Le pinceau de Thomas

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Son coup brusque traça comme l’éclair de Zeus contre Typhon la cicatrice blanche sur la main de l’enfant. Un trait brûlé, proche en fait des profondeurs abyssales, vint agrémenter la cicatrice d’un relief étrange. Le sang s’écoulait encore de la plaie, mais non pas comme celui du commun des mortel mais en grumeaux et marron comme déjà séché par le temps, un temps plus long et douloureux qu’il ne représentait.

Par-delà l’épaule squelettique du jeune garçon, la plaine sordide s’étendait au-dessous d’un voile de ténèbres. La plaine, quoi que déformée par quelle collines et arbres aux doigts décharnés, était engloutit par la dizaine d’année de souffrance et de colère passées au travers de n’importe quel sortilège fait pour la protéger.

Et le soleil brillait autant que la lune des nuits les plus sombres. Sur le flanc de la plus grande bosse de ce monde mort, le cimetière de ses ancêtres dormait d’un sommeil agité, prisonnier des chaînes de brume épaisse. Les tombes verdâtres se blessaient entre elles, se frappaient et se fissuraient durant leur lutte, encouragées par le vent statique des feuilles mortes.

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C’est ainsi que Thomas finit sa dernière peinture, suant et saignant d’avoir trop joué avec les couleurs et défié les enfers. C’est une damnation, un sacrilège, que dis-je, une fin en soi d’avoir achevé ce tableau maudit. Qui plus est par la couleur dorée des ongles édentés.

Thomas replace le torchon souillé sur le visage de ce portrait déchu. Il ne peut plus voir ce regard empli de méchanceté, mais la force du manoir fait parfois glisser ce tissu sur sa peau peinturlurée et le brule. La toile maintenant complétée, elle ne le blesserait plus.

Thomas arrache son tablier et le jette avec précipitation. Le regard perdu par la peur et sûrement aussi par la folie, il court hors de l’atelier tandis que les dieux se mettent à éclater leur colère. Des éclairs déchirent le ciel et s’effondrent sur la toiture pourrie de la bâtisse. Thomas ferme la pièce et glisse la clé sous la porte. Le manoir retiendrait à jamais le mal qui le ronge sans le laisser échapper.

En voulant reprendre sa course, il glisse sur le tapis imprégné de sang d’où s’échappe déjà un monticule de racines et de cheveux noirs. Il hurle d’effroi et son teint devient plus blanc qu’il ne l’est déjà. Pâle comme le fantôme qui se tient là. Il hurle à nouveau et secoue ses jambes pour les forcer à se relever.

Il atteint vite le hall dégarni de la propriété, d’où aucune lumière ne parvient, et sourit presque en apercevant les deux immenses battants. Mais alors qu’il se précipite en entendant les hurlements furieux mêlés aux rires fétides de l’esprit vengeur, une quinte de toux le prend. Il sent sa gorge se serrer et ses poumons se tordre alors qu’on y insère un pieu de fer chauffé.

Il titube et se rattrape à la poignée. Il l’abaisse, le cœur explosant, et tombe, non pas dehors comme il l’espérait, mais devant le chevalet. La peinture est toujours en place, mais elle tremble. Le torchon se décroche, Thomas hurle en apercevant les yeux de la créature et se cache dans ses bras. Le chiffon est sur sa main, imprégnant sa chair malgré les grattements répétés de Thomas.

La porte de l’atelier claque ; il aurait hurlé s’il respirait encore. Avant de sombrer dans la pénombre, les yeux imprégnés de sang et le visage bleu, une main froide relève son visage.

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Thomas entend les rires enfantins résonner dans les murs. Il se couvre les oreilles et continue à se taper la tête contre le mur au papier défraichi ; il semblait même encore plus défait que la veille. Un liquide rouge, qu’il n’apparente pas à son propre sang, coule sur le parquet et ses cils à demi arrachés ; il s’est trop longtemps gratté les paupières pour faire disparaître ces images sombres et emplies de folie meurtrière.

Il n’en peut plus, il ne veut plus entendre ces cris continus. Il est enfermé dans son atelier depuis des heures en espérant lui échapper, mais rien n’y fait, il est partout, il est chez lui.

Une toile vole à travers la pièce et s’écrase sur ses talons meurtris d’avoir marché en rond pendant des jours. Il se tourne, la ramasse et grince des dents. Un portrait inachevé de cet enfant du diable. S’il faut le faire pour que tout s’arrête… Il le pose sur le chevalet et retrouve son pinceau cassé

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