Chapitre 51 Faire ses preuves - Partie 1

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- Jamais je n'aurais dû faire confiance à Jacob, se lamenta Tabatha.

 La jeune fille se retourna et lança un regard noir à la personne derrière elle. Toute de noire vêtue, la capuche rabattue et un morceau d'étoffe lui cachant la moitié du visage, Ailyn la suivait comme son ombre. Avant de partir la veille au soir, Jacob avait formellement présenté les deux jeunes filles. Bien qu'encore un peu réticente face à celle qui avait tenté de la tuer sans sourciller, Tabatha l'avait saluée le plus chaleureusement possible. Ailyn en revanche lui avait rendu son salut de manière très mécanique.

 Avant de les quitter, Jacob avait demandé à Ailyn de veiller sur Tabatha jusqu'à son retour. La princesse avait ri et lui avait assuré que c'était inutile. Elle avait ensuite souhaité poliment une bonne nuit à Ailyn et avait rejoint Sin fo au deuxième étage caché de l'hôtel de ville. Mais au matin, elle avait eu la désagréable surprise de retrouver Ailyn plantée au milieu du couloir, tournant le dos à sa porte.

 Elle lui avait répété gentiment qu'elle pouvait se débrouiller seule, et lui avait proposé d'aller se reposer un peu, mais Ailyn avait secoué la tête en silence et était restée sur place. Tabatha s'était d'abord dit que ce n'était pas son problème si Ailyn souhaitait perdre son temps ainsi, mais elle s'était vite rendue compte que la jeune femme était bien plus opiniâtre qu'elle l'avait cru. Toute la matinée, elle avait suivi Tabatha pas à pas, telle une sentinelle silencieuse. Après ces quelques heures, la patience de Tabatha était à bout.

- Qu'est-ce que tu me veux à la fin ? Je t'ai dit que je n'avais pas besoin de toi !

 Comme Ailyn ne lui répondait pas, Tabatha tendit la main pour lui retirer son masque, mais son aînée lui saisit fermement le poignet.

- Ne faites pas ça. S'il vous plaît, rajouta-t-elle d'une voix raide, avant de lâcher la main de Tabatha.

- Si tu ne veux pas que je te l'arrache, réponds à mes questions ! Pourquoi est-ce que tu me suis partout comme ça ?

- Jacob me l'a demandé.

- Mais Jacob est parti. Tu n'es pas obligée de suivre ses ordres. Tu es suffisamment vieille pour faire ce que tu veux, non ?

- Je veux suivre les consignes qu'il m'a données. Je veux respecter ma parole.

- Tu veux vraiment partir sur ce terrain ? Tu vas me parler d'honneur, c'est ça ? Alors laisse-moi t'expliquer ça en termes que tu comprends. Voilà des semaines que nous vivons à la dure. Que nous marchons des heures chaque jour, que nous mangeons froid souvent, et que nous dormons à la belle étoile. Ce sont des conditions difficiles pour tout le monde, d'autant plus pour une jeune fille, et en particulier pour moi qui ai été habituée à un certain style de vie. Alors je peux renoncer à mon confort, mais je tiens à conserver mon honneur et ma dignité. Si je viens ici, dit Tabatha en désignant la porte derrière elle, c'est pour faire ce que même les princesses doivent faire. Alors je te préviens que si tu oses franchir cette porte, je t'arracherai les yeux !

 Ailyn resta impassible quelques instants, mais Tabatha crut lire un certain amusement dans son regard. Elle finit par faire demi-tour en disant :

- Je vous attendrai dans le hall.

 Quelques minutes plus tard, Tabatha passa la tête par la porte entrebâillée, et jeta un œil des deux côtés du couloir pour s'assurer qu'il était bien vide avant de sortir. Elle fit quelques mètres à pas de loup jusqu'à la porte donnant sur le hall d'entrée. Elle l'ouvrit sans faire de bruit et se faufila jusqu'à une plante verte derrière laquelle elle se cacha. De là, elle pouvait voir tout le hall sans être vue.

 La pièce était agitée d'une intense activité. De nombreuses personnes s'affairaient dans le hall, discutaient par petits groupes, allaient et venaient entre les pièces du rez-de-chaussée et l'extérieur. La moitié d'entre elles environ portaient la tenue noire distinctive du groupe de Jacob, mais une seule avait conservé sa capuche relevée. Les yeux braqués vers l'entrée principale et les mains croisées dans le dos, Tabatha aurait reconnu l'attitude rigoriste de Ailyn entre mille.

 Tabatha saisit cette occasion de lui fausser compagnie et grimpa en toute hâte à l'étage. Là, elle s'accroupit derrière la rambarde, suffisamment pour échapper au regard des gens restés en bas, mais pas trop pour ne pas paraître trop étrange à ceux qui étaient en haut avec elle. Après quelques pas, le palier se rétrécissait en un couloir et la rambarde laissait la place à un mur derrière lequel Tabatha put se redresser sans crainte d'être vue.

 Elle pénétra dans le salon privé dans lequel elle s'était retrouvée avec ses compagnons la veille, et poussa un cri de stupeur en découvrant Ailyn qui l'attendait assise dans un fauteuil, juste devant la porte cachée menant au deuxième étage.

- Qu'est-ce que tu fais déjà là ? Je viens de te voir dans le hall !

- Vous avez vu ce que vous vouliez bien voir. J'ai demandé à un ami de prendre ma place.

- C'est ridicule. Pourquoi as-tu fait ça ?

- Je savais que vous ne viendriez pas me rejoindre.

- Écoute, je suis désolée de t'avoir joué ce mauvais tour, mais je te répète encore une fois que je n'ai pas besoin de toi comme garde du corps.

- Et je viens de vous prouver le contraire. Vous le comprendriez si vous réfléchissiez deux secondes, soupira Ailyn.

- Très bien, j'en ai assez entendu, s'impatienta Tabatha. Écarte-toi, ou tu verras que je ne suis pas une faible fillette.

- Vous n'êtes pas assez prudente, et vous êtes beaucoup trop prévisible. Je vous connais depuis moins d'une journée, et je savais pertinemment que vous vous précipiteriez ici à la première occasion.

- Mais qu'est-ce que ça peut bien te faire ?

- Si je l'ai deviné, d'autres peuvent le faire aussi facilement. C'est pour ça que vous ne devez jamais être seule.

- J'ai vécu seule pendant plusieurs mois et je m'en suis très bien sortie, dit Tabatha en croisant les bras.

- Mais maintenant tout le monde sait que vous êtes la princesse. Vous n'êtes plus en sécurité nulle part.

- Personne ne sera en sécurité dans le royaume tant que nous n'aurons pas gagné cette guerre.

- Mais les gens normaux ne doivent craindre que les djaevels. Vous avez beaucoup plus d'ennemis que ça. Vous êtes une cible privilégiée.

- Une cible pour qui ? Teon Garaney ? Il est à l'autre bout du royaume !

- Il a des informateurs partout ! N'importe qui dans cette ville pourrait travailler pour lui.

- Je ne connais pas encore bien tout le monde, mais je refuse de croire qu'un habitant de Ts'ing tao ait pu nous trahir.

- Vraiment ? Alors comment le maître des djaevels a-t-il su où vous étiez ?

 Cet argument prit la princesse de court. Après quelques secondes de silence, elle bredouilla :

- C'était sûrement une coïncidence. Il a envoyé ses djaevels au hasard vers le nord, et il a fini par nous trouver.

 Ailyn se leva de son fauteuil et vint se placer juste en face de Tabatha. Elle plongea son regard dans celui de la princesse.

- J'ai entendu ce que vous disiez à Jacob avant qu'il parte. La façon dont vous avez été faite prisonnière. Vous pensez réellement que le maître des djaevels aurait envoyé un homme aussi fort s'il ne savait pas déjà que vous étiez là ?

 Ailyn laissa passer quelques instants pour que l'information fasse son chemin dans l'esprit de Tabatha. Puis elle rabaissa l'étoffe qui lui masquait le visage afin de parler de manière plus personnelle à la jeune fille.

- Tout ce que je vous dis, je l'ai appris auprès de Jacob ces derniers mois. Si vous ne devez faire confiance qu'à un homme, ce doit être lui. Il m'a souvent parlé de vous. Sans me dire qui vous étiez, jusqu'à hier. Je sais tout ce qu'il a fait pour vous protéger. Aujourd'hui, sa manière de vous protéger c'est de vous confier à moi. Il m'a appris à me battre, et bien d'autres choses depuis que je l'ai rencontré. Je vous serais utile.

- Si ce que tu dis est vrai, je devrais peut être aussi me méfier de toi, répondit Tabatha sur un ton de défi.

 Ailyn sourit avant de remettre son masque.

- C'est bien, c'est l'attitude que vous devez avoir. Méfiez-vous de moi. Soyez toujours prête à me repousser, ou à me tuer s'il le faut. Je me charge de tous les autres.

- Je n'ai pas dit que j'acceptais ton aide, fit remarquer Tabatha.

- Et je n'ai pas dit que j'avais besoin de votre permission, répondit Ailyn du tac au tac.

- Quoi que je dise ou fasse, tu ne changeras pas d'avis, n'est-ce pas ?

- J'ai bien peur que non.

- Très bien, alors on va faire ça selon mes conditions. Si tu dois passer toutes tes journées avec moi, je veux que tu enlèves ton masque et ta capuche. Cette tenue toute noire, c'est vraiment déprimant.

- Je ne pourrais pas assurer votre protection efficacement si tout le monde sait qui je suis. En m'exposant, vous vous exposez. Et je ne pourrais pas mener mon enquête si tout le monde sait que je travaille pour vous.

- Quelle enquête ?

- Je dois trouver le traître parmi nous.

- Je suis sûre que toutes les personnes qui m'accompagnent sont dignes de confiance.

- Écoutez, j'imagine que tout le monde était à vos petits soins quand vous viviez la vie de château, mais là d'où je viens, j'ai appris à connaître la vraie nature des gens, et croyez-moi ce n'est pas reluisant.

- Tu ne sais rien de ma vie, alors je t'interdis de me juger, la mit en garde Tabatha.

 Les deux jeunes femmes se toisèrent en silence quelques instants. Ailyn réalisa qu'elle était allée trop loin, mais elle était trop fière pour s'excuser, et encore plus pour baisser les yeux devant la princesse.

- Faisons un compromis, reprit Tabatha après quelques secondes. Tu gardes ton masque quand il y a du monde autour de nous, mais quand nous sommes seules, je veux voir ton visage.

 Tabatha vit la mâchoire de Ailyn se contracter derrière son masque, mais elle finit par accepter d'un signe de tête.

- Bien, maintenant que c'est réglé, pourrais-tu enfin me laisser passer ? Je veux monter voir Sin fo.

 Ailyn s'écarta et Tabatha emprunta l'escalier secret jusqu'au deuxième étage.

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