Chapitre 17 La vie de château - Partie 1

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Quinze ans auparavant.

 La jeune femme se demanda une nouvelle fois comment elle avait atterri là. Deux semaines plus tôt, sa mère était venue la trouver avec un sourire béat. Elle lui avait annoncé qu'elles étaient invitées toutes les deux au grand bal que donneraient le roi et la reine quelques jours plus tard. Sa mère vivait visiblement le plus beau jour de sa vie, mais elle avait été atterrée. Elle n'était issue que de petite noblesse, et elle avait eu peine à croire que des personnes comme elles puissent être invitées au palais. Et pourtant, la lettre qui les conviait au bal portait sans aucun doute le sceau royal.

 Sa mère avait dû lutter des mois pour obtenir cet honneur, mais la jeune femme s'en serait bien passée. Depuis ce jour, elle n'avait pas eu un moment de repos, sa mère l'obligeant à revoir les règles de bienséance et les leçons de danse de sa jeunesse. Elle savait danser, comme toutes les femmes de son âge, mais elle préférait les bals populaires aux soirées assommantes de la noblesse, boudant le menuet pour la sarabande. La compagnie des hommes aux terrasses des cafés était bien plus exaltante à ses yeux que les fils de bonne famille imbus de leur petite personne.

 Cependant, malgré tout ce qu'elle pouvait penser, elle venait d'avoir vingt ans, et il était donc plus que temps aux yeux de sa mère qu'elle se trouve un époux. Et il était bien sûr inconcevable que celui-ci ne soit pas de sang bleu.

 Voilà comment elle en était arrivée là, au milieu de la piste de danse, valsant avec un homme ayant le double de son âge, un nez retroussé, un strabisme prononcé et des mains un peu trop entreprenantes. Il la tenait serrée contre lui, tandis qu'elle essayait de se défaire de cette étreinte et de remonter ses mains dans son dos. Enfin, après d'interminables minutes, les musiciens mirent un terme au morceau et par la même occasion à son calvaire.

 Elle se détacha vivement, esquissa une révérence rapide, puis s'éloigna à grands pas vers le buffet. Elle attrapa un macaron au chocolat et commença à le manger par petites bouchées, autant pour se donner une contenance qu'une excuse pour ne pas retourner sur la piste de danse. Elle était très belle avec ses longs cheveux blonds, ses yeux bleus azurs, sa taille et ses membres graciles, et sa poitrine généreusement mise en valeur par sa robe couleur d'émeraude. Nombreux étaient ceux qui voulaient l'inviter pour une danse.

 Elle déclina d'abord poliment les invitations, prétextant la fatigue, les jambes lourdes, l'étourdissement, puis elle finit par craquer au douzième prétendant, le rembarrant assez sèchement, attirant de nombreux regards sur eux, ainsi que l'hilarité des amis du jeune homme.

 Ne voulant pas être l'attraction de la soirée, elle se glissa par une porte fenêtre et se réfugia sur le balcon. Elle pensa d'abord être seule, puis elle vit un homme accoudé à la balustrade. Elle hésita à repartir, mais cet homme ne semblait pas de la même trempe que les flagorneurs à l'intérieur. Il était penché au dessus du parapet de pierre, simplement vêtu d'une chemise, sa veste nonchalamment posée à côté de lui. Les coudes posés sur la pierre, il fumait tranquillement une cigarette, apparemment concentré sur la contemplation des jardins, ou peut-être de la ville, au-delà de l'enceinte du palais. Il s'agissait sûrement d'un des majordomes du palais. La jeune femme s'approcha doucement de lui et lui demanda :

– Je peux ?

 Il tourna lentement la tête, tiré de sa rêverie, la regarda une seconde avant de lui désigner la balustre d'un geste de la main. Elle vint s'accouder à ses côtés et tendit l'index vers la cigarette.

– Vous allez la finir ?

 Il la considéra en souriant et lui tendit la cigarette sans un mot. Elle tira une bouffée et souffla la fumée avec un soupir de contentement.

– Soirée difficile, demanda-t-il un sourire toujours au coin des lèvres.

– On peut le dire oui, répondit-elle en se débarrassant du mégot d’une pichenette. Vous n'avez pas idée à quel point tous ces pédants sont insupportables.

– Je les côtoie assez souvent pour savoir de quoi vous parlez.

– Vous travaillez ici ?

 Il eut à nouveau un petit sourire.

– On peut le dire oui. Je m'appelle Al.

– Et moi Eowyn.

 Elle tendit la main pour la lui serrer, mais il la prit dans la sienne et se pencha pour lui faire un baise main.

– Enchanté de vous connaître douce Eowyn. Dites-moi une chose ; pourquoi être venue ce soir si vous ne supportez pas les gens de la cour ?

– Ma mère a espéré cette soirée pendant des lustres, soupira Eowyn en s’accoudant à nouveau. Elle voudrait me trouver un bon parti avec qui me marier, et qui me permettrait de rajouter une particule à mon nom.

– Et aucun de ces hommes n'a trouvé grâce à vos yeux, demanda Al en désignant la fenêtre d’un mouvement de tête. Ce genre de bals rassemble pourtant tout le beau monde du royaume.

– Je me demande bien ce que j'y fais dans ce cas.

– Croyez-moi, vous y avez votre place plus que nulle autre. Enfin, je suis désolé que vous passiez une si mauvaise soirée.

– Ça va mieux, répondit la jeune femme en rougissant légèrement.

 Ils passèrent un long moment sur ce balcon. Eowyn lui parla de sa vie, sans complexe et sans artifices, et lui l'écoutait, lui répondait, ne parlant de lui que lorsque c'était nécessaire. Il ne passa pas son temps à parler de sa petite personne, comme les nobles avaient l'habitude de le faire. Il n'était pas insensible à son charme, mais son regard s'attarda le plus souvent sur son visage, et non sur ses formes.

 Soudain, un jeune homme de haute taille et au crâne rasé surgit sur la terrasse.

– Jacob, s’étonna Al. Quelque chose ne va pas ?

– On te cherche partout, aurais-tu oublié que tu avais des obligations ?

– J'ai été distrait.

 Jacob se tourna vers la jeune femme et lui fit un signe de tête.

– Désolé mademoiselle, mais je dois vous priver de la compagnie de mon ami.

– Bien sûr je comprends ça. Vous reverrai-je un jour, demanda-t-elle à Al.

– Je ferai tout pour cela.

 Il lui fit à nouveau un baise main, puis déposa un baiser sur sa joue. Il mit sa veste sur son épaule et partit à la suite de Jacob. Après être restée seule sur le balcon quelques minutes, la jeune femme retourna à l'intérieur.

 Tous les danseurs s'étaient retirés de la piste, et l'orchestre avait entamé un nouvel air, tandis qu'au fond de la salle une porte s'ouvrit en grand, et qu'un majordome annonça l'arrivée de la famille royale. Tous les convives s'agenouillèrent pour une révérence, et Eowyn eut le souffle coupé en découvrant Al marchant aux côtés de la reine, sa mère.

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