Chapitre 13 Une paix contrariée - Partie 2

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 Un peu plus tard dans la soirée, les deux jeunes gens profitaient des derniers rayons des soleils, adossés contre un arbre, lorsqu'ils entendirent un cri qui semblait se rapprocher d'eux. Hank leva la tête vers le ciel et repoussa rapidement Sin fo sur le côté afin de la protéger du corps qui vint s'abattre lourdement contre sa poitrine. Le jeune homme mit quelques instants à reprendre son souffle, tandis que Sin fo le débarrassait du jeune revani qui s'était écrasé sur lui et le remettait sur ses pieds. Elle lui tâta les membres pour s'assurer de sa santé et le petit, âgé d'environ six ans et pourvu d'une épaisse tignasse blonde, gloussa lorsqu'elle passa ses mains sur ses petites ailes blanches. Sin fo fronça les sourcils et le réprimanda en langue revanie :

– Titae, je t'ai déjà dit que je ne voulais pas te voir voler pour l'instant. Tu es encore trop jeune. Imagine la tête de ton père si je lui dis que tu t'es blessé en venant nous voir !

– Mais Sin fo, c'est lui qui m'envoie. Il m'a demandé de venir chercher Hank au plus vite.

– Mais pourquoi ?

– Il avait quelque chose à dire au seigneur Iaevr, et il a dit que Hank devait être là aussi.

– Qu'est-ce qu'il se passe, demanda Hank en voyant le regard circonspect que lui lança Sin fo.

 Il avait appris les bases du langage revani, sans avoir l'aisance de Sin fo, et comme le petit Titae avait parlé très vite, il n'avait pas compris ce qu'il disait. Sin fo lui fit rapidement la traduction et ils partagèrent un silence inquiet. La requête du vieux roi était très étrange. Iaevr n'avait jamais cessé de croire que Sin fo était une déesse, et bien qu'il les ait laissés relativement tranquilles, il consultait la jeune femme de temps en temps quand un problème grave se présentait. Cependant, jamais encore il n'avait sollicité Hank, qu'il ne portait toujours pas dans son cœur.

– Veux-tu que je t'accompagne, proposa Sin fo.

– Non merci, ça ira. Je préfère que tu ramènes Titae chez lui. Et toi tu ne voles pas c'est compris, dit-il en passant sa main dans les cheveux du garçon.

 Hank n'avait jamais beaucoup aimé les enfants en bas âge, mais il s'était attaché à Titae, qui était le fils des revanis qui vivaient le plus près de Sin fo et lui, et qui échappait souvent à la vigilance de ses parents pour venir leur rendre visite.

 Il déposa un baiser sur les lèvres de Sin fo et siffla brièvement entre ses doigts. Vaen sortit du couvert des arbres en trottant. Le cheval ailé ne les avait jamais quittés depuis qu'il les avait aidés à fuir Zivatanerae, et Hank plus encore que Sin fo avait noué une profonde relation avec cet ami fidèle. Au grand dam de Iaevr, qui ne le jugeait pas digne d'un tel honneur. Il lui flatta l'encolure en lui disant :

– Content de te revoir vieux frère.

 Il sauta avec souplesse sur le dos de Vaen, qui s'envola sous le regard émerveillé de Titae.

– On va au temple, le plus vite possible s'il te plaît.

 Vaen partit à vive allure et Hank cala instinctivement les jambes contre ses ailes. Bien qu'il se fut habitué à voler avec l'étalon, il devait toujours s'accrocher fermement à son cou pour ne pas tomber à cause de la vitesse. En revanche, malgré toutes les acrobaties que pouvait faire Vaen, Hank n'avait plus peur et ne hurlait plus, ce qui était un soulagement pour l'un comme pour l'autre. Rapidement ils arrivèrent au temple, et Vaen se posa en douceur dans la cour pavée qui servait d'aire d’atterrissage. Hank se laissa glisser de son dos et lui dit à l'oreille :

– Reste dans les parages, je pourrais avoir besoin de toi.

 Le cheval prit son envol, tandis que le garde s'avançait déjà sur l'étroit pont de pierre. Hank alla à sa rencontre et le salua en langue revanie :

Bataev !

– Le bonjour à toi aussi Hank, lui répondit le garde, qui savait que le jeune homme avait du mal à maîtriser sa langue.

– Je viens voir le seigneur Iaevr.

– Taepin nous a prévenus en arrivant, tu peux rentrer. Tu connais le chemin ?

– Oui ne t'en fais pas.

 Hank gravit en vitesse les escaliers menant au temple, puis traversa à grandes enjambées le hall, totalement vide en cette heure tardive. Alors qu'il arrivait au fond de la pièce, les deux gardes le saluèrent d'un signe de tête et l'un d'eux ouvrit l'une des imposantes portes de la salle du trône sans un mot. Hank le remercia et y pénétra. Il ne pût s'empêcher de sursauter en entendant la porte se refermer derrière lui. Il prit une profonde inspiration et expira longuement pour se détendre avant de s'avancer.

 Cela faisait plusieurs mois qu'il n'était pas venu là, et rien n'avait changé. Les mêmes draperies aux murs, la même peau d'ours au sol. S'il était une chose que les revanis appréciaient, c'était la constance. Même le trône était quasi neuf, car bien que roi, Iaevr ne l'utilisait jamais. Ce privilège n'était échu qu'à la Taeki.

 Iaevr était en grande conversation avec un revani plus jeune, vêtu d'une toge blanche et aux ailes d'un gris foncé. Ce revani se nommait Taepin. C'était le voisin le plus proche, ainsi qu'un ami, de Sin fo et Hank. C'était également le père de Titae. Ils tournaient le dos à Hank, et étaient penchés au dessus d'une chose qu'il ne pouvait pas voir. En l'entendant arriver, ils s'arrêtèrent de parler et se relevèrent pour l'accueillir.

– Salut Hank, mon fils t'a prévenu ?

– Il m'a juste dit de venir ici au plus vite. Il paraît que vous vouliez me voir, dit-il en s'adressant à Iaevr.

– Nous avons un problème qui vous concerne vous, ainsi que notre Taeki, plus que n'importe lequel d'entre nous. Toutefois j'ai jugé préférable de lui épargner ça.

– Épargner quoi ?

 Les deux revanis se retournèrent lentement et Hank vit derrière eux un drap recouvrant quelque chose de volumineux. Le tissu était souillé en plusieurs endroits, et de l'eau semblait l'avoir traversé pour s'écouler sur le sol de marbre. Sur un signe de tête de Iaevr, Hank s'accroupit et souleva le drap. Il eut un haut-le-cœur et se releva en faisant un pas en arrière. Sous ses yeux était étendu le cadavre d'un homme.

 Il avait une couleur verdâtre et l'abdomen complètement distendu. La peau avait par endroits un aspect noirâtre, et s'était même détachée aux extrémités. Hank pouvait voir les veines ressortir sur le torse et dans le cou, mais pas sur le visage qui était bouffi, tuméfié. Visiblement cet homme avait passé beaucoup de temps dans l'eau avant de se retrouver ici.

– Qu'est-ce que c'est que ça ? D'où est-ce qu'il sort ?

 Ce fut Taepin qui lui répondit :

– Je l'ai trouvé échoué sur la plage, non loin de l'endroit où on vous avait trouvés, Sin fo et toi. Les êtres sans ailes nous perturbent un peu, tu as pu le constater il y a cinq ans. C'est pour ça que j'ai préféré l'amener directement au seigneur Iaevr. À part nous trois, personne n'est au courant.

– Personne, s’étonna Hank. Et les gardes alors ?

– Ils m'ont juste vu rentrer avec une chose enveloppée dans un drap.

– Et moi je les ai fait sortir dès que j'ai su de quoi il retournait, ajouta Iaevr.

– Ils doivent bien se douter de quelque chose, insista Hank. Ils vont poser des questions.

– Ils n'en poseront pas si je le leur interdis, trancha le vieux roi. Le connaissez-vous, reprit-il en désignant le corps du doigt.

– Comment voulez-vous que je le sache ? Regardez-le, il est difforme.

– Faites un effort.

 Hank fit un pas en avant et se pencha à nouveau sur le corps. Il éprouva encore une crampe à l'estomac mais n'en tint pas rigueur. Il regarda fixement l'homme devant lui, tentant de se le représenter plus mince et avec la peau non tuméfiée. Il fouilla sa mémoire plusieurs minutes mais il ne savait pas qui il était.

– Non, je ne sais pas.

– Vous en êtes bien sûr, le pressa Iaevr.

– Évidemment ! Et puis, qu'est-ce qui vous fait croire que j'ai quelque chose à voir avec lui, s’interrogea Hank, sur la défensive.

– Comprenez-moi Hank, soupira le roi. Pendant des millénaires, nous avons vécu paisiblement entre revanis. Il y a cinq ans, brusquement, votre amie est apparue, et a bouleversé notre monde. Vous l'avez suivie, et nous nous sommes adaptés. Maintenant cet homme surgit à son tour, il est donc normal que je pense que vous et lui veniez du même endroit.

– Je vois où vous voulez en venir, concéda Hank, mais le monde d'où nous venons est gigantesque, probablement autant que le votre. Sin fo et moi n'étions pas seuls là-bas, et nous ne connaissions pas tout le monde.

– Pourquoi êtes-vous arrivés en vie et pas lui, s’interrogea Taepin.

– Vu son état, je dirais qu'il s'est noyé. Il a peut-être émergé à un autre endroit que nous, et n'a pas été capable de rejoindre l'île, dit Hank en soulevant le corps. Attendez, qu'est-ce que c'est que ça, demanda-t-il en constatant que la chair était particulièrement marquée dans le haut du dos.

 Les deux revanis s’accroupirent pour examiner la plaie.

– On dirait des traces de morsures, reprit Hank. Vous croyez qu'un poisson aurait pu lui faire ça ?

– Je ne connais pas bien les créatures qui vivent dans la mer, répondit Taepin. J'évite de m'approcher de l'eau en règle générale.

– Comme tout revani qui se respecte, approuva Iaevr. Un poisson se serait-il contenté de ne manger qu'un morceau ?

– Non, probablement pas, vous avez raison, reconnut Hank. Il aurait été mordu avant de se noyer ?

 Aucun des deux revanis ne put apporter de réponse à cette question. Hank resta avec eux devant la dépouille encore quelques minutes en silence, puis ils convinrent de l'inhumer en toute discrétion derrière le temple, et de ne pas ébruiter l'affaire. Hank décida de laisser les revanis se charger de cela, et rentra chez lui.

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