Le loup solitaire

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Léon aimait être seul, il habitait dans l’ancienne cabane du garde-chasse, en lisière de forêt. Il n’y avait pas d’autres maisons avant des kilomètres et les promeneurs préféraient passer par le sentier pédestre qui contournait la forêt en direction du lac.

  On le connaissait bien dans le village, Léon était un enfant du pays que le sort n’avait pas gâté. Un incendie avait décimé toute sa famille et réduit en cendre sa maison en une nuit. Il s’en était sorti in extremis en sautant par la fenêtre et avait eu plus de chance que sa sœur, qui s’était brisée le cou dans sa chute. Depuis, les gens étaient patients avec lui, on fermait les yeux devant ses petites excentricités. On l’appelait le loup solitaire car il n’essayait plus de s’intégrer à la communauté, il venait faire ses courses une fois par mois et remplissait alors sa camionnette jusqu’au bord de produits non périssables et de surgelés. Parfois il braconnait quelques lapins ou un chevreuil pour changer de l’ordinaire.

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Un jour qu’il se tenait assis devant sa porte à nettoyer et affûter ses outils en vue de passer l’hiver, il entendit un drôle d’appel venant des profondeurs de la forêt. Intrigué, Léon arrêta de passer son couteau sur sa pierre et tendit l’oreille, le cri recommença, on aurait dit le hurlement d’une femme. N’y tenant plus, il ferma sa porte et partit en direction de l’appel.

  L’automne était déjà bien avancé et un bon tapis de feuilles morte amortissait ses pas tandis qu’il avançait en écartant les branchages du sous-bois qui devenait de plus en plus dense. Les oiseaux chantaient encore dans les branches presque nues et les écureuils criaient sur son passage. Parfois il voyait détaler un lapin dans les fourrés, alerté par le bruit de ses pas.

  • Je n’viens pas pour vous aujourd’hui, bougonna-t-il, pas la peine d’avoir peur…

Alors qu’il s’approchait de la source du hurlement, il comprit qu’il ne s’agissait pas d’une femme mais d’un animal pris au piège. Ses cris s’étaient espacés et Léon commença à s’inquiéter pour la santé de la bête, il hâta le pas et arriva enfin dans une clairière qu’il connaissait bien. C’était là qu’il ramassait le plus de champignons comestibles. Une tache orange attira alors son regard, un renard roux s’était coincé dans son piège à lapin, sa patte attachée pendait lamentablement à côté de sa tête tandis qu’elle fixait Léon de son regard noir, pénétrant.

  L’homme s’accroupi doucement et posa ses affaires à terre afin de montrer ses grandes mains vides à l’animal.

  • Je vais te détacher, chuchota-t-il alors, ne bouge pas, je ne te ferai pas de mal.

Il s’avança doucement, un ronronnement grave s’échappant de sa large poitrine, vers la créature apeurée qui commençait à montrer les dents. Ce son régulier apaisa la créature qui accepta de se laisser manipulée. Léon retira le collet de sa patte meurtrie et enveloppa l’animal dans son manteau. Cette trahison fut accueillie par des glapissements effrayés et quelques coups de griffes, mais serrant la bête contre lui, Léon augmenta l’intensité de sa vocalisation et le renard, au bord de l’épuisement, s’abandonna dans les bras de son sauveur.

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La pluie commençait à tomber quand Léon rentra chez lui, il déposa délicatement son précieux paquet dans un coin isolé, après avoir rassemblé à la hâte des couvertures pour lui faire un nid. Il s’affaira ensuite à allumer un feu dans le poêle, pour réchauffer la pièce.

  Regardant autour de lui il chercha ce qui pourrait blesser le renard à son réveil, mais sa cabane n’était pas grande, tout juste une chaumière en bois d’une seule pièce avec un coin d’eau à l’extérieur. Sa salle de vie était peu meublée, un vieux canapé confortable était placé à côté du poêle, une grande bibliothèque recouvrant le mur du fond, était chargée d’une collection importante de livres et enfin, une petite table entourée de deux chaises en face de l’unique fenêtre lui servait de bureau et de table à manger. Une mezzanine sous le toit, accessible par une échelle, près de la bibliothèque, lui servait de chambre à coucher. Le bruit de la pluie frappant le toit se mêlait avec le craquement du feu, la pièce se réchauffait doucement.

  Léon soupira, savourant ce moment de calme, puis mit de l’eau à chauffer pour nettoyer les plaies de son invité. La pauvre créature était si épuisée de s’être débattue dans le piège qu’elle ne se réveilla pas pendant ses soins. L’homme en profita pour mieux l’observer, c’était une jeune renarde, probablement tout juste sortie de l’enfance, elle ne devait pas être encore très aguerrie pour s’être fait prendre dans un piège d’homme. Elle avait un pelage roux, avec les extrémités brulées mais le ventre et le poitrail blanc. Son museau comme ses grandes oreilles étaient noirs et pointus. Sa longue queue touffue était terminée, comme un pinceau de maître, par une pointe blanche. Léon enveloppa sa patte blessée d’un linge propre après l’avoir nettoyée puis il plaça un bol d’eau fraiche à côté de l’animal, éteignit les lumières et monta se coucher.

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