CHAPITRE 8 : SUR LA ROUTE

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Un cri de surprise sort subitement Aurore de ses rêves qui se redresse dans son lit, paniquée. Dans le lit à côté du sien, Mathieu est assis et scrute la porte de leur chambre, les yeux plein de fatigue. Le bruit vient de la chambre d’à côté, où les deux cousines ont passé la nuit.

La pièce s’ouvre à la volée et Sarah entre précipitamment, échevelée et confuse.

- Mathieu, Aurore ! Vous êtes réveillés ? Faut que vous veniez voir ça tout de suite !

- Evidemment qu’on est réveillé, c’est quoi tout ce boucan ? marmonne Mathieu en sortant de son lit.

Ils se rendent dans la chambre attenante où ils retrouvent Thomas et Laura. Devant eux se tient Charlotte, absorbée par son reflet dans un miroir. Elle tâte son visage, farfouille dans sa chevelure blond platine, scrute chaque parcelle visible de son corps comme si elle se voyait pour la première fois, ou comme si elle s’était soudainement réveillée dans le corps d’une autre.

Quand elle remarque enfin la présence de ses amis dans son dos elle se retourne et, affolée, leur explique la situation.

- Je n’arrivais plus à dormir avec tous les événements d’hier. J’ai voulu faire un brin de toilette avant de sortir marcher un peu. Et regardez ce que j’ai vu ! Mes cheveux, mes cheveux changent de couleur !

Pour prouver ses dires elle s’approche de ses compagnons et aplatit les mèches le long de sa raie centrale. Elle n’a pas menti, ils distinguent clairement les racines de Charlotte et elles n’ont plus leur teinte habituelle, elles sont rose vif.

- Et ce n’est pas tout, ajoute-t-elle. Je commence à avoir des reflets violets dans les yeux. Qu’est-ce que ça veut dire ?

- Eh bien, je ne sais pas trop, répond Aurore. Esméra a dit que certaines caractéristiques ne sont pas présentes dans notre monde et qu’elles ne peuvent se développer qu’ici, qu’il leur faut du temps pour se manifester. C’est peut-être ce qu’elle voulait dire.

- Mais je ne veux pas avoir des cheveux rose bonbon moi ! Et mes yeux alors ? Et si quelque chose d’autre changeait aussi ?

- Tu pourrais utiliser ton pouvoir pour camoufler ce qui ne te plait pas, suggère Thomas. Ça ne changerait pas la réalité mais au moins ton apparence quand tu es en public. En revanche si de tels changements apparaissent sur Charlotte, nous devrions tous vérifier si nous commençons aussi à nous transformer ou non.

Après s’être tous inspectés tour à tour dans la glace, le verdict tombe.

- Eh bien, je suis toujours imberbe malheureusement et mes cheveux n’ont pas pris une couleur super cool, déplore-t-il en passant une main dans ses boucles gris acier. Désolé Charlotte.

- Mes yeux, murmure Laura. Mes yeux ont des reflets rouges.

- Et je sens une pointe, sous la peau, sur le dessus de mes oreilles, confesse Aurore. Comme si j’allais finalement avoir des oreilles d’Elfe. On dirait qu’Esméra avait raison en fin de compte.

Un raclement de gorge attire leur attention. La jeune aubergiste se tient dans l’encadrement de la porte de la chambre, les bras chargés de tissus. Elle a dépensé toutes ses économies au marché afin de leur trouver de quoi se vêtir de la même façon que les locaux.

Aurore se défait à contre-cœur du cadeau de son peuple et enfile la robe terne et rêche que lui a remise leur hôte. Elle ne se résigne toutefois pas à abandonner derrière elle ses vêtements elfiques et les fourre dans son sac.

Par chance, Jacinda ne leur a ramené ni chausses ni manteaux du marché et ils peuvent par conséquent conserver leurs confortables bottes sylvestres ainsi que leurs capes fourrées. Leur allure vestimentaire ressemble désormais à un magnifique patchwork culturel aussi esthétique que discret pour se fondre dans la foule urbaine.

Pour compléter le tout, Lucie, refusant de se changer, décide de se transformer et de voyager à leurs côtés sous la forme d’un imposant loup aux yeux d’ambre.

Devant l’intérêt suscité par leur accoutrement lorsqu’ils descendent dans la salle à manger, le petit groupe décide de ne pas traîner en ville et de partir directement pour leur prochaine étape : Diporto, la capitale humaine la plus proche.

D’après Jacinda, c’est là-bas qu’ils ont le plus de chance de trouver des partisans prêts à les soutenir, c’est là-bas qu’ils ont le plus de chance de trouver un peuple prêt à donner tout ce qu’il a pour retrouver sa liberté, prêt à se jeter corps et âme dans une bataille perdue il y a longtemps, prêt à faire tourner la roue du sort.

De plus, en récupérant cette place stratégique, les Mariquais se verraient privés de leur port principal et leur marché avec les autres continents prendrait fin immédiatement. Cela affaiblirait immanquablement l’économie actuelle, déjà fragile.

Reprendre le château et toute la région redonnerait à tout le continent le courage et la force nécessaire pour se soulever contre son tyran, faire face à la milice, anéantir ce régime de misère et de violence, de terreur et de mort. Reprendre le château et toute la région rallumerait les flames de l’espoir et le brasier de la révolte.

Ils marchent têtes baissées dans la ville, essayant de fuir les regards curieux des badauds et suspicieux des gardes et passent enfin la porte Nord sans encombre. Devant eux s’étend une route pavée immense, déserte, cabossée. Des herbes sauvages se sont invitées au milieu du chemin et des racines jouent avec la pierre, formant des vagues et des ornières.

Les nuages laissent place au Soleil qui les observe, imperturbable, planté dans le ciel azuré. Il suit leur course, illumine la chaussée à leur brûler la rétine, assèche leurs gorges, épuise leurs réserves d’eau.

Soudain sa vision se trouble, ses mains tremblent, ses jambes flanchent sous son poids et Laura s’effondre au sol.

- Je ne peux pas… Je ne peux pas continuer comme ça, sous ce Soleil.

- Allez Laura, tu peux le faire, l’encourage Thomas.

- On va faire une pause à l’ombre, tu vas te déshydrater, te rafraîchir un peu et nous repartirons plus tard, déclare Aurore.

- Mais c’est de la folie ! proteste Lucie. Si nous nous arrêtons nous n’arriverons jamais au prochain village avant la nuit. Vous n’avez pas envie de savoir ce qu’il arrive aux voyageurs égarés après le coucher du Soleil…

- Lucie, l’interrompt Mathieu. Nous faisons une pause, que tu le veuilles ou non.

- Vous ne connaissez pas ce monde comme moi, c’est de l’inconscience.

- C’est quoi ton problème au juste ? T’as pas remarqué que l’une d’entre nous ne va pas bien ? Je ne sais pas comment c’est dans ce monde certes, mais dans le nôtre les loups savent ce qu’est une meute, ce qu’est une famille.

- Ce que Sarah essaye poliment de te dire, renchérit Charlotte, c’est que la prochaine fois que tu parles de laisser derrière l’un de nos amis, tu pourras retourner d’où tu viens, la queue entre les jambes comme un vulgaire clébard.

A ces mots Lucie sort les crocs, un grondement guttural monte de ses entrailles et elle se jette sur la blondinette. Avant que quiconque ne puisse réagir, celle-ci lève la main et un trait d’énergie mauve vient percuter l’Animalingua de plein fouet. Aussitôt la jeune louve se met à tituber, ses bras font des moulinets dans le vide, ses jambes s’emmêlent et elle heurte le sol violemment.

Charlotte pose un genou à terre, juste à côté de Lucie, met une main sur son épaule et, d’une voix aussi posée que froide, lui dit :

- Que les choses soient bien claires, ça fait plus d’un an que je partage la vie de ces zigotos. Ils sont mes amis, ma famille. Si tu as le malheur de t’attaquer à nouveau à eux ou à moi, je ferai bien pire que te clouer au sol. C’est bien clair ?

- Qu’est-ce que tu m’as fait ? Arrête ça, je vais vomir.

- L’équilibre est étroitement lié à la vue, énonce négligemment Charlotte en se redressant. Et devine qui a le pouvoir absolu sur tout ce que tu vois ? C’est bibi. Alors sois sage si tu ne veux pas que cela se reproduise.

Thomas et Mathieu passent chacun un bras sous les épaules de Laura et la portent jusqu’à l’ombre d’un bosquet sur le bas-côté.

Leurs gourdes étant vides, Sarah s’accroupit et plaque sa paume contre le sol. Ses sourcils se froncent lorsqu’elle se concentre. Au bout de quelques instants, la lueur bleue irradiant le sol laisse place à une flaque d’eau claire suffisamment grande pour qu’ils puissent tous se revigorer à leur guise.

Laura reprend petit-à-petit ses esprits quand un nuage de poussière attire leur attention au loin. Une dizaine de chevaux galopent à toute allure dans leur direction et d’après ce que le groupe a entendu dire sur la fréquentation du coin, il y a fort à parier que les cavaliers ne se montreront pas amicaux une fois à leur hauteur.

Ils échangent un regard entendu. Gérard leur a toujours dit de ne pas aller au combat si cela n’est pas nécessaire. Blesser ou tuer quelqu’un, aussi mauvais soit-il, n’est pas un acte qui laisse indifférent. Et aucun entraînement ne prépare à cela.

Comme pendant leurs exercices, ils se regroupent autour de Charlotte. L’illusionniste clos les paupières, prend une profonde inspiration, détend les épaules et à mesure qu’elle expire, une aura violette se forme autour de ses paumes, les rendant tous totalement invisibles au reste du monde. Mais cette fois ce n’est pas un exercice et la tension est palpable dans l’air.

Une fois arrivés à leur niveau, les chevaliers se stoppent net. Ils sont douze, tous vêtus d’une armure grossière en métal tordu. Celui qui semble être le chef descend de sa monture, aussitôt imité par la moitié de ses camarades.

- Tu vois bien qu’il n’y a rien ici.

- Mon général je suis pourtant certain d’avoir vu du mouvement ici.

- Tais-toi, tu me fais perdre mon temps. Tu mériterais qu’on t’attache à un arbre et qu’on laisse les loups venir te régler ton compte. Enfin, si tu as de la chance…

Les voyageurs retiennent leur souffle, priant silencieusement pour que les cavaliers se remettent en chemin. A cet instant précis, un hennissement retentit plus loin sur la route, en direction de la ville, détournant l’attention des soldats.

La petite caravane s’approche au pas et s’arrête juste devant le petit groupe.

L’un des marchands descend de la roulotte et s’entretient avec le général qui lui demande de leur montrer ce qu’ils transportent. L’homme s’exécute.

Les membres de la milice lancent un regard inquisiteur vers les tissus et les paniers vides entreposés dans la cariole puis commencent à les sortir et les jeter au sol.

En voyant cela un deuxième marchand les rejoint en protestant. Il n’en faut pas plus aux prétendus gardes pour qu’ils se laissent aller à leurs penchants violents. Le malheureux est jeté au sol et tabassé à coups de pieds. Quand il a cessé de bouger, ses agresseurs s’en donnent à cœur joie en déchirant les draps et piétinant les paniers d’osier sous le regard désabusé du premier homme qui n’ose esquisser le moindre geste.

- Vous avez de la chance, déclare finalement le général en enfonçant la garde de son épée dans l’estomac du marchand. Il semble que vous soyez en règle, vous pouvez partir.

A ces mots, les cavaliers se remettent en selle et repartent en riant vers la ville. Les sabots réduisent en miettes les quelques rares morceaux d’osier encore intactes, déchirent les toiles déjà souillées par la patrouille et manquent de justesse d’écraser le pauvre marchand toujours inconscient sur le pavé.

Le dernier voyageur, n’ayant pas réussi à bouger de son siège lors de l’agression, tétanisé par la peur, vient aider son camarade au sol. Il le fait boire et l’assied contre la roue puis aide son compère à remettre dans leur chariot les miettes de ce qu’il leur reste.

Avec les tissus ils forment un confortable amas sur lequel ils viennent étendre le blessé. Le temps qu’ils retournent à leur place, Aurore et ses amis se glissent discrètement dans la cariole, aux côtés de l’homme agonisant qui sombre petit à petit dans l’inconscient.

Le véhicule se remet en mouvement et le petit groupe poursuit, discrètement et sans effort, sa route vers le renouveau de ce monde, vers de sombres jours et de radieux lendemains.

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