Le bureau des Nevada Wolves était spacieux au centre duquel trônait la longue table rectangulaire. Les lambris couvraient les murs que plusieurs fenêtres, munies de stores en bois, ajouraient. Cette pièce faisait la jonction entre le Coyote Springs et le garage Bennett. L’écu des Nevada Wolves, sculpté dans le pin Bristlecone, ornait le mur juste en-dessous du drapeau américain. Cookie, le coyote des montagnes du Nevada au Nord-Ouest de la ville d’Orangewood, que le vieux Reaper – grand-père maternel de Shotgun – avait recueilli tout bébé. Parfaitement dressé, Cookie avait claqué empoisonné, le vieux Reaper n’avait jamais su quel enfoiré qui avait bien pu faire ça. Shotgun lui avait raconté une fois que le fameux coyote se nourrissait de cookies. D’où le nom ! Un taxidermiste avait empaillé l’animal à sa mort. Donc, le coyote Cookie campait dans une position offensive sur un imposant bahut.

Quand Strike pénétra à l’intérieur, le président Zack et son vice-président Reuben discutaient. Leur mine soucieuse indiquait la gravité de leur conversation. D’ailleurs, ils avaient évoqué le prénom d’Ezra et la Fierté Blanche, un groupe de suprématistes blancs qu’Ezra avait rejoint en prison. En le voyant siéger à sa place, le président des Nevada Wolves et son vice-président mirent un terme à leur entretien.

Tous les membres du club siégèrent autour de la table. L’heure devait être préoccupante pour que Zack les convoquent tous. Même les meufs – Dita, Trish et Diana – avaient été conviées pour l’occasion. Pareillement pour Cal, Kendall, Morgan et Trini. Personne ne manquait sauf Ezra ! Bientôt, bientôt, il sortirait !

Zack ouvrit la session en entrant dans le vif du sujet.

— Quelqu’un a des nouvelles d’Ezra, bordel à queue. Ça fait quinze jours qu’aucun d’entre nous n’est parvenu à le voir en parloir.

Strike leva le doigt comme s’il était à l’école pour que le président des Wolves lui accorde la permission de l’ouvrir.

— Une bande de blacks ont essayé de le dessouder dans les douches, déclara Strike. Ezra s’est défendu et deux de ces trois connards ont fini à l’infirmerie.

Zack fuma sa clope.

— On sait qui a commandité ce traquenard ? demanda le vice-président Reuben.

— L’administration de la prison a évoqué un règlement de compte mais Jai était sur place. Les mecs bossaient pour le compte de DJ Ricch, dévoila Strike.

— L’autre fils de pute qu’Ezra a latté la gueule, s’étonna Reuben. Mais ça remonte à des plombes. Ezra était encore lycée. La vache ! Ce connard a la rancune tenace.

— Maintenant qu’il est le nouveau caïd du quartier de Cold Corn, ajouta Diana, ce crétin de DJ Ricch veut se venger de l’affront. Il faut dire qu’à l’époque Ezra ne l’a pas loupé.

— Quel trou du cul, bordel de merde ! s’écria Trini. On va latter leurs sales tronches à ces Black Soulless Ones ?

Zack calma le jeu. Strike avait laissé son portable dans la vieille soupière de la grand-mère du président des Nevada Wolves. L’appareil devait vibrer à volo, affichant le numéro de Lara. Si Strike avait été en possession de l’appel, il aurait assurément rejeté l’appel pour se concentrer sur la réunion. Heureusement, les portables étaient interdits dans la salle de réunion, dans leur Chapelle comme le disait Reuben.

— On va faire profil bas pour le moment, contredit Zack. Quand Shotgun sera dehors, on lui organisera une petite excursion touristique dans le repaire de DJ Ricch.

Toute l’assistance éclata de rire.

— Strike, demanda Reuben, quand est-ce qu’Ezra doit sortir d’isolement ?

— D’après son avocat, sa libération est toujours prévue à la fin de la semaine.

— Parfait, se réjouit Reuben. Ça fait un bail que je n’ai pas vu ce sale trouduc.

Une ovation enthousiaste s’éleva, accompagné de sifflements.

— Il faudra dégoter une nana pour s’occuper de notre frère, déclara Zack. Trish, tu t’en occuperas.

La régulière du tatoueur Jax s’accouda à la table et savoura son verre de tonic.

— J’en ai déjà sélectionné quelques-unes qui feront l’affaire, annonça Trish.

Strike écrasa le mégot de sa cigarette dans le cendrier devant lui puis fouilla la poche intérieure de son cuir pour en extraire une photo, pliée en quatre.

— Inutile, Trish, dit-il en ignorant la fureur qui commençait à l’étouffer. Ezra veut cette nana à sa sortie.

Il posa le cliché puis le fit glisser en direction de la mère du club. La principale intéressée déplia la photo que Jai lui avait fait remettre, puis jugea de la fille.

— On la connait ? questionna-t-elle.

Strike secoua la tête en guise de non.

— Elle s’appelle Lil’Bird ! Un gars en taule la lui a vendue comme une bombe atomique au plumard ! D’après ce que m’a dit Jai, Ezra se pignole la queue avec cette photo depuis qu’il est en isolement !

L’hilarité secoua le groupe. Dita se pencha sur Trish pour examiner le cliché.

À la seule évocation de la gamine, Strike ne douta pas un seul instant que Lara devait inonder son téléphone de SMS plus incendiaires les uns les autres.

— Cette escort fait fureur en ce moment sur l’application Sex Friendly. Plusieurs de mes clients m’ont demandé si je comptais la recruter, dit Dita.

— Et... s’enquit Reuben.

Dita le foudroya du regard.

— Ne me regarde pas comme ça, ma puce, protesta Reuben. C’est à titre professionnel que je pose la question. Je te rappelle que je suis également actionnaire du Venusia, ma belle. Je veux être informé des arrivées des nouvelles filles et les départs des anciennes.

Son plaidoyer ne servit à rien. Tout le monde pouffa discrètement de rire.

— J’ai échangé quelques messages privés avec elle durant la nuit dernière, avoua Archie. Cette meuf est un vrai allume-cigare. Elle est venue au Coyote Springs, l’autre soir. Elle nous a proposé une prestation d’essai à Strike et à moi. Manière de nous assurer qu’elle est bien ce que l’on prétend d’elle !

— Tu veux dire que cette nana est d’Orangewood ? questionna Trish.

— J’en sais rien, dit Archie. On a discuté de beaucoup de choses. Comme la façon qu’elle aime baiser. C’est bien la première meuf qui n’est pas contre du sexe anal dès le premier rencard !

Vivement intéressé, Cal se pencha par-dessus la table pour arracher la photo des mains de Trish. Ses yeux, derrière ses lunettes à épaisse monture noire, examinaient sous toutes les coutures le visage angélique de la fille.

— Cette meuf a sucé un mec dans son cabriolet sur le parking, l’autre soir. Je l’ai vu montée dans la bagnole !

— Celle-là même, affirma Archie.

— Bordel de merde, lâcha Kendall en soulevant ses lunettes de soleil.

Diana, avachie sur sa chaise, saqua Kendall en le nommant par son prénom. Chose qu’il ne fallait pas faire si on ne voulait pas s’attirer ses foudres !

— Ariel la petite sirène va te rafraîchir dans ton océan, proposa Diana de sa voix railleuse à l’intention de Kendall.

Ce dernier baissa ses lunettes sur son nez et s’appuya sur la table.

— Répète un peu, la lesbienne latina, tonna-t-il.

— Tu as parfaitement compris, tête de hareng !

Zack calma le jeu.

— Si Shotgun veut cette escort, il l’aura, décréta le président.

— Je demanderai au prospect de nous la dénicher, annonça Reuben en sirotant son whisky.

— Elle est très photogénique, j’aimerai beaucoup la photographier, dit Cal.

Reuben ôta ses lunettes.

— C’est pour ma collection privée, affirma-t-il.

— Fous-toi de ma gueule, protesta le vice-président, tu veux la photographier pour vendre les photos à une revue de cul à Las Vegas.

— Un peu de beurre dans les épinards n’a jamais fait de mal, affirma Cal.

— Sauf si la meuf qui a posé est une mineure, espèce de débile, pesta Reuben. La pornographie infantile nous coûtera très chère si tu ne fais pas un peu plus attention, tête de nœud !

Cal baissa les yeux. Zack reporta son attention sur Trish.

— La chambre à l’étage est prête pour la sortie de Shotgun ?

— Prête à l’emploi, affirma-t-elle.

Trish adressa un signe à Strike pour attirer son attention mais il fallait qu’Archie lui donne un coup de coude pour l’arracher à ses pensées. Comme il ne pouvait pas répondre, Lara devait déverser sa jalousie maladive dans ses SMS virulents.

— Je voudrai te parler de ta régulière, commença Trish, Lara a encore tabassé une fille du club parce qu’elle t’a regardé avec un peu trop d’insistance. C’est la quatrième fois ce mois-ci.

Strike ne savait plus où se mettre. Il ralluma sa cigarette et tira une longue latte.

— Elle est sur les dents en ce moment, prétexta-t-il.

— Peut-être mais les nanas du club commencent à en avoir assez de ses crises de jalousie. Les autres gars également. Lara les harcèle sans arrêt de questions pour savoir où tu es !

Zack sourit durant tout l’échange entre Trish et Strike.

— Écoute si ta régulière ne change pas de comportement, fous-lui une muselière. Sinon je m’occuperai de lui inculquer les bases de la vie en société. Je ne veux plus un esclandre de cette chieuse, c’est clair !

Strike acquiesça du chef. Il se promit de mettre les points sur les i dès son arrivée à la maison, ce soir. Qu’elle lui casse les couilles à lui, c’était une chose mais il était hors de question que Lara emmerde le club !

— Il semblerait que le mec qui a fixé rendez-vous à la nana soit Marcus Ellis, avoua Archie.

Zack se lécha les lèvres.

— Le même Marcus Ellis qui bossait pour Top-Chef ? s’intéressa soudain Zack.

— Qu’est-ce que j’en sais ! grommela Archie. L’un de tes employés a reconnu la voiture, le garage a effectué des travaux sur sa caisse, en milieu de semaine !

Strike but une gorgée de whisky puis se ralluma une cigarette.

— J’ai eu un tuyau de la part d’un maton avant de repartir de la prison, ajouta Strike. Il paraîtrait que le shérif Fuentes ait demandé le maintien en isolement de Top-Chef jusqu’à ce que les circonstances de la mort de son codétenu soient élucidées. C’est pour cette raison qu’il n’est pas encore sorti !

Une vague de protestation secoua l’assistance.

— Un Nevada Wolf qui sort en même temps que le meilleur fabricant de meth de Las Vegas, ça fout les chocottes à la haute, ajouta Reuben.

Zack allait frapper du poing la table pour signifier la fin de la séance mais Morgan notifia un détail.

— Je suis allé voir l’autre cul-terreux dans sa cabane au milieu du désert pour récupérer le fric qu’il doit aux Die-Hard Henchmen.

— Ah oui ! se rappela Zack. Et ce débile te l’a refilé ? Roxy est la gamine du Président des Die-Hard Henchmen, elle le ramènera au gang de son paternel !

— Il a été dessoudé, affirma Morgan.

L’annonce atterra tout le monde.

— Sa tronche gisait au fond de son assiette de spaghettos, avec un immense trou à l’arrière de la caboche. Son vieux et son clébard ont également été refroidi.

Le silence s’abattit sur la table.

— Et le vieux pick-up moisi de ce connard ? s’enquit Zack.

— Volé avec la came qu’on avait planquée à l’intérieur pour éviter la saisie de Fuentes.

Zack fixa Morgan.

— Autre chose a été volé dans cette cabane de merde.

— Quelqu’un a fouillé dans la penderie, répondit Morgan.

Tous les regards oscillaient de l’homme de main de Zack au président du Club sans quiconque n’ose dire un mot. Même cette foutue mouche, prisonnière du ruban adhésif qui pendait au lustre en bois de cerf, demeura silencieuse.

— J’ai surpris un étudiant en train de filmer la zone avec son drone à la con. D’après la vidéo, un mec est sorti de la cabane et une gamine, cachée derrière la cabane à outils, a fouillé la maison. C’est elle qui a volé la caisse.

— Cette petite conne a utilisé son smartphone ? demanda Zack, le visage meurtrier.

— Un téléphone prépayé. Mon pote aux télécoms m’a dit que ce type de téléphone est intraçable.

— Bordel à queue, hurla Zack. Tu me retrouves ce putain de pick-up de merde et cette petite salope pour que je lui explose la tronche. Je veux ma came. Pigé !

Sur ce, Zack bondit de son fauteuil et sortit en trombe. Il récupéra son téléphone portable prépayé dans la soupière pour rappeler leur fournisseur de Las Vegas.