Chapitre 1 | Ezra

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La chaleur était écrasante, à l’heure-ci. Selon l’exemplaire du Las Vegas Times, ce début du printemps s’annonçait estivale, songea Shotgun en sculptant ses abdominaux aux barres parallèles. Les températures seraient au-dessus des normales de saison, atteignant facilement les 35°C en milieu d’après-midi.

Comme ses codétenus, Ezra Kowalsky, que tout le monde surnommait Shotgun, enchaîna – malgré tout – les exercices. Son torse nu, luisant de sueur, exhiba à la vue de tous ses tatouages de tête de mort et de loups féroces, faisant savoir son appartenance au club biker 1% des Nevada Wolves. Il grogna sous l’effort, les muscles des grands-droits travaillaient avec ardeur. La sueur lui perla le crâne puis ruissela le long de son occiput, sur lequel était tatoué « Drink of the Hate » puis le long de sa nuque.

Jai compta le nombre de mouvements.

— Eh bien, tu pètes la forme aujourd’hui, s’écria-t-il.

— Un peu que je pète la forme, dit-il sans s’interrompre, tout grimaçant sous l’effort. Je sors dans trois semaines.

Le biker poursuivit sa série d’exercices.

— Tu as convaincu la commission des remises de peines ?

Ezra éclata de rire et lâcha les barres parallèles.

— Quel con, celui-là, railla-t-il.

Il utilisa son t-shirt comme une serviette, et s’épongea le visage.

— Pas question de déballer le baratin qu’ils veulent entendre. Genre que je vais reprendre ma vie en main. Pourquoi ? Être libéré plus tôt ? J’ai pris dix ans, j’ai fait mes dix ans.

D’un pas de conquérant, il se dirigea vers les lavabos, il s’aspergea le visage et le crâne, puis se désaltéra. Il trempa son t-shirt pour se rafraîchir. Shotgun aperçut non loin de leur table attitrée Jai en train de discuter avec un jeune, à la silhouette efflanquée. Son allure hippie était ridicule, avec sa longue chevelure et ses piercings. Apparemment un nouveau qui cherchait la protection de son club!

— C’est quoi ça, putain de merde ?

Ezra traversa la cour, Jai récupéra quelque chose et lorgna longuement le contenu du papier, visiblement emballé par la rémunération. Enfin, Jai fit signe au nouveau de le suivre.

— Hé Shotgun, l’interpella Jai.

Il plaça son t-shirt dégoulinant d’eau sur sa nuque. Il accepta que Jai lui présente le nouveau.

— Shotgun, je te présente Tex, ce trouduc produit de la marijuana dans sa cave. Il a une faveur à te demander. Il cherche notre protection contre les négros.

— Et tu comptes nous payer comment, Tex ? s’enquit Ezra. Avec la beuh pour bisounours. Mon club commercialise de la meth au cas où tu ne le saches pas !

Tex lorgna en direction des Black Soulless Ones en train de lézarder au soleil. L’un des gars de Dj Ricch ne ratait rien du spectacle.

— Avec elle, affirma-t-il.

Jai tendit la photo à Ezra qui l’examina avec attention.

Il s’agissait du portrait d’une adolescente. Belle comme le jour. Elle posait pensivement pour le photographe, le menton posé dans le creux de sa main. La blondeur de sa chevelure, nattée sur le côté, une longue mèche effleurait son visage. Elle avait des yeux magnifiques, d’un bleu clair qui lui rappelait ces idylliques cartes postales des mers des Caraïbes.

Ezra jugea la photo.

— La vache, elle est canon, s’époustoufla-il. Et cette jolie fille a un nom ?

— Elle s’appelle Lil’Bird, révéla Tex.

Lil’Bird, sourit Ezra. Lil’Bird était forcément un surnom que cette beauté employait pour éviter de divulguer sa véritable identité.

— D’où tu la connais ?

— Sa mère crèche chez mon paternel. C’est une bombe atomique au plumard !

— Elle tapine comme sa mère ? demanda Ezra, avec l’intention de la contacter pour sa sortie.

— Lil’Bird ne fait pas le trottoir. C’est une sorte d’escort-girl, elle sélectionne ses clients puis elle les baise à mort.

Deandre, dont les tatouages recouvraient la moitié de ses bras, approcha.

— Tu as baisé avec ? s’enquit Ezra.

— J’ai tenté ma chance mais elle m’a envoyé bouler.

— Le contraire m’aurait étonné, railla Deandre. Comment un canon pareil pourrait laisser un débile, comme toi, la sauter.

Ezra ne parvint pas à détacher le regard de cette fille. Elle lui plaisait. Il la voulait, il était prêt à y mettre le prix pour essayer cette bombe atomique.

— Si t’as pas baisé cette beauté, comment tu sais que c’est une bombe atomique ? s’enquit Ezra, perplexe.

— Un de mes potes se l’est tapé, elle adore baiser. C’est une nympho, elle ne dit jamais non.

Ezra en saliva à l’avance.

— Écoute, tu m’arranges un parloir avec cette jolie tête blonde. On verra si on accepte de te protéger.

— Je t’arrange ça, promit Tex.

— Ok, décréta Ezra. Eh bien, maintenant, tu peux dégager.

Tex s’apprêta à récupérer la photo de Lil’Bird mais Ezra la garda. Tex s’éloigna, l’échine courbé. Tous les gars s’agglutinèrent autour d’Ezra et se rincèrent l’œil sur la photo de la mystérieuse Lil’Bird. Les sifflements d’admiration fusèrent, à l’amusement de Shotgun.

— Blonde aux yeux bleus. De la bonne race aryenne, ce petit bout de nana, déclara Ezra, en se léchant les lèvres avec gourmandise.

— C’est vrai, qu’elle est à croquer, renchérit Jai.

Deandre voulut se rincer l’œil.

— Et pas touche, les gars. Je vais charger Strike de me la dénicher pour ma sortie.

Jai s’amusa de son intérêt pour cette tête blonde.

— J’ai bien l’intention de me taper cette meuf pour vérifier ce qu’il a dit à son sujet.

— On se fait jamais payer en nature, c’est la règle, souligna Deandre.

— Tu me prends pour un demeuré ou quoi ? grinça Ezra. J’ai intégré les Nevada Wolves alors que tu biberonnais encore les nichons de ta junkie de mère, tête de con !

Toute l’assistance éclata de rire et Deandre s’excusa en courbant l’échine.

Ezra effleura la bouche vermeille aux lèvres pulpeuses de son pouce puis le lécha avec appétit.

— Je me casse de ce trou à rats dans trois semaines. Ça sera plus mon problème. Mais j’obtiendrai un parloir avec ce beau brin de nana. Vous le faites raquer comme tous les autres.

— Bien, Shotgun, répondit Jai.

C’était désormais l’heure de la douche. Les restrictions budgétaires les obligeaient à se doucher à l’eau froide, quelle qu’elle soit la saison. Plusieurs agents pénitentiaires surveillaient les douches, le poing sur leur bombe lacrymogène, pendant que les détenus se douchaient par groupe de cinq.

Ezra dénoua sa serviette autour de ses hanches. Son regard oscilla des agents pénitentiaires vers ses codétenus. Jai l’accompagnait.

Il prit la précaution de ne tourner le dos à personne. Avec un peu d’imagination, un détenu détournait aisément la fonction première d’une brosse à dent. Il en faisait une arme mortelle, grâce à un briquet et une lame de rasoir. Il ne souvenait plus du nombre incalculable de fois où il en avait fabriqué. Sinon les viols sous les douches étaient aussi monnaie courante.

L’air menaçant, Ezra préféra prévenir le mec de lui foutre la paix.

— Toi, le négro, avises pas de ne pas m’approcher trop prêt, sinon je te latte la gueule au point que ta propre mère ne te reconnaîtra au parloir.

Le prisonnier Black Soulless Ones baissa les yeux et lui tourna le dos. Ezra en profita pour se savonner des pieds à la tête, en insistant bien sur les aisselles et ses parties intimes.

— Trois semaines, plus que trois semaines, dit-il avec enthousiasme.

— Hormis de te taper la jolie meuf de tout à l’heure, tu comptes faire quoi, une fois dehors ? demanda Jai.

— Pour commencer, j’enfourcherai ma moto pour faire un tour puis je boufferai un méga steak. Je me payerai de nouvelles sapes et je m’enfilerai une bière bien fraîche, rit Ezra en salivant d’avance à sa liberté.

— Grouille-toi de te laver, gronda le maton Reese à l’intention d’Ezra.

L’eau froide ruissela le long de son corps, le rinçant de la mousse et la sueur. Mais un bruit suspect lui parvint de la douche d’en face. Un autre Black Soulless Ones déboula, en brandissant une tige acérée, qu’Ezra aperçut qu’au dernier moment.

— Ça, c’est de la part de Dj Ricch, hurla le noir.

Ezra para le coup, avant d’être frappé au ventre. L’autre à sa gauche l’étrangla de son bras.

— Enfoirés de nègres, pesta-t-il.

— T’aime latter du négro, sale skin, grommela le détenu, en train de l’étrangler. Là, c’est le nègre qui va te baiser, le blanco. Ça tombe bien, j’en ai une énorme.

Ezra frappa son agresseur d’un coup de pied dans le genou. Le gars hurla quand sa jambe vrilla dans un angle inhabituel. Ezra donna un coup de tête à celui dans son dos. Il sentit son sexe, dont le frottement commençait à le faire raidir, contre sa fesse. Hors de question de se faire enculer sous la douche ! Il y avait réchappé à cette humiliation durant les dix ans de sa peine, ce n’était pas pour y passer à trois semaines de sa sortie. Ezra poussa un grognement, il lui martela les côtes de violents coups de coude.

Jai alerta les matons. Reese déboula et arrosa généreusement l’agresseur d’Ezra de bombe lacrymogène. Ensuite, il le maîtrisa après l’avoir désarmé.

Ezra écrasa l’autre contre le carrelage, le choc dut forcément lui vider l’air dans ses poumons. Il se dégagea, le black s’effondra. Avant d’aller en prison, Ezra avait fait de la boxe dans son quartier défavorisé d’Orangewood. Il abattit ses poings féroces sur son étrangleur.

— À terre, Shotgun, l’avertit Reese. À terre, je te dis.

Mais Ezra ne l’écouta pas. Ce fils de pute voulait le baiser... et au sens littéral du terme ! Celui qu’on appelait Shotgun prit appui contre le mur et lui administra des coups de pieds, en hurlant de fureur. À la troisième sommation, Reese l’arrosa à son tour. Le gaz lacrymogène lui brûla les yeux et les voies aériennes. Il s’écarta vivement puis buta contre le mur carrelé.

— À terre, Shotgun, brailla Reese.

Il roula sur le carrelage détrempé en proférant tout un chapelet d’insultes.

— Respire, respire doucement, Shotgun, lui conseilla Reese.

Une légère douleur, lancinante, lui piqua le flanc. Un fin filet de sang s’échappa d’un petit trou, à une dizaine de centimètres à droite de son nombril. Dans le feu de l’action, Ezra n’avait pas senti le coup.

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