23 - 4 - La tempête, super-héros.

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Rev’nons deux minutes en arrière, le Capitaine plongea, avec grâce, et ça mérite d’être détaillé :


Le Capitaine repéra une main dans les vagues, monta d’un petit saut, leste – pfff, avec agilité et aisance – , sur la rambarde. Il s’y dressa alors fièrement, torse bombé et tête haute. Malgré les vents puissants, bien que fouetté par de violents embruns, en dépit du roulis incessant et permanent, tel un équilibriste sur son fil, telle une glorieuse statue de bronze, il ne cilla pas et resta, deux secondes, stoïque, droit, admirable, dégageant force, sérénité et souveraineté. Puis, sans prévenir, faisant fi du bruit extérieur, d’une voix portant toute l’intensité du moment présent, il improvisa un petit bout de phrase :

– Messieurs les pirates, mes amis, mes camarades, je m’en vais accomplir ma destinée, je me dois de sauver l’un des nôtres en péril dans cette mer déchaînée ! Je sais que je ne reviendrai peut-être pas, mais je suis soulagé de laisser mon bateau en des mains compétentes. J’aurais fait la même chose pour chacun d’entre vous, ne me retenez pas, il ne peut en être autrement ! Un homme ne doit pas lutter contre ses convictions, un homme doit, chaque matin, être fier de lui. Adieu mes amis, au revoir fidèles camarades, que les vents vous portent et, s’il le faut, que la gloire et la justice divine me ramènent à vous !


Il continua pour lui-même, analysant avec réalisme, ce qu’il s’apprêtait à faire :

<< – Ouais, si un dieu quelconque pouvait se mêler de cette histoire, il serait le bienvenu. Bon, allez, garde ton assurance, impressionne-les et… oh, merde, putain, quelle connerie je fais ! Putain de merde de crotte, tu fais chier, Second, tu fais vraiment chier ! Allez, à trois je me lance… >>


Ses hommes, abasourdis par son annonce, le scrutèrent avec effroi depuis le pont inférieur. Le temps semblait comme suspendu, autour d’eux la tempête paraissait s’être arrêtée. Aucun n’osa prononcer un mot. Tous saluèrent silencieusement son courage, tous l’admirèrent intérieurement, tous prièrent avec ferveur pour qu’il leur revienne sain et sauf.


La morale, mes p’tits pirates, c’est qu’tant qu’à risquer sa vie, autant l’faire savoir ! Qu’on meurt ou qu’on survive, autant en sortir grandi et idolâtré !

J’avais dit "rien d’pire qu’un héros mort" ? Ah oui ? Oui, ça m’revient, et c’était sensé ! Mais parfois, rien d’pire que de n’pas agir, même si c’est vrai que l’Capitaine n’aurait peut-être pas, voire certain’ment pas, chercher à sauver tout l’monde… voire personne, en fait.

Mais vous savez, il n’était pas débile le Capitaine ; et il n’avait pas grand-chose d’altruiste non plus, c’est à dire que l’bonheur d’autrui, bah il s’en contrefichait pas mal. Là, il a senti qu’il pouvait l’sauver, Second ! j’dois vous avouer qu’il a toujours eu une grande confiance en lui… voire un peu exagérée, en fait.

Enfin, entre nous, si le Capitaine fait ça pour Second, outre qu’il a toujours été trop fort et qu’il fut l’premier super-héros d’not’e monde, je crois qu’avec Second il s’était passé un truc. Je crois qu’dès leur premier contact il l’a un peu pris sous son aile et l’a considéré comme… un cadet, un ami, un fils… Je n’sais pas trop, mais il y a de suite eu d’la complicité entr’ eux, une alchimie s’est créée. Il a instinctivement su que Second lui serait loyal à jamais et il savait que, pour lui, Second aurait plongé. Comprenez donc qu’il ne pouvait pas, lui, ne pas l’faire…


Le Capitaine écarta les bras, en croix, bien tendus de chaque côté de son corps.

<< – Un. >>


Il ferma les yeux, tendit le menton vers le ciel et huma l’air ambiant, une fois, deux fois, trois fois.

<< – Deux. >>


Il rouvrit les yeux, porta son regard vers l’endroit supposé de la main, maintenant submergée, et plia légèrement les genoux.

<< – Trois. Quel con, mais quel con je fais ! >>


D’une petite impulsion il s’élança bien haut au-dessus de la rambarde. Ses mains se rejoignirent dans une symétrie, une coordination et une gestuelle parfaite, sa tête trouva un refuge aérodynamique dans ses bras, et ses jambes s’unirent telle la queue d’une sirène. Sans salto, sans pirouette, il réalisa un plongeon simple, mais remarquable, abouti par une entrée à l’eau qui se fit sans une seule éclaboussure.

<< – Oh, putain, qu’elle est froide ! >> réalisa le Capitaine une fois sa petite parade terminée.


D’une brassée ou deux, il refit rapidement surface, mais alors qu’il essayait de se repérer, l’océan ne lui laissa pas de répit et une vague s’abattit sur lui. Surpris, groggy, il tourbillonna sous l’eau. Serein, il garda son calme et attendit que ça passe :

<< – Pas la peine d’avoir peur. Je le sais, c’est inutile. Maintenant que je suis là, à me faire secouer dans tous les sens par cette maudite vague, que je ne suis plus maître de mes gestes, que je n’ai d’autres choix que de subir cet essorage en règle, pourquoi aurais-je peur ? Comme je l’ai si bien dit à la Commandante, la peur évite le danger, mais maintenant que le danger est là, je n’ai plus de raison d’avoir peur. Pourvu juste que tout ça cesse… rapidement avant que le souffle ne me manque… Ah, je crois que c’est bon, j’ai fini de tourner. >>


L’agitation passée, confondant le haut et le bas dans ces eaux obscures, le Capitaine ne sut vers où se diriger pour remonter à l’air libre.

<< – Première étape, identifier où est la surface. >>


Le Capitaine laissa quelques bulles d’air s’échapper de sa bouche.

<< – Allez, plus qu’à les suivre. >>


Vous avez compris ? Oui ? Sérieux ? Alors allez-y, expliquez-moi bande de p’tits vantards ! Bon, ok, soit, vous avez compris, c’est ça, les bulles remontent toujours à la surface. Ok, j’reconnais qu’à un moment j’ai pu douter, cette fois-ci à tort, de vos capacités intellectuelles.

Quoi ? Pourquoi les bulles d’air remontent à la surface ? Oh, v’là pas qu’vous m’réclamez un cours de physique. Heureus’ment que j’suis douée dans tous les domaines, car après les maths, le français, la biologie, ok, faisons donc un peu d’physique.

Pour faire simp’e, si si, parce que même si vous v’nez de m’surprendre, là vous n’êtes plus au niveau. Stop, ne la ram’nez pas !

Les bulles d’air remontent car elles sont plus légères que l’eau ; elles sont donc repoussées vers la surface.

Alors pourquoi elles ne tombent pas tout au fond d’l’eau à cause de la gravité ? Euh, bah… je n’sais pas, ça n’a rien à voir… enfin, je n’crois pas. Puis si on réfléchit, tout en bas y’a d’jà l’eau, donc comme je disais, la bulle d’air étant plus légère que l’eau…

Quoi ? Combien elle pèse ? Non.. mais… non… j’n’en sais rien ! C’n’est pas une question d’poids ! J’ai dit qu’elle était plus légère, donc c’est forcément une question d’poids… Là, vous m’tapez sur le système ! Pfff, j’n’aime pas la physique.

Bon, la bulle d’air, immergée dans l’eau, subit le poids de toute l’eau au-dessus d’elle et le poids de toute l’eau en-dessous d’elle. Comme il y a plus d’eau sous elle, parce que la mer est profonde, la pression d’en dessous la pousse vers la surface. Ok, ça vous va comme ça ?

Quoi encore ? Allez-y, répétez : si le Capitaine a tourbillonné trop bas sous l’eau, les bulles peuvent redescendre sous le poids de toute l’eau au-dessus, et donc il s’rait en train d’nager dans la mauvaise direction… Oh, putain, c’est quoi cette réflexion à rallonge ?! Vous avez l’esprit tordu, non mais sérieux, vous êtes perturbés, malades et tordus ! Qui sont les gosses qui s’posent ce genre de question ?!

La bulle d’air remonte à la surface, parce qu’elle a une densité, donc un poids volumique, toujours plus faible que l’eau. Tout objet ayant une densité plus faible que l’eau remontera à la surface ; au pire si il est trop bas, à une certaine pression, je pense qu’il se fera dissoudre, il sera complèt’ment écrasé… l’objet…. par le poids d’leau… vous m’suivez ?

Oui, pas trop, en tout cas il vous semble que j’ai donné deux explications différentes ? Et bah comme ça, dites-vous donc que ça lui fait deux bonnes raisons, à la bulle d’air, pour remonter plus vit’ à la surface !

Bon, rev’nons en au plus simple : ret’nez qu’l’air ne reste pas dans l’eau et remont’ra toujours à la surface, c’est une question physique de densité, de poids par rapport à un volume donné, et de forces combinées. Ouf !

Mouais, bon, vous pens’rez à moi quand on vous parl’ra d’Archimède. En attendant, la physique, c’est bien quand on est physicien, sinon c’est à n’y rien comprendre !

Comment on devient physicien ? Ma petite, je pense que c’est une maladie ; ou une mutation génétique du cerveau. Comme les X-Men ? Oui, c’est ça, les physiciens sont des X-Men malades !


Sans paniquer, calmement, le Capitaine suivit les bulles et regagna la surface.

Cette fois-ci, plus attentif à son environnement, il vit une autre vague dangereuse toute prête de s’en prendre à lui ; il anticipa, inspira et plongea avant d’être balayé. Abandonnant alors toute idée de chercher Second à la surface, l’imaginant déjà en train de couler, il se mit à nager sous l’eau. Les yeux grands ouverts dans cette eau trouble et tumultueuse, il essaya de le retrouver. Aucune minute à perdre, il se devait de le secourir, et vite ; il le savait et s’y encouragea :

<< – Allez, allez, où te caches-tu ? Tu n’as pas pu sombrer aussi vite ! Montre-toi, fichtre imbécile, ne me fait pas regretter mon geste – que je déplore déjà – , je ne me suis quand même pas jeté à l’eau pour ne pas te retrouver et finir ma vie par une noyade ridicule ! >>


Une brassée supplémentaire, une autre encore, nageant quasi à la verticale, il s’enfonçait plus encore à chaque mouvement. Autour de lui, l’eau devenait si sombre qu’il ne voyait plus rien ; autour de lui, le rugissement extérieur avait presque fait place au silence des abysses.


Et donc, les abysses, je m’en doutais… ce sont les fonds océaniques. Là où tout est noir, là où il n’y a plus d’lumière, là où tout est calme, là ou il n’y a plus un bruit, là où vivent des poissons improbables, là où règnent des espèces inconnues… et parfois imaginaires ! Les mondes extraordinaires et les êtres légendaires sont là, j’vous l’rappelle, tout autour de nous.

Sinon, pour votre… non, j’abandonne le "pour votre". Sinon, notez qu’il ne faut pas confondre les abysses et les abîmes. C’est un peu pareil mais les abysses c’est propre à l’océan, les abîmes c’est plus terrestre, c’est un gouffre profond. Voilà, comme ça vous savez tout.


Après une vingtaine de minutes passées à rechercher Second, le souffle commença à lui manquer.


On vous f’rait gober n’importe quoi ! On réagit !


Au bout de deux minutes à trois minutes passées sous l’eau à chercher en vain, le souffle commença à lui manquer.


Bah oui, c’n’est pas un homme-poisson, il ne peut pas rester trois heures sous l’eau sans respirer ! C’n’est pas Namor !

Quoi ? Non, c’n’est pas vrai, vous n’connaissez pas Namor… Namor, c’est l’prince des mers ! Un super-héros, une carrure à en faire pâlir plus d’un ! Sexy à souhait ! L’incarnation d’la virilité ! J’vous assure que quand il sort de l’océan, qu’il se met à marcher sur le sable tel le demi-dieu qu’il est, que l’eau ruisselle sur ses pectoraux, qu’il agite d’un geste sensuel ses cheveux parfumés au sel, qu’il vous fait signe d’approcher d’un doigt palmé, qui je suis sûre est façonné pour titiller l’cli… l’crime, qu’il exhibe sa toute puissance à travers son slip vert moulant et son trident... à la main l’trident, j’précise pour n’pas qu’on dise encore que… quand même, vous imaginez si… sous le... en forme de trident... trois pour l’prix d’une… wahou, Namor et ses supers pouvoirs cachés…

Quoi ? Hein, j’avais l’regard dans l’vide ? Ah, euh… oui, pas si vide… Quoi ? Je r’commence ? Non, bon, un trident c’est une grande lance avec trois pointes, rien d’plus, rien d’moins !

Et tout ça pour dire que, j’vous assure, quand il sort de l’eau, Namor, c’est l’Ursula Andress au masculin ! Et encore, là il sort de l’eau, imaginez quand il se déhanche sous l’eau ! J’aimerais bien être le "sous l’eau"…

Bon, passons, j’crois qu’Namor est en train d’humidifier l’atmosphère. Des questions ?

C’est qui Ursula Andress ? J’aurais dû m’y attendre… C’était la Brad Pitt féminine ! C’est qui Brad Pitt ?! Oh, merde, j’crois qu’j’suis vieille…


Le Capitaine remonta à la surface. La tête hors de l’eau, il reprit sa respiration. Par chance, aucune vague ne le frappa, une venant juste de passer. Il regarda à droite, à gauche, et fut rassuré de voir qu’il ne s’était pas encore trop éloigné du bateau. Il replongea et scruta à nouveau les profondeurs.

Étrangement, alors que juste auparavant il n’y voyait rien ou pas grand chose, il constata cette fois-ci que l’eau était illuminée d’une certaine clarté… rougeâtre. Il ne s’en préoccupa et ne s’en inquiéta pas ; plus qu’effrayante, cette lumière était en fait bénéfique, elle améliorait très nettement sa vision et, rapidement, il put apercevoir Second à quelques mètres en dessous de lui.

Il s’était attendu à ce qu’il coule bien plus vite, il commençait à réellement désespérer, craignant même qu’il ne soit déjà bien trop tard, mais non, Second avait tenu le coup… jusque-là.

Le Capitaine le rejoignit, le saisit par la taille et s’affaira à le remonter à la surface. Second, comme mort, ne l’aida pas, ne s’agita pas, ne réagit pas.

Le Capitaine lutta, nagea, brassa d’une seule main, battit des pieds et, presque à bout de souffle, émergea avec Second.


Tout juste sortis de l’eau, une vague surpuissante s’écrasa sur Second et lui arracha la tête… non, j’rigole ! Oh, allez, un peu d’humour.


Tout juste sortis de l’eau, ils reçurent en plein visage les embruns d’une vague et furent soulevés par la mer en furie. Le Capitaine inspira, respira et constata bien vite que Second n’en faisait pas autant.

Alors, d’une manière peu conventionnelle et sans qu’il ne sache trop comment faire au beau milieu d’une tempête, il lui maintint la tête hors de l’eau et lui comprima la poitrine avec force. Une fois, deux fois, trois fois. Encore : une fois, deux fois, trois fois. Arriver à faire cela, dans cette mer si déchaînée, fut un exploit, digne d’un super-héros, qu’il espérait bien voir couronné de succès :

<< – Allez, Second, respire ! Respire, nom de non ! >>


Une fois, deux fois, trois fois.

<< – Je ne te ferai pas de bouche-à-bouche, n’espère même pas que je te fasse du bouche-à-bouche ! >>


Dernier essai, une fois, deux fois, trois fois : toujours aucune réaction.

<< – Putain, ce n’est pas vrai qu’il va m’y obliger ! Non ! >>


Ultime tentative, une fois, deux fois… Second ouvrit les yeux, inspira et aussitôt recracha toute l’eau salée qui lui emplissait les poumons. Il inspira et en recracha encore. Il inspira et, tout doucement, reprit une respiration normale. Satisfait, mais conscient que ce n’était peut-être que partie remise et que la noyade les guettait toujours, le Capitaine improvisa tout de même un petit bout de commentaire :

– Alors, heureux de ce petit bain ? L’eau est-elle à bonne température pour toi ? Parce que moi, je me gèle les couilles !


Oh, c’est bon, on a dit "bite" y’a pas longtemps, on peut bien dire "couille" maint’nant ! On n’va pas chipoter, c’est la même zone !

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