Le Bureau des investigations occultes

9 minutes de lecture

L’amphithéâtre Amphithéâtre Rohan, comme l'indiquait la plaque de cuivre placé sur sa double-porte d'entrée en chêne massif, avait quelque chose d’extraordinairement désuet. La pièce elle-même semblait faite entièrement en bois tel un amphithéâtre de l'ère victorienne dans lequel on aurait bien vu, par exemple, Louis de Broglie débattre la mécanique quantique dans les années vingt.

Au centre de l'amphithéâtre se tenait une chaire, encadrée de bancs et de chaises formants des arcs de cercles en gradins, le tout également en bois ciré exhalant une atmosphère d'une autre ère.

D'inévitables tableaux noirs, coulissant verticalement, situés derrière la chaire amovibles venaient compléter cette image d'Épinal d'un amphithéâtre d'un autre âge.

Trônant magistralement au centre de l’amphithéâtre se tenait un personnage au maintien altier évoquant un politicien des années trente, vêtu d'un costume sombre à la coupe à la fois stricte et élégante, son visage aristocratique était celui d'un homme d'âge mur, orné d'une barbiche méphistophélique qui ajoutait encore à son apparence de notable de la haute bourgeoisie d’antan. L’imposant personnage prit la parole.

"Bienvenue commandant Lambert", entonna-t-il d'une voix grave aux inflexions anciennes, au timbre coloré par des réminiscences de ton archaïque, rappelant quelque peu la diction théâtrale de Sacha Guitry.

"Veuillez, je vous prie me rejoindre au centre de l'amphithéâtre afin que nous puissions procéder aux présentations comme le dicte le protocole".

Daniel se dirigea vers l'endroit désigné, alors que Padma qui le suivait se dirigea vers un des gradins pour y prendre place.

Puis s'adressant aux autres personnes présentes dans l'amphithéâtre, le personnage s'exprima:

"Mesdames et messieurs, voici le commandant Lambert, vous avez tous reçu une copie de ses états de service et de ses qualifications dans le dernier mémo, sa présentation n'est plus à faire".

Puis il continua les présentations, tendant la main à Daniel tout en disant "docteur Flamel, Nicolas Flamel, directeur du BIO.

"Je crois que je n'ai plus besoin de vous présenter Padma Ling", dit-il avec une esquisse de sourire narquois en coin, "notre experte en investigations occultes spécialiste des pratiques mystiques de l’extrême orient".

"Voici mademoiselle Ashley Stone", une de nos dernières recrues, continua-t-il, de sa voix d'orateur d'autrefois: Nous lui offrons sanctuaire (à défaut de pouvoir lui faire obtenir l'amnistie), "elle est recherchée par toutes les polices du monde. C'est notre experte en informatique et robotique. Il est préférable qu'elle travaille pour nous plutôt que pour les services secrets Chinois qui lui avaient aussi proposé l'asile politique eu égard à ses compétences, comment dirais-je …, remarquables" dit-il après une pause emphatique ou pointait néanmoins un soupçon d’ironie.

"Ash", corrigea-t-elle spontanément, interrompant le docteur Flamel sans y être invité, "mes amis m’appèlent Ash !"

Ignorant cette interruption, Flamel continua "Ceci est le sergent O’Reilly, directeur des opérations, responsable pour nos interventions militaires et de police, coordinateur avec les autorités locales".

A cet instant précis, Ash fit mine de compter sur ses doigts, mimant un compte à rebours ("cinq", "quatre", "trois", …). A "trois", la porte de l'amphithéâtre se mit à grincer en s’entrouvrant prudemment. Simultanément Flamel se mit à froncer progressivement le sourcil droit à la manière du Dr Spock, puis posément, affichant une certaine lassitude, il s'exclama: entrez Tenpé, la réunion n'est pas encore terminée, c'est bien aimable à vous de trouver le temps de vous joindre à nous…"

La tête d'un homme jeune, aux cheveux très courts quasiment rasés, apparut par la porte entrouverte, puis la personne désignée sous le nom de Tenpé s'aventura prudemment dans l'amphithéâtre.

"Tenpé Lohzang assiste Padma dans sa tâche" continua Flamel, il est en quelque sorte son assistant et son apprenti. Tenpé est né en Europe, mais a adopté son nom de religion après avoir passé plusieurs années dans un monastère bouddhiste du royaume du Bhoutan dont il s'est vu bannir pour avoir tenté d'apprendre et d'utiliser la sorcellerie Bön, plus précisément certaines pratiques ayant trait à la nécromancie, bravant les interdits de son ordre monastique. Sa tête est encore mise à prix à ce jour par les autorités du Bhoutan".

"… et pour faire la grasse matinée quand il cuvait ses excès de raksi et pour arriver régulièrement en retard aux cérémonies…" murmura Ash usant d’un volume sonore délibérément audible, toujours sans avoir été conviée à faire part de ses remarques.

"Plait-il ? Si vous avez un commentaire à faire veuillez, je vous prie, en faire profiter toute l'audience" l'interrompit Flamel.

Ash fit comme si de rien n'était, clignant des yeux pour protester de son innocence, affichant un sérieux feint.

"Tenpé, ceci est Daniel Lambert" fit Flamel "… et ne me faites pas l'offense de prétendre que vous avez lu le mémo à son sujet". Tenpé ouvrit la bouche et la referma aussi promptement, tel une étrange carpe, renonçant à faire l'effort d'essayer d'inventer une excuse tant soi peu plausible.

"Mais venons-en à l’essentiel ! Vous vous demandez sans doute quelle peut bien être la mission du BIO et quelle peut bien être la raison pour laquelle je vous ai présenté à l'état major du BIO ?"

Avant de répondre à ces questions, je voudrais vous poser juste deux questions pour ma part: "Avez-vous des souvenirs précis de l'attentat dont votre unité fut victime ?"

Daniel ne répondit pas, mais la mimique s'affichant sur son visage ne nécessitait pas de traduction.

"Le BIO ?" fit-il avec un mélange de curiosité et de défiance.

"En guise d'introduction et avant de décrire notre rôle plus en détail, disons que le rôle du BIO commence précisément là où celui de la police ou de l’armée s'arrête".

"Le BIO n'est pas seulement un ‘think tank’ et un vivier de talents exceptionnels, c'est aussi une très ancienne organisation de lutte contre le crime".

"C'est un arrangement qui remonte à la fin de l'empire romain. Cette organisation a été fondée par le personnage que la légende a retenu sous le nom de Merlin. Le roi Arthur au départ des force romaines, n'a pas seulement dû faire face à des invasions, mais il a eu recours aux services de Merlin et de son ordre de druides afin de faire face à une autre menace autrement plus redoutable."

"En effet, avant qu'il ne s'établisse un clair partage entre le pouvoir temporel et le pouvoir spirituel, la lutte entre les deux camps menaçait l’équilibre précaire de la société".

"La lutte entre la monarchie et l'église ?" demanda Daniel, incrédule.

"Plutôt la lutte entre le monde moderne et le monde antique de druides, sorciers et autre praticiens des sciences occultes, alchimistes, nécromanciens, ainsi que leurs redoutables acolytes que ces derniers savaient invoquer par des rituels secrets leur donnant un certain contrôle sur les forces occultes" précisa Flamel.

Le visage de Daniel qui s'était tout d'abord considérablement assombri à l'évocation de sa récente épreuve affichait une perplexité croissante, puis finalement une franche incrédulité, voir un début d'exaspération.

"Qu'entendez-vous exactement par occulte ?" interrompit brusquement Daniel "vous plaisantez ou bien le choc que j’ai subi ces derniers temps est plus sévère que je ne le pensais !".

Nicolas Flamel de renchérir: "Vous êtes docteur en physique, n'est-ce pas commandant ?"

"Vous convenez donc bien du fait que les lois de la nature sont bien plus complexes qui’l n'y parait à première vue, mais que ces paradoxes apparents s'expliquent rationnellement à la lumière de la science moderne. Cependant ces phénomènes seraient apparus comme de la véritable sorcellerie dans l’esprit de gens des temps passés, de la plus lointaine antiquité jusqu’à la fin du dix-neuvième siècle", dit Flamel.

"Sans doute", dit Daniel "mais où voulez-vous en venir ?"

Daniel resta interdit.

"Voulez-vous dire" dit-il "que certaines sectes et sociétés secrètes auraient, depuis la plus lointaine antiquité, eu connaissance de secrets leur permettant de manipuler la matière, l'espace-temps, les voyages aux confins de l'univers et l'accès à des dimensions parallèles à notre propre espace-temps ?".

"Comment croyez vous que l'on puisse faire fusionner l'acier d'une épée avec un rocher, comme si on enfonçait un couteau dans du beurre pour l'en retirer sans effort apparent par la suite, là où le commun des mortels a échoué ?" demanda Flamel.

"Voulez-vous insinuer que le roi Arthur ait eu connaissance avant l'heure des lois de la physique et qu'il appartenait à une société secrète aux pouvoirs occultes ?" demanda Daniel.

"Le bon vieil Arthur, bien sur que non !", s’exclama Flamel réprimant un sourire, apparemment amusé à cette idée, "mais fort de son éducation poussée reçue à Rome, il avait pris la sage précaution de s'entourer de conseillers versés dans les sciences occultes et en particulier de celui dont la légende gardera la mémoire sous le nom de Merlin", répondit Flamel.

"Merlin l'enchanteur ? Celui de la fable ?" demanda Daniel, incrédule.

"Merlin n'est pas originaire de ce secteur de l'univers ou devais-je dire du ‘multivers’ !" dit Flamel

"Il faisait partie d'un corps d'éclaireurs chargés de traquer les délits de violation spatio-temporels, une sorte de patrouille de l'espace-temps en quelque sorte, dont la mission est de sauvegarder à tout prix l'équilibre du multivers en veillant à éliminer à la source toute cause de paradoxes spatio-temporels.Il a aidé le roi Arthur à accéder au trône. En échange, celui-ci lui a prêté main forte, mobilisant ses troupes pour appréhender une faction de mercenaires d’une dimension parallèle qui voulaient tenter à nouveau de diriger cette planète et d'en accaparer les ressources, comme ils avaient déjà tenté de le faire du temps du bas empire égyptien ou encore du temps de l’empire Aztèque".

Les antiques tableaux noirs de l'amphithéâtre avaient été substituée -dans une concession au temps modernes- par des écrans tactiles multifonctions de la même taille. On peut écrire sur ces écrans avec le doigt ou avec un stylet, pour les nostalgiques de la craie ou du marqueur, ou bien indifféremment les utiliser comme écrans vidéo. Ces écrans avaient, en outre également toutes les fonctions d’un smartphone, d'une tablette ou d’un ordinateur : vidéoconférence, applications multimédias, enregistrement et archivage vidéo des exposés donnés dans l'amphithéâtre.

Au fur et à mesure que Flamel progressait dans son récit, les scènes qu’il décrivait s'affichaient sur cette multitude d'écrans à des fins d'illustration et ses propos étaient résumés en différentes langues au bas des écrans respectifs, à la manière des sous-titres d'un film. Ces scènes étaient synthétisées au vol par un ensemble de réseaux de neurones de cette base locale du BIO, lui-même un des nombreux maillons du système d’intelligence artificielle modulaire du BIO, distribué sur un vaste réseau mondial privé, isolé de l'internet, constituant littéralement un gigantesque cerveau artificiel à l’échelle planétaire.

"Afin d'en finir avec la menace qui pesait sur ce secteur du multivers, alors que la partie semblait perdue, Merlin a délibérément crée un paradoxe spatio-temporel dans lequel les envahisseurs qui voulaient mettre main basse sur cette partie de l'univers ont été embusqués et anéantis. Il a encouru un risque énorme en mettant en oeuvre cette stratégie, il a lui-même disparu dans le processus, se sacrifiant pour sauver le monde tel que vous le connaissez", dit Flamel, puis d'ajouter sur un ton malicieux, inattendu du personnage

"Mais avec Merlin, on ne sait jamais, je ne désespère pas de le revoir un jour", dit Flamel semblant brusquement ému, comme s'il parlait d'un ami proche plutôt que d'un personnage historique "il avait plus d'un tour dans son sac. L'arme redoutable qu'il a mis en œuvre pour créer cette singularité fut par la suite désignée sous nom de Graal. C'est en réalité une bombe à tachyons, des particules élémentaires qui se meuvent à reculons dans le temps, bricolée avec les moyens du bord. Les chevaliers de la table ronde ont du déployer des miracles d'efforts, d'initiative et de courage pour réunir les matériaux nécessaires à sa réalisation suivant à la lettre les instructions de Merlin."

"Après la disparition de Merlin, un conseil spécial a été crée par le roi Arthur réunissant les compagnons de Merlin et des chevaliers de la table ronde. Une sorte de table ronde occulte, dont la mission persiste jusqu'à ce jour. C'est ainsi qu'est née le BIO, le Bureau des Investigations Occultes."

Daniel dévisagea soudainement Flamel avec un intérêt renouvelé. "Et la seconde question ? vous aviez une seconde question ?"

"La seconde question... est plus personnelle..." continua Flamel sur un ton devenu plus solennel, plus confidentiel, articulant posément chaque mot

"Jusqu’où êtes vous-prêt à aller pour identifier les responsables de l'attentat dont votre équipe fut victime ?"

Puis d'ajouter.

"Le BIO peut mette à votre disposition des moyens qu'aucune autre organisation ne saurait vous procurer."

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 3 versions.

Vous aimez lire Serge Hulne ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0