Chapitre 45 Conjectures - Partie 2

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 Tandis que Tabatha disparaissait de son champ de vision, Hank revenait peu à peu à la réalité. La lumière aveuglante était celle des soleils bien sûr, et les vagues de couleurs étaient les branches nues et les maigres feuillages de cette fin d'hiver qui défilaient au dessus de lui. Avant qu'il ait pu réaliser où il était, le visage de Sin fo apparut devant lui. Hank était heureux de la voir, mais sa femme paraissait encore plus soulagée que lui. Elle prit son visage dans ses mains et l'embrassa longuement, puis elle lui demanda :

- Comment te sens-tu ?

- Bien mieux depuis un instant, répondit Hank avec un sourire.

- Te souviens-tu de ce qu'il s'est passé ?

- Oui, mais apparemment tout ça n'était qu'un mauvais rêve. Où est-ce que je suis ? Pourquoi est-ce que le ciel a l'air de tourner au dessus de moi ?

 Sin fo bascula la tête en arrière et lâcha un petit rire.

- Effectivement cela doit faire tout drôle quand on se réveille. Tu as été inconscient une journée entière, et comme nous ne savions pas quand tu allais te réveiller, nous t'avons allongé dans la charrue pour pouvoir continuer à avancer. Tabatha et moi nous sommes relayées pour veiller sur toi.

- C'est pour ça que j'ai la nausée alors. Mais pourquoi est-ce que je suis trempé ?

 Sin fo posa une main sur le front de son mari, puis l'épongea avec un linge.

- Tu es encore fiévreux, tu as beaucoup transpiré.

- Je me souviens... les loups. Est-ce que tout le monde va bien ?

- Non, nous avons perdu cinq personnes. Quatre ont été emmenées par les loups, et Magel, un homme qui travaillait pour nous, a disparu dans la forêt en partant à leur poursuite.

- C'est terrible. J'aurais voulu pouvoir faire plus.

- Ne dis pas cela, le coupa Sin fo. Tu as mis ta vie en danger !

- Tu as raison. Mais toi ? Et Tabatha ? Vous n'êtes pas blessées au moins ?

- Physiquement non. Mais je crois que Taby s'en veut pour ceux que nous avons perdus.

- Ça ne m'étonne pas d'elle. Je vais aller lui parler.

 Hank tenta de se redresser, mais une violente douleur à l'abdomen l'en empêcha. Sin fo le repoussa doucement par l'épaule et lui dit avec un regard sévère :

- Ta blessure est refermée mais tu n'es pas totalement guéri. Tu vas me faire le plaisir de rester au repos quelques temps.

 Pour une fois Hank ne songea même pas à discuter cet ordre. Il lui arrivait de plus en plus souvent d'être blessé, et il craignait qu'à la longue son corps ne tienne plus le choc. Il poussa un long soupir d'amertume sur le sens duquel Sin fo se méprit.

- Je sais que tu n'aimes pas rester sans rien faire, mais tu n'as pas le choix cette fois. Nous pourrons parfaitement gérer cela sans toi.

- Ne t'inquiète pas, je me rends bien compte que je ne pourrais pas... Attend une seconde, s'interrompit Hank. Qu'est-ce que vous allez gérer sans moi ?

- Rien, cela n'a pas d'importance. Contente-toi de te reposer.

- Sin fo, je dois savoir. Qu'est-ce que j'ai raté pendant que j'étais inconscient ?

- Rien de grave. Nous avons simplement dévié notre route vers l'est.

- Qu'est-ce que tu ne me dis pas ?

- Très bien, soupira Sin fo, je vais tout te dire. Tu te souviens des oiseaux que tu as envoyés en reconnaissance ? Ils sont revenus peu après que tu te sois évanoui, et d'après Tek'listar ils auraient repéré une ville habitée vers l'est.

- Des survivants ?

- C'est la grande question, répondit Sin fo en haussant les épaules. Comme tu le sais les oiseaux ne font pas la différence entre un humain et un djaevel.

- Donc vous avez décidé d'aller vérifier sur place.

- Tabatha a décidé, précisa Sin fo. Au début, elle ne voulait pas dévier sa route pour ne pas perdre de temps, mais cette ville n'est pas très loin et nous ne perdrons pas plus d'une journée.

- Tout le monde est d'accord avec ça ?

- Non bien sûr, soupira Sin fo. Les gens ont peur de tomber sur des djaevels. Après ce que nous avons vécu hier, ils ne sont pas très pressés de se battre à nouveau.

- Et je les comprends, souffla Hank en posant une main sur son ventre. Comment Taby les a-t-elle convaincus ?

- C'est vrai qu'elle en a un peu discuté avec tout le monde, mais personne n'a vraiment posé de problèmes. Ils ont tous été forcés de reconnaître que son raisonnement était parfaitement logique. Dans le pire des cas, la ville est infestée de djaevels. C'est pour les tuer tous que nous sommes partis en guerre, nous ne pouvons donc pas reculer lorsque l'occasion s'en présente. Dans le meilleur des cas, cette ville abrite des survivants. Nous pourrons peut être en rallier quelques uns à notre cause, et les dieux savent que nous avons besoin de soutien.

- Et notre petite princesse a pensé à tout ça toute seule ?

- Oui tu aurais été très fier d'elle, assura Sin fo avec un sourire. Il lui a suffi de quelques phrases pour convaincre tout le monde. Elle a donné un ordre et ils l'ont suivie sans rechigner.

- Elle a probablement gagné leur confiance en leur sauvant la vie hier.

- Quoi qu'il en soit tu avais raison, elle a cela dans le sang.

- Et ça ne lui aura pris que trois jours, observa Hank en souriant à son tour.

 Sin fo, qui jusque-là était accroupie devant son mari, se tourna et s'allongea à ses côtés. Hank releva son bras pour lui permettre de poser sa tête sur sa poitrine et lui passa tendrement la main dans les cheveux.

- Tu sais, dit Sin fo doucement, aujourd'hui pour la première fois j'ai regardé notre Taby, et c'est une adulte que j'ai vue.

- Elle a quinze ans, remarqua justement Hank. À cet âge, c'est normal de ne plus être considéré comme un enfant.

- Je sais, mais je me dis qu'elle n'aura plus besoin que nous nous occupions d'elle à présent, et cela va me manquer.

- Ça fait déjà quelques temps qu'elle est autonome. Et elle est très mature.

- Bien sûr, mais comment dire ? Cela me rend un peu nostalgique. J'ai bien conscience que c'est ridicule. Tabatha n'est pas ma fille, et elle ne m'a pas chassée de sa vie mais...

- Je comprends ce que tu ressens, lui assura Hank. Mais ne t'inquiète pas, tu n'es pas seule, et bientôt nous aurons toute une flopée d'enfants bien à nous pour t'occuper.

- Une flopée, s'étonna Sin fo.

- Six ou sept ce serait parfait.

- Sept, répéta Sin fo abasourdie en se redressant sur son coude.

- Des garçons ce serait l'idéal. De grands gaillards, comme leur père.

- Tu n'es pas sérieux ?

- Si bien sûr. J'ai beaucoup souffert d'être seul quand j'étais petit. Tu n'aurais pas aimé avoir des frères et sœurs quand tu étais enfant ?

- Peut être oui, mais pas sept ! Me prends-tu pour une espèce de poule pondeuse ? Il est hors de question que... Est-ce que tu m'écoutes au moins ?

 Hank, qui avait regardé sa femme en coin tout au long de leur conversation, commença par pouffer les lèvres fermées, puis éclata franchement de rire. Sin fo finit par comprendre.

- Tu te fiches de moi, s'emporta-t-elle en lui assenant un coup de poing sur la poitrine.

- Tu aurais dû voir ta tête, tu étais terrifiée ! Comment est-ce que tu as pu croire que j'étais sérieux ?

- Ce n’était vraiment pas drôle, se rembrunit Sin fo. C'est un sujet sérieux, et toi tu fais des blagues douteuses.

- Tu as raison, mais c'était trop tentant. Plus sérieusement, j'en ai réellement envie. Je sais que j'ai douté pendant longtemps, mais je suis prêt.

- Pour l'instant, prêt ou pas, cela ne change rien.

- Je sais, répondit Hank en déposant un baiser dans les cheveux de sa femme. C'est probablement mieux vu la situation actuelle. Mais dès que nous serons rentrés, nous pourrons fonder notre famille.

- Dès que nous serons rentrés, répéta Sin fo à voix basse. Qui sait combien de temps cela nous prendra ?

- Je suis sûr que tout se passera bien. Je te promets que nous serons bientôt tous de retour chez nous sains et saufs.

 Soudain, les deux époux sentirent la charrue ralentir, et les branches s'arrêtèrent complètement de défiler sous leurs yeux. Le visage de Ryban apparut à l'arrière de la charrue, rougi par l'effort et froncé par l'agacement.

- Sin fo j'ai accepté de tirer Hank parce qu'il est blessé, mais tu n'es pas dans un fiacre et je ne suis pas une bête de somme. Je vous apprécie tous les deux, mais vous n'êtes pas les seuls à vouloir passer un moment en couple.

- Tu as raison excuse-moi, s'empressa de répondre Sin fo en se redressant. Va rejoindre ta compagne, je m'occupe de la charrue.

 Sin fo se leva prestement et sauta en souplesse sur le chemin. Hank se redressa un peu et tenta de la retenir.

- Je vais descendre. Il n'y a pas de raison que tu te fatigues à me tirer alors que je suis réveillé.

- Tu es plus têtu qu'une mule, soupira Sin fo. Je t'ai dit de te reposer.

- Oui, mais je ne suis pas vraiment léger, et toi tu... Je veux dire tu es...

- Je n'arrive pas à le croire, s’insurgea Sin fo. Après toutes ces années, tu me considères encore comme une faible femme !

- Non, pas du tout, se défendit Hank. Mais tu n'es pas très grande et...

- La force n'est pas qu'une question de taille ! Je pourrais te porter sur mes épaules jusqu'au bout du royaume s'il le fallait.

- Ne te vexe pas. Tout ce que je voulais dire...

- Tu en as dit bien assez, l'interrompit Sin fo. Maintenant repose-toi je ne veux plus t'entendre. Pas très grande, je t'en ficherais moi, bougonna-t-elle en faisant le tour de la charrue.

 Hank l'entendit râler encore quelques instants, jusqu'à ce que la charrue se remette en marche et que le bruit des lourdes roues sur le chemin de terre et de cailloux ne couvre le son de sa voix. Hank se laissa aller contre les sacs de provisions et se passa la main sur les yeux en souriant. Comment avait-il pu oublier à quel point sa femme était susceptible ? Il ne pensait pas à mal évidemment, mais il savait qu'il allait payer cette petite remarque plus tard.

 Après tout, le caractère de Sin fo faisait partie de son charme, et c'était aussi pour cela qu'il l'aimait. De toute façon, Sin fo ne lui faisait jamais la tête très longtemps, car il savait comment l'amadouer. D'ailleurs bien souvent Sin fo ne feignait d'être contrariée que pour voir Hank se démener pour se faire pardonner. C'était devenu une sorte de jeu entre eux. En attendant, Hank décida de suivre les conseils de sa femme et de se reposer un peu. Il ne savait pas ce qui les attendait dans cette ville où ils se rendaient, mais il craignait que son repos ne soit de courte durée.

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