Les cornes du Roi

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Le démon cornu plongeait ses yeux dans les profondeurs inexistantes du marais.

Depuis des millénaires, il procrastinait là, perdus au milieu des bois, mort dans la pierre qui l’emprisonnait. Les arbres se penchaient sur sa tête toujours impeccable – cheveux taillés, plaqués et coiffés – et le tapissait de leur couverture naturelle. Ils le protégeaient du soleil qui le cherchait, prêt à l’abattre au premier regard.

Les branches noires approchaient comme des serpents en quête de proie vers son corps sculpté et nu, torse propre et imberbe du temps qui étaient déjà passé sur son enveloppe meurtrie. Les racines plongeaient et émergeaient de l’eau, s’enroulaient autour de ses chevilles puis de ses cuisses avec la vivacité d’une hydre. Elles cueillaient et aspiraient son entité et l’attiraient aux confins de la terre battue par la marche invisible des fidèles.

Il n’y avait que ses mains sèches pour reconnaître la nature de notre homme qui avait tant perdu. Elles cultivaient encore la chose d’or et de fève qui ornait son poignet et ses doigts cassés. Un anneau et des chaînes qui l’avaient à la fois coulé et libéré d’une souffrance éternelle.

Cet homme donc vivait peut-être reclus. Son simple bouc sur le menton pendait humble et assujetti par la prison de son porteur ; la prison de pierre et de mousse. Il remontait par quelques favoris aux coins de sa bouche nécrosée par le dégout et l’horreur, tordue et la langue en pendentif irréversible. Son nez renfrogné exposait son armure brisée et gercée par le cœur des siens. Et ses yeux crevés et clos pour l’honneur fronçaient des sourcils embroussaillés.

De sa personne dépassée et noyée dans l’eau croupie de l’étang, il ne restait plus que le cadavre fantomatique flottant sur la surface. Cette réplique dépouillée n’avait plus sa couronne piquant le ciel, ni l’ombre des arbres pour le protéger. Il était mort seul et immuable.

xxx

Sur le flanc du roi cornu, un faon chauve s’approchait, le nez en l’air, humant les herbes du printemps naissant. Son visage blanc, pur par sa récente naissance, projetait des yeux aveugles de la cruauté et bleus de bonté. Soulignés par un coup naturel de crayon noir, ils avaient cette innocence honnête et cette spontanéité infantile.

Son museau rose et frais toucha la main de l’homme et l’animal ignora à ce moment que sa courte vie serait désormais bordée de chance et de dignité. Il portait en son cœur la bonne âme encore claire et charmante d’un homme, un roi mort, avec sur la tête deux cornes hautes de prestige.

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