Le tableau blanc se divisait en deux colonnes : l’une indiquait les dossiers de détenus libérés, avec leurs contrôleurs judiciaire, et l’autre les dossiers à venir, avec leur date de libération et l’assignation de leur référant. Les noms arboraient des couleurs différentes, selon leur niveau de récidive et leur dangerosité.

— King est ici, commenta Dorian Pope, son téléphone portable, vissé à l’oreille. Tu es où ?

King examina minutieusement le tableau, et constata la présence d’un certain « Shotgun », dans la case des dossiers à venir. Apparemment ce gars-là serait pour lui.

— Ah, tu es là-bas, dit Dorian au téléphone. Tu as pu parler avec Monreo au sujet de son histoire ? Arthur s’occupait de son dossier, avant de partir à la retraite. Il m’a dit une fois que ce mec est prêt à raconter n’importe quoi pour sortir de taule.

L’agent Rebecca Cooper travaillait à l’accueil, cette femme rondouillarde offrit une tasse de café à King.

— Vous avez travaillé à la criminelle, n’est-ce pas ? dit Rebecca. Vos collègues nous ont dit que du bien de votre travail. Pourquoi avoir décidé de devenir un contrôleur judiciaire ?

Il sirota son café en attendant que Dorian achève sa conversation téléphonique, avec le shérif Fuentes.

— J’en avais assez d’envoyer des mecs en taule. La récidive est un véritable problème dans notre système. On envoie ces gars en prison, en espérant que ça leur servira de leçon, mais la plupart d’eux se perfectionnent auprès d’autres détenus plus expérimentés, au sein même de nos prisons. Parmi les meilleurs exemples, la supermax Pelican Bay est l’Université des criminelles. Les condamnés à la perpète gèrent leur business depuis leur cellule.

— Belle analyse, le complimenta Rebecca. On ne vous attendait pas avant la semaine prochaine.

— En fait, je suis en congé mais je tourne en rond chez moi. Donc je suis venu prendre contact avec mon futur poste. Qui est Fuentes ?

— Le Shérif de notre ville. Mais il a dû se rendre au QHS. Comme vous êtes là, Dorian va vous briefer sur la situation.

— Un gars a balancé son codétenu contre une remise de peine, devina King.

— Entre autre, lâcha Rebecca. Monroe a pris perpète, alors il moucharde régulièrement en espérant une conditionnelle. Parfois, ça marche, parfois non.

Le téléphone sonna, Rebecca l’abandonna pour répondre.

— Alors tu as vu Monroe ? Il est mort, ah merde ! s’écria Dorian à son interlocuteur, au téléphone.

King jeta un coup d’œil en direction de Dorian.

— Ça ne nous arrange pas du tout. Comment on va confirmer son histoire ? Tu penses en avoir encore pour longtemps ? Il faut briefer notre nouvelle recrue.

King écouta malgré lui l’échange téléphonique de Dorian.

— Je sais qu’il y a du lourd, en perspective. Le juge de l’application des peines nous a transmis les dossiers de libération à venir. Un caïd des Nevada Wolves et un fabricant de meth qui sortent de prison quasiment en même temps. Il va y avoir du grabuge en ville. Les bikers vont lâcher les chicanos pour recruter ce mec-là.

Fuentes lui parla.

— Tu me tiens au courant.

Dorian raccrocha.

— Qui est ce gars des Nevada Wolves dont tu as parlé à Fuentes ? demanda King à Dorian, en consultant le grand tableau Velléda, fixé au mur.

— Ezra Kowalski alias « Shotgun, » annonça Dorian. Tu seras son contrôleur judiciaire pour les deux prochaines années.

King écrivit dans un carnet, tous les autres noms, dont il devait consulter les dossiers. King avala le fond de sa tasse de café.

— Tu peux m’en dire plus sur ce mec.

— Kowalski est originaire des rues défavorisés d’Orangewood. Le père alcoolique a frappé sa femme, une fois de trop. Elle a succombé à de multiples hémorragies sur la route de l’hôpital. Inculpé pour homicide, il est mort en taule, il y a cinq ans. On a soupçonné Kowalski sans pouvoir établir un mobile. À l’époque, Kowalski a fini en foyer d’accueil desquels il se sauvait à chaque fois. Arrêté plusieurs fois pour vol et racket, Kowalski a atterri en prison. À sa libération, il a été recruté par les Nevada Wolves. Zack Bennett, le président des Nevada Wolves et patron d’un garage de voiture, l’a pris sous son aile et lui a tout appris.

King feuilleta le casier judiciaire.

— Je vois que notre gars s’est taillé une sacrée réputation, commenta King.

— Il a plongé pour trafic de drogue, affirma Dorian. Le procureur à l’époque lui a proposé un deal. Une importante réduction de peine à la condition de balancer les Nevada Wolves, expliqua Dorian.

— Kowalski a fait la totalité de sa peine et a gagné le respect de son boss.

Dorian acquiesça du chef. Rebecca remit à King une pile de dossiers qui impliquait Ezra Kowalski.

— Plusieurs membres du club lui ont rendu visite en prison dont un certain Holden Thornton et Archie Green, constata King en lisant les commentaires du directeur de la prison.

— Ses meilleurs potes, commenta Dorian. Ils se connaissent depuis qu’ils sont gosses. Leurs parents vivaient dans la même rue.

— Il n’a participé à aucun programme de réinsertion, déplora King. Kowalski n’a pas l’intention de reprendre sa vie en main.

L’air navré de Dorian Pope en disait long sur ses pensées.

— N’y compte pas trop, ajouta son coéquipier. Son casier judiciaire ressemble à un énorme bottin annuaire. Ce gars a pris ses galons en taule comme dans la rue. Tu n’en tireras rien.

King survola rapidement les dépôts de plaintes, les dépositions et les comptes rendus d’interrogatoire.

— Fais chier, lâcha-t-il en examinant les clichés de ses tatouages. Il en a des autres de ce genre ?

Il lui désigna la croix gammée sur le triceps gauche.

— Il paraît que sa poitrine et ses bras sont truffés de ce genre de tatouages.

Pope lui souhaita bonne chance.

— Ça me fout les boules de voir autant de cons foutre leur vie en l’air pour une bande de mecs. Ces sales types les utilisent puis les balancent à la poubelle dès qu’ils n’ont plus besoin d’eux. Il n’a pas une nana qui puisse le remettre dans le droit chemin.

King vérifia les personnes à contacter, en cas d’urgence.

— Cette nana... Gigi.

— Son ex ? Ça remonte, il y a au moins dix ans. La moitié du gang lui est passé dessus, sans que ça le dérange. Ce n’était pas une officielle. Aux dernières nouvelles, Gigi a disparu de la circulation.

— Ça promet, se désola King. Un homme, qui n’a aucun respect pour sa meuf, est irrécupérable.

King passa sa main sur son visage.

— Merci pour le débriefing, j’apprécie.

Une annotation, sur un post-it, lui indiqua qu’Ezra Kowalski avait rendez-vous avec lui, le lendemain de sa sortie de prison.

— Il n’y a pas de quoi. Je te laisse, mon rendez-vous de 10h ne va pas tarder.

— Tu as quoi au menu ?

— Une patineuse quinquagénaire, défoncée à la meth. Elle est clean depuis six semaines. Un vrai record pour elle ! Espérons que ça dure !

Dorian s’enferma dans son bureau.

Joshua potassa ses dossiers et contacta plusieurs boîtes d’intérim, concernant des postes à pourvoir. Lors des entretiens, il rencarderait ses ex-détenus.

King prit une pause-café au moment où Dorian surligna au fluo les rendez-vous que certains anciens détenus avaient oublié. Il y avait entre autres une certaine Holly Moore, prostituée de profession depuis vingt ans. Dorian décrocha le téléphone sur le bureau. Sa mine soucieuse ne présageait rien de bon. Il composa un numéro. Mais il tomba directement sur une messagerie vocale.

— Et merde, pesta-t-il.

— Qu’est-ce qui se passe ?

Dorian s’assit derrière son bureau.

— Excuse-moi, je dois donner un coup de téléphone très urgent, dit-il.

La tonalité sonna.

— Hales, Pope à l’appareil, contrôleur judiciaire de Holly Moore. Fuentes est rentré ? Je n’arrive pas à le joindre. Il est sur le chemin du retour. Voilà je voudrai que tu me confirmes une info de dernière minute. Je sais que personne ne sait où se trouve Holly. Mais ce n’est pas pour ça que je t’appelle.

Son interlocuteur acquiesça.

— Il paraîtrait qu’elle héberge une mineure dans son appartement. Une certaine dénommée Lil’Bird. Environ une quinzaine d’années, elle mesure un mètre soixante-dix, elle est mince. Du genre très mignonne, blonde avec des yeux bleus.

Hales parla à travers le combiné.

— Je vois, c’est sa fille Mila. Fais chier. Elle a fugué du centre pour jeunes en difficulté. Il y a combien de temps ? Il y a six semaines. Sérieusement !

Hales parla.

— Comment ça Holly n’habite plus à cette adresse ? Délogée par son proprio pour loyer impayé, nota-t-il dans le dossier. Et la gamine ? Quelqu’un l’a vu ? Au 262 Fieldstone St, Orangewood!

King fronça les sourcils, l’évocation de l’adresse lui disait quelque chose. Il feuilleta la pile de dossiers et consulta les adresses, les unes après les autres.

— Parfait. Vas inspecter les squattes où Holly avait l’habitude d’aller se droguer. Je me rends à l’adresse que tu m’as indiquée !

Dorian soupira d’exaspération en raccrochant.

— Ton adresse-là, je l’ai lu dans l’un de mes dossiers dont je dois m’occuper.

— Lequel ?

King récupéra un dossier.

— Eduardo Obregón, plus connu de la brigade des mœurs sous le pseudonyme de Brad Black. Arrêté plusieurs fois pour proxénétisme.

— Fais chier, pesta-t-il. Holly s’est remise à tapiner, ce n’est pas vrai. Elle était clean depuis six semaines.

— Pour sa gosse, c’est notifié dans son dossier ?

— Je savais que Holly avait une fille de trente piges qui habite Reno mais je n’étais pas au courant pour l’adolescente.

King acquiesça.

Dorian Pope récupéra son portefeuille et ses clés de voiture, il fila à la recherche de Mila.