Chapitre 1 - Celle qui faisait son retour

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Une fille entre dans un café situé sur Henry Street à Brooklyn. Non, ce n’est pas une mauvaise blague qui commence… Cette fille, c’est Elyzabeth. Elle n’était pas entrée dans ce café depuis des années et elle avait déjà l’impression que tout avait changé dans cet endroit. Elle avait eu la même impression la première fois qu’elle était revenue à New-York, près de dix ans après avoir déménagé en Europe.

Lorsqu’elle avait huit ans, son père avait décidé de déménager en Europe pour enseigner la littérature américaine dans une prestigieuse université. À cet âge-là, New-York paraissait immense aux yeux d’une petite fille de dix ans. Les buildings semblaient aussi hauts que toutes les montagnes du pays. Elle était née à New-York et pendant huit ans avait vécu dans un appartement de Manhattan, d’abord avec ses deux parents, puis seule avec son père. Sa mère est partie, du jour au lendemain. Aucun enfant aussi jeune ne peut réellement comprendre pourquoi quelqu’un décide d’abandonner mari et enfant sur un coup de tête. Mais Elyzabeth n’a jamais posé de question à ce sujet, et son père n’avait jamais cherché à aborder le sujet. Depuis ce moment, cela avait toujours été eux deux contre le reste du monde. Quand son père a décidé de déménager en Europe, elle ne s’était pas rendu compte directement de ce que cela signifiait. Ce n’est que quelques jours après leur arrivée dans une petite ville anglaise qu’elle avait compris. Elle en avait ignoré son père pendant plusieurs jours, refusant de lui parler. Elle avait déjà un caractère bien trempé du haut de ses huit ans. Beaucoup peuvent penser que partir en Europe est fantastique, sûrement parce que les Américains ont parfois une vision un peu mystique de l’Europe. Mais une pour une enfant de huit ans, c’est tout son monde qui change et qu’elle doit reconstruire. Elle ne se faisait pas beaucoup d’amis et ne se sentait pas réellement à sa place. Ses amis lui manquaient, James et Sarah. Depuis qu’ils étaient rentrés en maternelle, ces trois enfants ne s’étaient pas quitté. Ils étaient inséparables. Mais le père d’Elyzabeth avait pensé que c’était une bonne chose de déménager loin de ce qui avait fait souffrir sa famille. New-York avait été la scène d’une séparation bien trop douloureuse. Il ne s’était pas rendu compte qu’arracher sa fille à ses amis, à sa vie, à ses habitudes, ne ferait qu’exacerber cette douleur latente dans le cœur de cette dernière. Au début, l’enfant n’avait pas montré qu’elle souffrait d’être loin de ses repères, mais plus elle grandissait, plus elle se refermait sur elle-même, plus son père se rendait compte qu’elle n’était pas heureuse dans la vie qu’il avait choisi pour eux deux. C’est pour cela, que l’été de ses dix-huit ans, avant d’entrer à l’université, le paternel avait accepté que sa fille passe l’été chez sa tante, à New-York.

Ainsi, Elyzabeth avait passé dix ans loin de sa ville natale, avant de revenir le temps d’un été. Elle avait adoré redécouvrir sa New-York, même si elle avait l’impression d’être une inconnue dans la ville qui l’avait vu naître. Elle avait fini par retrouver deux visages familiers, Sarah et James. Sarah n’était restée que deux semaines à New-York, avant de partir en voyage avec sa famille. Elyzabeth s’était ainsi retrouvé avec James, ils s’étaient vus plusieurs fois, presque tous les jours lors des dernières semaines de l’été. Et ils avaient fini par être plus que des amis…

Elle ne savait pas trop comment lui était venu l’idée de rentrée à New-York après ses études. Peut-être que son père y avait joué un rôle, pensant que rentrer à la maison lui ferait du bien. Mais elle ne savait pas si, après quinze ans, sans avoir vécu plus de deux mois dans cette ville, elle pouvait encore considérer New-York comme « la maison ». Pourtant, Elyzabeth était en train d’entre dans ce café de Brooklyn Heights, sans imaginer que c’était là que tout allait changer. Elle s’avança vers le comptoir et demanda un café latté. Elle ne faisait pas attention aux autres clients présents. Au beau milieu de la journée, il n’y avait pas grand monde, un couple de touristes, une groupe d’amis installé dans un grand divan et en train de discuter de tout et de rien et une étudiante qui ne semblait pas vraiment absorbé parce qu’elle faisait sur son ordinateur portable.

- J’étais amoureux ! Dit une voix gémissante, alors que le corps du propriétaire de celle-ci se laissait tomber dans un fauteuil.

- Tu tombes amoureux à chaque coin de rue et tu étais avec elle depuis seulement deux mois… Tu t’en remettras, ce n’était sûrement pas l’amour de ta vie, tout comme celle d’avant ou celle encore avant.

Elyzabeth ne pouvait pas voir le visage de la voix qui se plaignait, ni celui de celle qui se moquait gentiment de lui et de ses histoires de cœur. Elle ne pouvait pas les distinguer correctement, mais la voix féminine semblait faire remonter des souvenirs, comme si la tonalité lui était familière. La jeune femme qui se retenait de rire pour ne pas vexer davantage celui qui se morfondait, finit par se lever. C’est une jeune femme assez grande et qui avait des cheveux d’ébène qui descendaient jusqu’à la moitié de son dos. Elle avait un visage qui rappelait celui d’un poupon. Elle regardait avec un large sourire le jeune homme avachi sur le canapé et qui arborait une mine boudeuse.

- Ne fais pas cette tête, un jour tu trouveras l’amour de ta vie, tu es juste trop impatient, dit une autre voix féminine, celle d’une grande blonde qui semblait, elle aussi se moquer du jeune homme qui en faisait trop.

- Je t’offre un café pour faire passer cette tête de boudeur ? dit une brune en contournant le canapé.

Le jeune homme sembla hocher la tête. C’est là qu’Elyzabeth compris pourquoi le timbre d’une des voix lui semblait familier, elle connaissait la jeune femme.

- Sarah ? dit-elle, un peu hésitante.

Elle vit la blonde lever ses prunelles noisette vers Elyzabeth. Sarah avait changé, même s’il y avait toujours ce visage d’adolescent qui ne pouvait tromper personne. Elle regarda quelques secondes son ancienne amie, avant de réaliser qu’elle se trouvait bel et bien devant en elle.

- Elya ? Son intonation était entre la question et l’affirmation. Elya ! dit-elle enfin en venant prendre la jeune femme dans ses bras, manquant presque de renverser le café qu’elle tenait en main.

Elya était le surnom que James lui donnait lorsqu’ils étaient enfants. En réalité, il était venu à l’appeler ainsi parce que le prénom Elyzabeth était trop à prononcer pour lui et qu’il avait estimé qu’Elya était plus simple. Sarah avait fini par l’appeler ainsi aussi. Elle n’avait entendu personne l’appeler ainsi depuis l’été de ses dix-huit, quand elle avait revu ses deux amis, ici, à New-York. Ils étaient les deux seuls à l’appeler ainsi. La brune la serra dans ses bras, avant de reculer en l’observant. Elyzabeth aussi avait changé. Ses cheveux étaient courts, coupés en un joli carré, seuls ses yeux verts pouvaient aider à la reconnaitre. Elle avait cette nuance émeraude au fond des iris, qui était si particulière, qu’elle n’avait vu cela sur personne d’autre. Au même moment, la porte s’ouvrit laissant apparaitre deux jeunes hommes. L’un d’eux avait des cheveux blonds, quasiment rasés, et un sourire angélique, comme s’il venait d’obtenir quelque chose qu’il n’aurait pas dû. Elyzabeth devait bien avouer qu’aux premiers abords, ce jeune homme était très beau. Puis, son regard se posa sur la seconde personne. Elle sentit son corps se raidir, sans trop comprendre pourquoi. Cela faisait un moment qu’elle n’avait pas vu ce garçon, et même si cela s’était terminé de façon bizarre, c’était du passé. Tout avait eu lieu cinq ans plus tôt. Il n’y avait pas de quoi se tendre ainsi.

- Vous n’aviez pas cours tous les deux ? demanda la blonde.

- Bonjour aussi, Amanda, dit le blond en riant.

L’un se laissa tomber à coté de celui qui semblait vivre une rupture et le second s’installa en face de ce dernier. Elyzabeth n’arrivait pas à détacher son regard du second. Ce n’est que lorsqu’elle se rendit compte que Sarah lui parlait qu’elle le fit.

- Viens, je vais te présenter à tout le monde ! Tu as bien le temps de boire ce café avec nous, non ?

Elyzabeth le savait, ce n’était pas vraiment une question, même si Sarah essayait de faire comme si cela l’était. La brune attira la jeune femme face au petit groupe, avec un large sourire.

- Tout le monde, je vous présente Elyzabeth ; Elyzabeth, voici tout le monde. Tu dois te rappeler de Steven, mon frère et de James.

Elyzabeth hocha la tête. Maintenant qu’elle voyait Steven, elle se rappela que Sarah avait un frère ainé. Elle ne l’avait jamais vraiment fréquenté, mais elle se rappelait qu’il adorait charrier sa sœur sur n’importe quel sujet. Elle sourit au frère, sans savoir quoi dire. Puis, elle posa son regard sur James. Il avait changé depuis l’été de leurs dix-huit ans. Il semblait plus grand, mais c’était sans doute parce qu’il semblait avoir pris du muscle. Ses épaules étaient plus larges. Il n’avait plus non plus ce visage d’adolescent innocent. On aurait presque dit qu’à seulement vingt-trois ans, il avait vécu bien plus de choses que quiconque. Sarah invita son amie à s’installer au milieu de tout ce petit groupe. Elle écouta les conversations des uns et des autres.

- Il t’arrive quoi, Steven ? T’as une de ces têtes.

Steven ne fit que marmonner pour simple réponse à celui qui s’appelait Achille.

- Il s’est fait largué, expliqua la blonde, prénommée Amanda.

Achille ne put réprimer un léger rire, qui tenta de camoufler en toussant. Cela semblait habituel que le frère ainé de Sarah subisse des peines de cœur. James leva les yeux au ciel, comme indifférent aux sentiments de son ami. Ou peut-être était-ce parce que cela arrivait plus souvent que ce qu’Elyzabeth pouvait imaginer. En voyant que Steven ne s’arrêterait pas de bouder, Achille changea de conversation en se tournant vers la nouvelle venue.

- T’es à New-York depuis longtemps ? Dit-il en semblant hésiter sur le prénom de la jeune femme, Elyzabeth.

- Je suis arrivée ce matin.

- Elyzabeth est née à New-York, mais son père et elle ont déménagé quand elle avait huit ans. T’es venue repassé un été ici, il y a quoi ? Cinq ou six ans ?

Sarah parlait toujours autant, il n’y avait pas de doutes. Si James ne l’avait pas interrompue, Achille, et les autres, connaitraient déjà toute la vie d’Elyzabeth, qui aurait été résumé en moins de cinq minutes.

- C’était il y a cinq ans, précisa James, d’un ton froid.

- Tu restes longtemps ? Demanda Achille, sans se soucier de James.

- Je ne sais pas encore, j’ai un entretien d’embauche demain. On verra ce que ça donne.

- Et tu vas vivre où ? Demanda Sarah.

- Pour l’instant, j’ai pris une chambre d’hôtel. Je vais essayer de trouver un appartement.

Sarah sembla réfléchir, puis une lueur s’éclaira dans ses prunelles couleur noisette.

- J’ai une deuxième chambre dans mon appartement ! Tu pourrais venir t’installer là ?

- C’est gentil… mais je ne veux pas abuser.

- Alors, accepte au moins le temps de trouver autre chose !

Elyzabeth regarda son amie, puis se rendit compte que tous les autres la regardaient comme s’ils étaient impatients d’entendre une réponse. Quelle qu’elle soit, même si elle s’imaginait très bien qu’ils n’accepteraient un non de sa part. Elle passa une main dans ses cheveux avant de regarder son amie.

- D’accord, mais c’est temporaire.

La réponse semblait convenir à Sarah, et aux autres par la même occasion. Quelque chose lui disait tout de même que le terme temporaire, n’était pas suffisant. Elle se rendrait d’ailleurs vite compte que le « temporaire » pourrait devenir définitif avec cette bande.

Elyzabeth ne put s’empêcher de jeter un œil à James, qui semblait complètement renfrogné. Les iris bleus perçant du jeune homme finirent par croiser ceux de la jeune femme. Il ne détourna pas le regard, et resta ancré dans ses yeux quelques secondes, qui lui parurent des heures. On n’avait jamais reparlé de l’été de nos dix-huit ans. On en avait même jamais parlé à Sarah, qui était très proche de nous. Du moins, moi, je n’en avais pas parlé. Je ne pouvais pas en être sûre pour James. Le temps d’un instant, il sembla troublé par cet échange silencieux qui se déroulait entre eux, mais il ne détourna pas tout de suite le regard. Elle aura pu se perdre dans ce regard bleuté. Quand ils avaient huit ans, elle ne se rendait pas compte du côté hypnotisant de ce regard. Elle ne l’avait remarqué que l’été de leurs dix-huit ans, dix ans après avoir vu le garçon pour la dernière fois. Elle n’avait d’ailleurs pas pu cacher que cela la troublait. Elle se souvenait que Sarah lui avait lancé une petite pique à ce sujet quand elle l’avait remarqué, mais Sarah en était resté à ce moment, elle ne connaissait pas la suite des événements. Et c’était sans doute mieux ainsi. James et elle semblaient encore très proches aujourd’hui. Elle était contente de savoir qu’au moins deux personnes du trio étaient toujours bons amis. Elyzabeth entendit James se racler la gorge et il finit par regarder ailleurs. James se leva prétendant aller chercher une nouvelle tournée de café. Elle ne savait pas combien de temps avait duré cet échange de regard, mais assez longtemps pour la troubler.

En réalité, ils ne s’étaient pas forcément quitté en mauvais terme. Ils n’avaient simplement pas eu assez de temps ensemble pour faire les choses correctement. Peut-être que les choses auraient été différentes si la jeune femme n’avait pas décidé de repartir pour l’Europe à la fin de l’été. Mais avait-elle réellement le choix ? Elle était inscrite à l’université, elle devait aller suivre les cours. Puis, elle ne pouvait pas laisser son père seul. Elle ne voulait pas l’abandonner comme la mère d’Elyzabeth l’avait fait plus de quinze ans auparavant. Du moins, elle était persuadée que c’était la meilleure option. Peut-être se trompait-elle.

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