoité, ma revanche, ma vengeance, ma gloire et mon fardeau.

– Rien que ça ? ricana Fils devant l’exagération de Père.

– Tout ça ! Tout cela à la fois, certifia Père d’une voix… impénétrable et bien mystérieuse.


Le regard toujours braqué sur la boîte, Fils réfléchit aux dires de Père et, sans trop comprendre, se contenta d’acquiescer :

– Tout cela à la fois.


En bon perroquet, Corinne, à qui rien n’avait échappé, confirma à son tour :

– Toouut ceelaa àà laa fooiis, toouut ceelaa àà laa fooiis.

– D’accord, d’accord, dit Fils en hochant la tête – arrêtez ! Si j’vous dis qu’hôcher c’est de haut en bas, c’est qu’c’est de haut en bas ! Ou de bas en haut ? Oh… j’vais craquer… Bon, qu’ce soit bien clair, et comme ça après on n’en parle plus : Dans l’hémisphère nord, on hoche la tête de haut en bas, et dans l’hémisphère sud, de bas en haut. Voilà, les deux sont bons, c’est juste une question pur’ment géographique. Et donc dans ce cas présent ? Argh ! Tout s’passe au niveau d’l’équateur ! C’est un coup l’un, un coup l’autre ! Non mais.


Reportant son attention sur la boîte, Fils se pencha jusqu’à l’avoir sous les yeux :

<< – Que renferme donc cette boîte que je ne peux saisir ? On la dirait en cuir, du vieux cuir, usé, marron, craquelé, terni. Quelle étrange boîte, toute en longueur, hum… d’une cinquantaine de centimètres pour une dizaine de large, des proportions peu communes. Je me demande si elle est fermée, verrouillée, je ne vois pas de cadenas… >>

– Père, si je ne peux la toucher, toi, ouvre-la ! Je dois voir ce qui s’y trouve !

– C’est trop tôt Fils, mieux vaut que tu n’en saches pas plus.

– Tu as dit que j’étais prêt ! Tu as dit qu’à nous deux, on pouvait… je ne sais plus trop quoi, mais je pense que plus j’en saurai mieux ce sera ! assura Fils.

– Tu ne sais pas ce que tu dis ! Tais-toi, je t’ai dit qu’elle devait rester fermée, ça en sera ainsi ! Je t’ai laissé ressentir son pouvoir, sa puissance, son attrait. Je te l’ai montrée. Crois-moi, cette boîte ne doit pas être ouverte, ce qu’elle renferme te corromprait.

– Alors dis-moi ce qu’il s’y trouve ! exigea à nouveau Fils.

– Si je te le disais, tu me prendrais pour un fou, jamais tu ne me croirais. Si tu voyais son contenu, ta vie serait en danger, jamais tu ne t’en sortirais. Crois-moi, il vaut mieux que tu l’ignores.

– Alors pourquoi m’avoir conduit ici ?!

– Parce que j’ai confiance en toi ! Tu voulais connaître mes trésors, les voici ! Dans ces caisses, tu trouveras le meilleur rhum du monde ! Et de ce côté, dans ces coffres, une véritable fortune, en or, en bijoux, en diamants ! Plus de richesse qu’il n’en faut pour un avenir radieux, pour repartir à zéro et redevenir des pirates, des vrais, craints et respectés, et non plus des naufragés, isolés et cachés sur une île déserte !

– Tu as confiance…

– Oui ! Bien sûr que j’ai confiance ! l’interrompit Père d’un ton qui ne laissa pas le moindre doute. Fils, s’il m’arrivait… le pire… Tu sais, tu es ma famille maintenant, la seule avec Corinne, alors oui, j’ai voulu te montrer, te mettre en garde aussi, car oui, si je dois disparaître, je veux que tu hérites, de tout. Même si le rhum se bonifie avec l’âge, il ne serait pas bon qu’il soit retrouvé dans des millénaires.

– Je ne vois pas ce qu’il pourrait t’arriver…

– Et s’il ne m’arrive rien, le coupa Père d’un ton confiant, tu as raison il ne m’arrivera certainement rien, je suis décidé à tout partager, à ce que nous en profitions, à ce que tout ça nous serve, à voir plus loin, à voir ailleurs !

– Nous allons quitter cette île, pour de bon ? jubila Fils.


Père prit son temps avant de répondre, le regarda, sourit et, fier de son fils, approuva intérieurement.


– Pourquoi me regardes-tu ainsi ? Veux-tu bien me répondre, allons-nous quitter cette île ? le pressa-t-il.

– Oui, mais avant nous devrons nous battre, et je crains même que ce soit pour aujourd’hui.

– Aujourd’hui ? Contre qui ? Tu ne vas pas remettre le couvert avec tes Femmes ?! pesta Fils.

– Si je trépasse, cette boîte sera ton salut. Redonne-la leur, j’ai gagné durant tant d’années que ça n’aura plus d’importance. Elles en auront bavé pour la récupérer et cette idée me réjouit tout autant que son contenu ! Ah, je les ai bien eues, les garces !

– Tu délires, Père. Bon, s’il t’arrive quoi que ce soit, n’aie crainte, j’emporterai le tout, je l’ouvrirai et…

– N’as-tu donc rien écouté ?! s’emporta Père. Redonne-la leur ! Négocie ton existence, ton futur, ton avenir ! Et ensuite vis pour quoi je t’ai formé, vis une vie de pirate, car tu en es un, Fils, oui, qu'on se le dise, tu es le digne fils de El Capitano !


Ce fut au tour de Fils de prendre son temps, de regarder Père, de sourire et, ambitieux, d’approuver :

– Puisque je suis ton descendant, il faudra qu'on m'appelle : Capitaine !


El Capitano éclata d’un rire satisfait et Corinne s’enthousiasma :

– Caapiitaaiinee, Caapiitaaiinee, Caapiitaaiinee, Caapiitaaiinee !

– Fils, te voilà rebaptisé Capitaine, porte ton nom avec fierté !

– Ça mérite bien une de tes fameuses bouteilles de meilleur rhum du monde, non ?

– Rhuum, rhuum, rhuum !

– Rhum pour tout le monde, hurla Père.

– Et puisque tu sembles si sûr de toi, Père, après ça, nous irons nous battre !


Qu'est-ce que j'disais, un peu d’rhum avant la bataille…


Leurs bouteilles vidées, dorénavant motivés, galvanisés, ils entreprirent de quitter la cache pour regagner la cabane.


Mais avant de partir, le Capitaine détourna une dernière fois son regard vers la boîte. Malgré les picotements, les sensations, l’appel mystique qui en émanait, il ne s’en approcha plus, se résignant ainsi à ne pas l’ouvrir, à ne pas la toucher et à suivre les conseils de El Capitano. Le dernier regard s’éternisa, puis il s’en détourna, certain de toute façon qu’aucun lien ne l’unissait à elle, convaincu que, après tout, cette boîte et le secret qu’elle renfermait, ne faisait pas partie de son histoire, mais de celle, bien lointaine, de El Capitano…


Lui, une toute autre destinée l’attendait et, d’un pas décidé, motivé, galvanisé, il en prit le chemin.

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