Chapitre 50 Amère compagnie - Partie 3

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 Les quatre hommes continuèrent à marcher en file indienne sans se dire un mot pendant plusieurs heures, laissant ainsi le loisir à chacun de ruminer ses pensées. Ils suivirent d'abord le chemin à travers champs sur une quinzaine de kilomètres, puis ils traversèrent un hameau désert.

 Bien que Jacob lui ait assuré d'un geste que tout était sûr, Hank garda son arme en main en remontant la rue principale, et scruta attentivement chaque fenêtre devant laquelle il passa. Les ombres vacillant à la lueur de leurs torches tourmentèrent son imagination à deux ou trois reprises, mais ils dépassèrent les dernières habitations sans encombre après seulement quelques minutes.

- J'avais déjà visité ce hameau il y a quelques mois à la recherche de survivants, expliqua Jacob, mais je n'y avais trouvé que des djaevels. Heureusement, ils n'étaient pas très nombreux et j'ai pu m'en débarrasser sans trop de mal. C'est pour cela que j'évite les villes trop importantes avant d'avoir d'autres personnes à mes côtés.

- Vous me disiez de me montrer prudent, mais vous avez traversé ce village comme s'il n'y avait rien à craindre.

- Je vous l'ai dit, je connais ce village, et je sais qu'il n'y a plus de djaevels.

- Il n'y en avait plus il y a quelques mois, mais d'autres auraient pu venir.

- À quoi bon ? Leur maître n'a aucun intérêt à les envoyer dans un coin aussi reculé du royaume.

- Peut-être pas, mais il ne les contrôle pas tout le temps. Ils agissent aussi d'instinct.

- C'est vrai. Et quel est leur principal instinct ?

- La faim bien sûr.

- Qu'est-ce qui pourrait bien attirer des djaevels affamés dans une région aussi dépeuplée ?

 Hank fit la moue mais resta silencieux face à cet argument.

- Cessez de vous inquiéter pour les djaevels, nous ne devrions pas en rencontrer avant plusieurs jours. En revanche, nous avons d'autres ennemis.

- Encore ces ennemis mystérieux ! Allez-vous enfin me dire ce qu'il en est ?

- Encore un peu de patience. L'aube n'est plus très loin. Nous allons nous éloigner de ce hameau, puis nous nous arrêterons pour dormir un peu. Je vous expliquerais tout à ce moment-là.

 Quelques minutes plus tard, sur un signe de Jacob, les quatre compagnons dévièrent leur route et quittèrent le chemin pour s'enfoncer dans des sous-bois. Ils avancèrent tant bien que mal entre les branches basses, les racines et les ronces pendant plus d'une demi-heure, puis Jacob leur permit enfin de s'arrêter.

- Les soleils se lèvent, dit-il. Nous allons passer quelques heures ici, et nous repartirons quand il fera à nouveau sombre. Heureusement nous sommes encore en hiver, les journées ne sont pas encore trop longues. Reposez-vous, je prends le premier quart.

- Ce n'est pas de refus, assura Halbarad en posant son sac à terre.

- Je ne dormirais pas avant d'avoir avalé quelque chose, répondit Bruggar. Halbarad, trouve-moi un peu de bois sec pendant que je prépare le foyer.

- Non ! Pas de feu, intervint Jacob un peu brutalement.

- Écoute mon gars, répliqua Bruggar sur le même ton, comme je l'ai dit tout à l'heure, l'armée j'en ai soupé, alors tes ordres tu peux te les carrer où je pense.

- Ne nous énervons pas, conseilla Halbarad en s'interposant entre les deux hommes. Jacob, reconnaissez qu'avec le temps qu'il fait, ça ne nous ferait pas de mal de manger quelque chose de chaud.

- Très bien, mais faites-le le plus petit possible, et éteignez-le dès que vous aurez terminé. Je ne veux pas que la fumée attire nos ennemis.

- Je n'ai pas peur de vos fantoches, grogna Bruggar en se détournant pour aller chercher des pierres.

- De quoi est-ce qu'il parle, questionna Hank.

- De la raison de toutes ces précautions. De nos ennemis les plus dangereux.

- Vous commencez à m'inquiéter. Qu'est-ce qui peut être plus dangereux que les djaevels ?

- Des hommes.

- Sale race, lança le satyre d'une voix narquoise.

- Bruggar ne commence pas, l'avertit patiemment Halbarad.

- Expliquez-vous Jacob, dit Hank en feignant d'ignorer l'insulte.

- Bien sûr, je vous l'avais promis. Jusque-là, nous pensions que les survivants agissaient de deux manières avec les djaevels. Soit ils se cachent d'eux, soit ils les combattent, énuméra-t-il en levant l'index puis le majeur. Exact ?

- En toute logique.

- Mais il y a une autre solution que nous n'avions pas prise en compte. Certains profitent des djaevels.

- Comment ça ?

- Pas directement évidemment, il est impossible de tirer quoi que ce soit de ces monstres. À part pour leur maître. Et c'est là que le danger apparaît. Les djaevels sont des chasseurs redoutables, et des tueurs implacables, mais ils sont limités par leur état. Ils ne réfléchissent pas. Avec suffisamment d'hommes et un plan d'attaque valable, on peut en venir à bout. C'est pourquoi malgré tous ses pouvoirs, leur maître a besoin d'aide.

- Vous insinuez que des survivants aident ces démons à chasser leurs semblables ?

- Cela n'a rien d'étonnant quand on y pense, répondit Jacob d'un ton amer. Cela s'est déjà vu lors des périodes sombres de notre histoire. Malgré le respect que j'avais pour Albus, tous ses ancêtres n'étaient pas aussi vertueux que lui, et le peuple a plus d'une fois été malmené. On trouve alors toujours des gens prêts à profiter de la situation. Des crapules qui dénoncent leurs voisins pour quelques pièces, ou simplement pour la puissance que ça leur procure. Certains aussi y sont forcés pour assurer leur propre survie. C'est la nature de l'homme qui veut ça.

- Et comment avez-vous compris tout ça ?

- Simplement parce que j'ai été attaqué. Alors que je m'apprêtais à passer la nuit dans un village désert, j'ai été rejoint par deux hommes qui se sont présentés comme les seuls survivants d'une attaque djaevel. Ils avaient effectivement du sang sur leurs vêtements, et ils avaient les traits tirés. Ils m'ont raconté un peu leur histoire, et je leur ai proposé de se joindre à moi et de venir vivre à Ts'ing tao. Ils se sont d'abord montrés réticents, m'expliquant qu'ils préféraient rester en mouvement, mais j'ai fini par les convaincre que c'était peut être un des derniers endroits sûrs du royaume. Ils en ont discuté dans leur coin pendant quelques minutes, puis ils sont venus me dire qu'ils étaient d'accords. Nous avons allumé un feu dans un poêle que nous avons trouvé, et j'ai partagé ma nourriture avec eux, puis nous nous sommes séparés pour la nuit. Mais au milieu de la nuit, ils ont tenté de rentrer par surprise dans la pièce où je me trouvais. Malheureusement pour eux, je ne dors que d'un œil depuis des années. J'ai cru qu'ils voulaient simplement me détrousser et je les ai d'abord rossés mais sans me montrer excessivement violent. Mais à ma grande surprise, ils n'ont pas reculé. J'ai été contraint de me servir de mon arme pour me défendre. Ils pensaient avoir l'avantage et se sont mis à parler. Ils m'ont révélé qu'ils savaient parfaitement qui j'étais et qu'ils étaient à ma recherche. Apparemment, mes petites expéditions ont fini par attirer l'attention du maître des djaevels, et il ne voit pas d'un bon œil que je mette des survivants à l'abri. Il a alors mis ma tête à prix, et tous ceux qui se sont lancés ouvertement à mes trousses bénéficient d'une protection contre les djaevels. C'est pour cela que je porte ces vêtements sombres et que je préfère voyager de nuit. Je n'échapperais pas plus facilement aux djaevels, pas plus qu'en plein jour, mais je pourrais peut être échapper au regard des hommes.

- Et que s'est-il passé avec ces deux hommes ?

- Je leur avais expliqué où se trouvait Ts'ing tao, répondit Jacob en baissant son regard sur le maigre feu de Bruggar. Le risque qu'ils parlent était trop grand.

- Vous voulez dire que vous les avez…

- Qu'aurais-je dû faire selon vous ? Si je les avais laissés partir, ils auraient trouvé une autre occasion de me supprimer. Ou ils auraient révélé l'emplacement de notre refuge à notre ennemi.

- Vous avez fait aussi bien que possible au vu de la situation. Qui suis-je pour vous juger ?

 Cette réponse de Hank n'était pas innocente. Il espérait qu'elle interpelle Jacob et le fasse réfléchir sur sa propre attitude envers Hank. Ils acceptèrent tous deux les morceaux de viande que leur proposa Halbarad, et tandis qu'ils mangeaient tous les quatre, Hank posa une nouvelle question à Jacob.

- Pourquoi est-ce que vous n'êtes pas rentré directement après ça ? Pourquoi vous donner toute cette peine avec des déguisements et des subterfuges, plutôt que de revenir simplement à Ts'ing tao ?

- J'y ai pensé bien sûr, mais je n'étais pas sûr que les hommes dont je m'étais débarrassé étaient seuls. Pendant quelques jours, j'ai tourné en rond dans la région, en regardant sans cesse par dessus mon épaule. Quand j'ai été certain de ne pas être suivi, je me suis mis en route en direction du nord. Mais après une journée de marche et de réflexion, j'ai réalisé que si je rentrais, alors notre ennemi avait gagné. Il a lancé ses mercenaires à mes trousses pour m'empêcher d'aider plus de gens. Je ne pouvais pas ne me soucier que de ma propre sécurité.

- Mais vous ne pouvez pas être sûr de toutes les personnes que vous avez regroupées.

- Je me suis montré plus prudent après ça.

- Excusez-moi Jacob, intervint Halbarad, mais vous avez vous-même reconnu ne pas savoir d'où je venais ni ce que j'avais fait.

- Je ne me suis pas méfié de vous, car vous étiez accompagné de Bruggar, répondit Jacob en désignant le satyre d'un signe de tête. Le caractère des satyres est proverbial, mais la trahison n'est pas leur style.

- Ça c'est bien vrai. Quand on veut tuer quelqu'un, on le fait en le regardant dans les yeux, confirma Bruggar avec fierté.

- Et vous avez réfléchi de la même manière pour tous les autres, demanda Hank un peu sceptique.

- Écoutez, je ne peux pas vous faire la biographie de tous les membres de mon groupe, mais je les ai interrogés et ils m'ont tous semblé honnêtes. La plupart viennent tous de groupes importants et se connaissent depuis longtemps.

- Je ne peux m'empêcher d'être inquiet après ce que vous m'avez appris.

- C'est pour votre femme et Tabatha que vous vous inquiétez ? Dans ce cas, ne vous en faites pas. Je les ai confiées à la garde de quelqu'un en qui j'ai toute confiance.

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