23 - 5 - La tempête, remuer, nager.

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– Non, non, non, nous sommes perdus, on va mourir, je…, se lamenta Second.

– Oui, oui, oui, nous ne sommes pas encore saufs, on va peut-être périr, mais pas sans lutter ! le motiva le Capitaine.

– Je n’en ai pas la force… laissez-moi, s’apitoya Second.

– La force, quand il s’agit de survie, c’est dans la tête ! Alors tu oublies ta fatigue et tu te remues ! incita le Capitaine.


Second pouffa, tellement las, tellement épuisé, tellement proche de la mort, que la survie lui apparaissait presque accessoire.

Le Capitaine ne se laissa pas décontenancé par le désespoir de Second et s’affaira, tournant la tête à gauche, à droite, à rechercher leur bateau.


Mais si c’est du français ! C’est juste vous qui n’avez pas d’vocabulaire ! D’puis l’temps, j’pense que ça s’voit ! Le Capitaine, il ne se laisse pas troubler par un Second défaitiste et qui n’arrête pas d’imaginer qu’il va couler, boire la tasse, refaire surface, recouler bien trop vite à son goût, reboire la tasse, rerefaire surface, ne plus pouvoir, rereboire encore plus d’eau que son estomac ne peut en contenir, n’plus pouvoir respirer, sentir sa poitrine se comprimer et brûler, paniquer, s’étrangler, s’étouffer, respirer coûte que coûte dans l’eau et en ravaler plus encore, avoir l’impression que ses yeux et sa cervelle explosent, que sa gorge se déchire, que ses muscles se tétanisent, manquer d’énergie, sentir sa vie lui échapper, doucement, jusqu’à se noyer… douloureus’ment… mourir.

Voilà, Second il s’imagine ça et le Capitaine, lui, ne s’en préoccupe pas et, s’affaire, essaye activ’ment de trouver une solution pour qu’ils s’en sortent !


– Mais où peut bien se cacher ce fichu bateau ? s’impatienta le Capitaine.


Bah oui, parce qu’aussi gros soit-il, un bateau, dans une tempête, peut disparaître !

Là, je n’parle pas d’couler, hein ? Qu’on soit d’accord, j’dis simplement qu’les creux des vagues, les montagneuses vagues, peuvent le cacher d'la vue des pauvres nageurs.


Second, peu enclin à bouger, peu motivé à chercher, se contenta d’interroger… et de se plaindre :

– Mon Capitaine, pourquoi êtes-vous dans l’eau ? Pour moi ? Le bateau… la barre… plus personne pour... oh, je suis si fatigué, c’en est fini de moi, de toute façon, de nous, laissez-moi… merci, mais je vais mourir.


Rageur, ennuyé par ce piteux apitoiement, le Capitaine eut envie de lui remettre la tête sous l’eau. D’ailleurs, rapidement, en s’appuyant dessus de ses deux mains, il le fit ; juste histoire que Second la ferme ; puis, d’un coup sec, le tirant violemment par les cheveux, il la lui ressortit.

Second, qui eut le temps de boire la tasse, toussa et prit conscience qu’atteindre la mort, dans les bras du Capitaine, ne serait pas si simple.


– Oui, tu vas mourir, mais parce que je vais te tuer ! Et lentement, oh, tellement lentement qu’en plus de trépasser, tu vas souffrir de douleurs inimaginables !


Second pouffa, tellement las, tellement épuisé, tellement proche de la mort, que les menaces du Capitaine ne lui firent ni chaud ni froid.

Le Capitaine ne se laissa pas décontenancé par le manque de réaction de Second et s’affaira à continuer son intimidation :

– Je vais te tuer pour ne pas m’avoir écouté, pour avoir lâché la rambarde, pour avoir gâché ma corde en faisant un nœud qui n’a pas tenu, et surtout, surtout, parce que je suis trempé ! De la tête aux pieds ! Alors oui, ah ça oui, je vais te tuer, te trucider, te martyriser, te laminer, te réduire en charpie ! Mais en attendant, tu fais ce que je te dis, tu te tais, tu nages, tu te remues et tu m’aides autant que tu le pourras !


Second recommença à pouffer. Perdant patience, le Capitaine le baffa, d’une claque énergique, bruyante et vigoureuse. Décontenancé par ce geste brusque, Second en oublia, pour un temps, sa lassitude et son épuisement.

Satisfait par son retour à la vie, succinct, le Capitaine s’affaira à terminer ses encouragements :

– Je te certifie qu’on va regagner le bateau ! Il est hors de question que je nage encore et encore pendant des mois entiers à la recherche d’une île !

– Avez-vous réellement nagé pendant des mois ? questionna Second.

– À peu près. N’oublie pas que je te dois cette histoire et que tu m’en dois une ; alors, ré-a-gis !


Second souffla, se rappela être fatigué et bientôt mort, et "réagir" lui apparut bien difficile. Mais alors qu’il allait protester, le Capitaine s’émerveilla :

– Là, il est là-bas ! Nous y arriverons ! Il n’est pas si loin ! Second, nous sommes à quelques brasses d’être sauvés !


Tout en contradiction, Second confirma :

– Là-bas, tout là-bas… Nous n’y arriverons jamais… Il est si loin… Capitaine, il nous faudrait des heures de nage !


Tout en contrôle, le Capitaine clarifia :

– Si j’entends, encore, ne serait-ce qu’une seule autre parole négative sortir de ta bouche, je t’arrache la langue ! Nage, bouge, remue-toi ; fais ce que tu veux mais je t’assure que je n’ai pas l’intention d’abandonner et de laisser cette tempête s’occuper de toi ! Ton sort est lié au mien, alors je t’ordonne, c’est un ORDRE, de…

– Je sais, vous m’ordonnez de nager, de me remuer et d’arrêter de me plaindre.

– Heureux de te l’entendre dire !

– Le dire et le faire sont deux choses bien distinctes, marmonna Second.

– Quoi ?! menaça le Capitaine.


Second souffla, le Capitaine, d’un geste vif et rapide, lui inséra l'index et le pouce dans la bouche et lui saisit la langue. Il la pinça très fort et la lui tordit – hey hey, l’Capitaine avait un p’tit c’côté vicieux fort rigolo. Second écarquilla les yeux et se sentit subitement ragaillardi.


– Je te l’arrache ?

Second secoua la tête – Comment ça dans quel sens ?! C’est si important qu’ça ? Pfff, laissez tomber, de droite à gauche…

– Bien. Donc tu vas tout faire pour survivre ?

Second hocha la tête – Et là de haut en bas !

– Parfait.

Le Capitaine la lui relâcha et se mit à nager. Second, après avoir pris deux secondes pour se la masser, le suivit – mais pas avant d’avoir ressoufflé !


Dans les vagues toujours énervées, le Capitaine et Second furent plus que secoués.

Le Capitaine nagea, remua, peina, se fit remuer, nagea sans avancer, recula et finalement fit du surplace.

Rapidement, Second, plus que nager, se contenta de faire du surplace et de garder la tête hors de l’eau. Cet effort hors du commun lui parut être une réaction digne de la survie ; il fut convaincu d’avoir obéi aux ordres.

Le Capitaine souffla, s’arrêta, pouffa, regarda Second à côté de lui, l’agrippa et, de plus belle, reprit ses efforts pour regagner le bateau.


Le Capitaine aurait pu se désespérer, mais ç'aurait été sans compter sur sa détermination sans faille. Le Capitaine, quand il avait une idée en tête, il ne l'avait pas ailleurs comme on dit. Il n’était pas d’un tempérament à renoncer facilement. Il aimait d’ailleurs citer le fameux proverbe : « Tant qu’y’a d’la vie, y’a d’lespoir ! ». Je m’demande même si l’expression n’vient pas d’lui, tellement il a pu la répéter.

La moralité, mes p’tits pirates, ne r’noncez jamais, n’désespérez pas, on n’sait jamais ce qui peut arriver demain ! Les miracles existent !

C’est du déjà dit ? Ça aussi ?! Peut-être, mais… comme le Capitaine, je rabâche pour que jamais vous n’l’oubliez !


La mer gonfla, le bateau en vint à trôner un moment à la cime des vagues, puis, subitement, il disparut dans un creux. Ballotté dans tous les sens, il refit son apparition et se retrouva propulsé dans l’axe du bateau des femmes. Une vague le percuta de plein fouet sur le côté et il dévia de direction.

Tout en anarchie, à la merci de la surpuissance de l’océan et de son bon vouloir, il s’éloigna du Capitaine et de Second, se rapprocha, disparut, réapparut sur leur gauche, se volatilisa, surgit sur leur droite, s’éclipsa et, presque par miracle, se retrouva vraiment à quelques mètres d’eux.


– Allez, c’est notre chance, nous n’en n'aurons peut-être pas d’autres ! Aide-moi à avancer, le bateau est là, regarde, juste là ! Allez, courage, tant qu’il y a de la vie, il y a de l’espoir !

– Moueuh… l’espoir fait vivre… prononça Second complètement à bout de force et tout prêt à renoncer à l’espoir comme il souhaitait à nouveau renoncer à la vie.


Le miracle continua : le bateau, tourné vers eux, fut propulsé par une grosse vague dans leur direction. Mieux, poussés par une vague contraire, Second et le Capitaine furent aussi propulsés dans sa direction.


– Second, accroche-toi à moi, je crains que l’on ne retrouve notre bateau un peu trop rapidement.

– Vous voulez dire que nous allons le percuter, oui ! Nous allons finir broyer, comme ces petits chats que l’on…

– Oh, tais-toi donc ! Garde tes histoires de chats pour toi et prépare-toi au CHOC !


Quoi ? Qu’est-ce qu’il voulait dire, Second, avec les p’tits chats ? Bah, vous savez bien ! Avant, dans les campagnes, quand il y avait trop d’chats qui s’reproduisaient, qu’il y avait trop d’bébés chats, bah on les prenait et on les lançait contre les murs pour…

Il y avait aussi l’histoire du sac et du puits, c’est peut-être mieux, l’histoire du puits et du sac…

Bon, bref, je n’vis pas à la campagne et j’aime les… non, en fait j’n’aime pas les chats mais… bon, c'est bien connu les chats r'tombent toujours sur leurs pattes, les j’ter ça leur permettait d’s’exercer.

Pourquoi je n’aime pas les chats ? Vous rigolez ?! Alors un, ça griffe. Deux, ça perd ses poils sur la moquette. Trois, ça sert à rien. Quatre, c’est câlin que quand ils le veulent. Cinq, c'est méchant. Six, vous n’avez qu’à r’garder le r'portage « Comme chiens et chats » et vous verrez bien, vous comprendrez tout !


Le choc fut rude : le Capitaine heurta le bateau de l’épaule gauche, Second percuta l’épaule droite du Capitaine et s’en étourdit au point de le lâcher et de sombrer à nouveau dans les flots. Sonné mais toujours attentif, le Capitaine le rattrapa d’une main et le remonta à la surface. Plus le temps de parler, tout juste le temps de le secouer et de lui porter une autre claque et, dans la même seconde, alors que le bateau filait devant eux, le Capitaine s’apprêta à sortir son épée, avant de se rappeler qu’elle était censée bloquer le gouvernail.


– Merde mon épée ! Pesta-t-il


Second, machinalement, dans un geste miraculeux, malgré son état second, sortit une dague de sous son manteau et la tendit au Capitaine.


– Oh bah merde, tu deviens utile !

– Ch’ai pas… Quoi… Épée ? Dague… va vous servir… mais… tenez… tenta de s’exprimer Second sans trop savoir ce qu’il allait advenir.

– Elle va nous servir à ça !


Le Capitaine arracha la dague des mains de Second, la leva au-dessus de sa tête et de toutes ses forces la planta dans la coque du bateau.


– Contente-toi de t’accrocher à moi et moi je me cramponne à cette dague. Avec de la chance un nigaud de pirate va nous lancer une corde.

– Y croyez-vous réellement, mon Capitaine ?

– Non ! Bien sûr que non ! Je pense surtout qu'on va devoir se faire trimballer et attendre…


Le Capitaine laissa sa phrase en suspend et ne la termina pas, le regard porté au loin et attiré par quelque-chose. Second, agrippé de toutes ses forces à la taille du Capitaine, les yeux à moitié fermés, ne vit rien venir et, fidèle à lui-même, demanda :

– Attendre quoi ?!

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