Chapitre 50 Amère compagnie - Partie 2

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 Jacob pointa sa torche vers le sud et se mit en marche. Les deux hommes et le satyre lui emboîtèrent le pas en silence. Hank se laissa guider, car ses compagnons connaissaient le chemin, par lequel ils étaient arrivés trois jours plus tôt, tandis que lui était arrivé par l'ouest.

  Il ne dit rien, mais il craignait de ne pas pouvoir suivre leur rythme. En effet, il ne savait pas par quoi ils étaient passés dernièrement, mais ils avaient l'air en pleine forme, tandis que lui peinait encore à se mettre debout le matin même. Il ressentait encore une légère douleur à l'endroit où Jacob l'avait frappé un peu plus tôt dans la journée, mais il savait qu'il l'avait mérité et qu'il n'avait pas le luxe de se plaindre. Heureusement pour lui, le chemin qu'ils empruntèrent était facile à suivre.

  C'était un simple chemin de terre, mais il était relativement plat, et grâce au passage du groupe de Jacob trois jours auparavant, les herbes qui avaient poussé par dessus étaient toutes écrasées. Les champs au milieu desquels il serpentait en revanche étaient totalement en friche et envahis de mauvaises herbes. Hank ne savait pas si des gens vivaient encore dans la région, mais il y avait bien longtemps que personne ne s'était occupé des récoltes ou des plantations. Il se demanda si la situation était identique dans tout le royaume.

  Quand il était revenu sur Vadkraam avec Sin fo, trois ans plus tôt, ils avaient traversé de nombreux villages déserts avant de rencontrer Tabatha et Jacob, mais ils étaient tellement inquiets de ne trouver personne qu'ils ne s'étaient pas inquiétés de l'état des champs. Puis ils s'étaient tous installés sur Incuna, et s'étaient plus ou moins désintéressés du reste du pays.

 Mais maintenant que leur petite bulle de tranquillité avait éclaté, Hank se retrouvait brutalement confronté à la dure réalité. Et la vérité, c'était que toute la région semblait complètement dépeuplée.

 Hank leva les yeux et s'aperçut qu'il ne voyait plus ses compagnons. Après une seconde de peur primale, il vit la lueur de leurs torches briller au dessus de la végétation, à un peu plus de trois cent mètres, légèrement sur la gauche. Il pressa le pas pour les rattraper, et après un coude du chemin tomba nez à nez avec Jacob, dont le visage faiblement éclairé et aux sourcils froncés n'avait rien d'engageant.

- Pourquoi restez-vous en arrière ?

- Vous me surveillez ? C'est votre idée de la confiance ?

- Vous ne songez pas à faire demi-tour, n'est-ce pas ?

- Je n'ai plus rien qui me retienne dans ce village.

- Alors pourquoi marchez-vous si lentement ? Je pense que vous avez compris que ce n'est pas un voyage d'agrément. Nous ne pouvons pas nous permettre de traîner.

- Je sais tout ça. Croyez-moi, si je pouvais aller plus vite, je le ferais. Je ne voulais pas vous en parler, et surtout pas devant Bruggar, mais j'ai été blessé il y a quelques jours, et ça m'handicape un peu.

- J'avais oublié ça, excusez-moi.

- Ne vous en faites pas pour moi. Allez-y partez devant, je vous rejoindrais.

- Ne soyez pas ridicule, je ne vais pas vous laisser seul. Je vais dire aux deux autres de ralentir l'allure.

- Non, non, je vais suivre.

- Vous êtes sûr ?

- Allez-y je vous dis. J'ai l'habitude des marches forcées. Après tout, j'ai été dans l'armée, plaisanta Hank.

- J'ignorais ça, répondit Jacob en reprenant son chemin.

- Ah c'est vrai. Bon, j'imagine que ce voyage va être l'occasion de nous raconter nos vies respectives.

- Ne vous vexez pas, mais peut être devrions-nous attendre de bivouaquer pour cela. Je préférerais faire le moins de bruit possible, et vous aurez besoin de tout votre souffle.

- Que redoutez-vous donc pour vous montrer à ce point prudent Jacob ?

- Je n'ai pas peur, j'aime simplement me montrer prudent. Vous devriez y songer aussi de temps en temps.

 Sur ces mots, Jacob allongea le pas et prit quelques mètres d'avance sur Hank. Ce dernier comprit que la discussion était close, et aussi qu'il aurait du mal à regagner la sympathie de Jacob. Bien sûr, les deux hommes n'avaient jamais été très proches, particulièrement durant les quelques mois suivant leur rencontre, quand Jacob se méfiait de Hank et craignait qu'il ne soit un danger pour Tabatha.

 Mais quand Jacob était revenu sur Incuna, Hank l'avait accueilli à bras ouverts, et leurs rapports s'étaient adoucis. Hank n'était pas dupe. Il savait qu'ils étaient loin d'être les meilleurs amis du monde, et qu'ils n'iraient jamais partager un verre juste tous les deux à l'auberge, mais les quelques mois que Jacob avait passés loin de ses amis semblaient l'avoir fait réfléchir. Peut être avait-il compris qu'il était important de ne pas être seul, ou que Hank ne ferait jamais de mal à Tabatha, ou bien encore avait-il été reconnaissant envers le jeune homme de le recevoir en oubliant ses erreurs et leurs différends.

 Quoi qu'il en soit, Hank était un peu vexé que Jacob se montre aussi froid avec lui. Quoi qu'il ait pu faire dans le passé, cela ne regardait pas Jacob, et il n'avait aucune raison de lui en vouloir. Mais en y réfléchissant, Hank n'en était pas surpris.

 Quand il était jeune déjà, les gens le jugeaient sur ses actes et ne lui laissaient aucune chance de s'expliquer ou de s'amender. Dès le jour où il avait fait de la prison, le regard des gens avait changé. Il avait cessé d'être le pauvre gamin qui mendiait, pour devenir le jeune voyou qui détroussait les gens. C'est pour cela qu'il avait changé de région et d'identité si souvent. Mais Hank ne voulait plus fuir ni mentir. Il allait donc devoir vivre avec l'étiquette d'assassin désormais. C'était probablement une bonne chose qu'il s'éloigne du groupe. Cela lui éviterait d'être jugé à longueur de temps.

 Hank jaugea ses compagnons du regard. Jacob, qui marchait juste devant lui, n'avait sûrement pas été surpris d'apprendre ce qu'il avait fait à Reg'liss, mais malgré ce qu'il avait dit devant Tabatha, il ne semblait pas prêt à lui faire confiance de sitôt. Hank savait qu’il avait grandi à la cour, dans l'entourage du roi, et que malgré ses origines modestes, il accordait une grande importance à la franchise, la droiture et l'honneur.

 Hank porta ensuite son regard sur Halbarad. Celui-ci marchait une vingtaine de mètres devant Jacob, et Hank pouvait voir à la faible lueur de sa torche qu'il jetait régulièrement des coups d’œil en arrière. Hank se souvint que lors de leur première rencontre, Halbarad s'était montré courtois, et même amical envers lui. C'était un vieux soldat, comme Jacob, et sans doute était-il lui aussi attaché à des valeurs comme l'honneur et le sens du devoir, mais Hank se souvenait aussi de lui comme d'un homme bon et sensible aux beautés du monde. Pour toutes ces raisons, Hank sentait qu'il aurait moins de mal à s'entendre avec lui qu'avec Jacob.

 Enfin, le jeune homme s'intéressa à Bruggar, qui marchait en tête de sa démarche capricante. Pour lui la question ne se posait même pas. Il détestait Hank depuis des années, et la rancune des satyres était proverbiale. Hank ne s'attendait pas à la moindre compassion de sa part. Il était même surpris que Bruggar ne l'ait pas encore rudoyé. Après toutes ces années, sa rancœur avait dû redoubler, et pourtant en le revoyant, Bruggar s'était contenté de lui lancer une remarque acerbe.

 Peut être avait-il compris que Hank avait déjà des problèmes plus graves avec sa femme, et que rien de ce qu'il pourrait lui faire ne serait pire que cela. Ou peut être que le temps qu'il avait passé avec Halbarad l'avait assagi. Hank eut un léger rictus à cette idée, car il lui semblait impossible que le satyre ait pu perdre son caractère agressif. Hank ne pensait pas être en danger tant que Jacob et Halbarad seraient là, mais il se promit néanmoins de ne pas tourner le dos à Bruggar.

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