Corbeau Né

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Son habit de fumée brulait le ciel aveugle et était le signal aux ombres de se lever contre toutes destinées. Il n’avait pas de nez, un simple trait fendu sur une protubérance cliquetante et hurlant à souhait un croassement rauque et désagréable. Deux perles noires dans ses orbites crachaient un éclat d’argent, une étoile tranchant les pupilles de qui croisait son regard. Et sur sa tête, une crête, la couronne du roi des ombres affichait fièrement son apparente royauté.

D’un bond, d’un souhait, il se laissa tomber dans les profondeurs du sol ; puis déploya ses ailes avant de relever son bec. En quelques instants, il disparut dans l’obscurité de ce monde déchu.

Sur le balcon, face au bâtiment, trône de ce roi envolé, la japonaise dans ses vêtements traditionnels admirait avec lassitude le paysage morne et délavé. Il reflétait ce qu’elle était : pleine de haine et d’égocentrisme.

Le bout de ses doigts blancs caressait la peinture rêche de cette barrière brisée, et de son autre main, celle qui ne possédait pas de phalanges, elle effaçait avec parcimonie le maquillage qui la cachait de ces monstres chasseurs. Le rouge de ses lèvres s’étalait comme des gouttes de sang trop fraiches sur la pureté de son visage et les feuilles d’or se désagrégeaient comme son esprit entre ses cils.

D’un coup, d’un seul point théâtral, elle fit face à sa chambre sans lueur. De ses deux paumes, elle se frotta les yeux de plus bel et attendit que la chose qui se mouvait dans le coin fasse le premier pas. Elle demeurait les lèvres celées par le tombeau, la promesse qu’elle venait de produire lors de sa cérémonie. Elle était clouée par le sort qu’elle s’était juré.

Elle tendit sa paume dégarnie et incita la créature à joindre ses démons. Celle-ci ne bougea plus. Puis lorsque les coups de bâtons se firent entendre dans la rue, elle se jeta sur la femme en déchirant à coup de crocs répétés ses habits de rouge et d’or. Son corps se découvrait pour la première fois au grand jour.

Lorsque la créature eut fini, elle recula de la jeune femme et ne bougea plus. Elle était maintenant statue, représentante de la vie passée de cette adolescente et d’elle-même, à jamais coincée dans la pièce de tous les sacrifices, cette chambre de pierre.

La fille se releva et écartant ses bras et concentrant tous ses forces, elle agrippa son dos et en arracha la chair devenue encombrante. Sous le sang qui perlait et sous ses ongles qui s’arrachaient, elle fit naître les plumes du mal. Elles se groupèrent grâce à la brise matinale en amas de peau et de muscle et bientôt ils palpitèrent comme un cœur jeune et bien vivant.

L’adolescente regarda le fruit de son sang et de son labeur, puis de pleine main, en agrippa un morceau et le porta à ses lèvres, brisant le sceau de sa promesse.

Elle déglutit en un bruit de succion dégoutant et laissa glisser son liquide d’eau et de gras contre son menton.

Elle s’approcha de la rambarde, la séparant seulement de la délivrance. Cette rambarde sur le balcon qui n’avait jusqu’à aujourd’hui fait que naître sa folie. Elle s’éleva sur la pointe de ses pieds au-dessus du vide qui grandissait à vue d’œil.

Les coups de bâtons accélérèrent, comme un avertissement, une colère ou une mise en garde. Mais la femme n’écoutait pas.

En un instant, elle se laissa tomber, et le monde n’exista plus.

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