Ezra suivait le jeune homme à travers les ruelles en pierres de la cité. Chaque habitant vaquait à ses occupations et personne ne semblait se préoccuper de sa présence. Cet endroit ressemblait à une sorte de petite cité : les rues étaient jonchées de stands de nourritures et d'objets divers, les enfants couraient un peu partout et les gardes en armures d'argent paradaient au milieu de tout ce désordre. Au sein de ce décor, Ezra n'était seulement qu'un étranger venant d'un pays lointain. Devant lui, Agnis marchait trop vite. Il devait presque courir afin de ne pas perdre sa trace. Ezra observait minutieusement ses alentours : la pauvreté et la misère pouvaient se lire sur le visage de chaque individu. Jamais il n'avait vu de décor aussi sinistre. 

Arrivés devant une sorte de taverne, Agnis stoppa Ezra, lui posant la main sur le torse :

- Attends ici, dit-il, je dois récupérer un truc et je reviens.

Ezra hocha la tête. Il avait là une occasion de prendre la fuite et de trouver un moyen de rentrer chez lui. Le seul inconvénient était qu'il ne connaissait personne et qu'il allait sûrement finir perdu dans une impasse lugubre de la ville. Alors, il ne fit rien, il resta sagement debout devant la porte du bâtiment, attendant Agnis. Ses yeux parcoururent la façade : au-delà des murs de briques grises et des contours en bois des fenêtres, un détail attira son attention. Un piquet sortait d'entre deux pierres et, sur une planche de bois foncé, se dessinait un cheval de couleur brune avec écrit au dessus " L'étalon d'or". Il resta longuement fixé sur la pancarte, analysant chaque détail de la gravure de bois.

Soudain, il sentit une présence derrière son épaule. Il se retourna brusquement et découvrit une jeune fille aux cheveux blonds pâles. Elle fit un bond en arrière et le regarda avec de grands yeux. 

- Je suis désolé, je ne voulais pas vous faire peur. S'excusa Ezra, se sentant un peu coupable de l'avoir fait sursauter. 

Elle émit un grand soupir de soulagement et replaça un mèche de cheveux derrière son oreille :

- Non ce n'est rien, c'est ma faute.

Ezra, gêné, commença à regarder autour de lui. Il pouvait sentir le malaise entre elle et lui.

- Tu as l'air perdu. demanda la jeune fille.

Ezra n'eut pas le temps de répondre qu'il sentit une main ferme se poser sur son épaule. Il tourna légèrement la tête et découvrit Agnis, une petite bourse en cuir dans la main droite. Probablement l'objet de sa visite dans cette taverne. 

-Bonjour Krystal, s'exclama-t-il, que nous vaut ce plaisir? 

La dénommée Krystal fixa ce dernier d'un regard interrogateur. Ezra dut avouer que l'aura que dégageait cette fille ne le rassurait guère. Elle était aussi froide que la glace. 

- Ah, je te présente Ezra, déclara Agnis tout sourire, désignant celui-ci de la main.

Ezra dessina un petit sourire timide sur son visage.

Krystal croisa les bras sur poitrine, plongeant son regard dans le sien :

-Et je peux savoir d'où il sort lui ?

Le sourire sur le visage d'Agnis s'effaça en moins de deux secondes. Lentement, il s'approcha d'elle et lui chuchota à l'oreille :

- J'en sais absolument rien, je vais l'emmener voir l'intendante. 

Krystal fronça les sourcils et pencha la tête. Elle prit son bras violemment :

- Tu es fou ou quoi ? Tu sais bien la réputation qu'elle a.

-Tu veux que je fasse quoi sinon? Rétorqua-t-il.

Ezra était au milieu d'eux deux, les yeux naviguant de l'un à l'autre. Il était complètement perdu et intrigué. Il n'avait clairement pas envie de mourir maintenant. Au bout de quelques secondes, il croisa le regard de Krystal. Ses yeux bleus ardoises, scintillaient d'une lueur étrange. 

Il se figea jusqu'au moment où elle coupa le contact visuel :

- On va l'emmener voir Luise. Dit-elle d'une voix étrangement calme. 

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Après avoir marché durant de longues minutes, ils arrivèrent devant une immense bâtisse dont les traits se rapprochèrent énormément de la taverne qu'il avait vu précédemment. Des gardes étaient disposés à l'entrée, de chaque côté d'une grande porte en bois. Sans hésitation, Krystal se plaça devant l'un d'eux, les deux jeunes hommes restèrent derrière elle :

- Salut Ardy, Luise est là ?

Le garde leva un sourcil lorsqu'il croisa le regard ahuri de Ezra. Krystal plongea ses yeux dans celui du garde, l'obligeant à soutenir son regard. Celui-ci, déstabilisé, bafouilla : 

- Heu oui, mais elle ne veut pas être dérangée.

La blonde leva un sourcil et poussa brutalement la porte. Derrière elle, les deux jeunes hommes étaient restés immobiles . Ezra  était complètement désemparé ; ce monde lui était étranger et les seules choses dont il avait envie étaient de revoir son grand-père et de retrouver sa vie monotone et ennuyeuse d'étudiant en littérature. 

Après quelques secondes de longues absences, Agnis pénétra à son tour dans l'édifice et Ezra, trop terrifié à l'idée d'être seul, décida de le suivre. Essayant de les rattraper, il n'avait pas fait attention aux portes et l'une d'entre elles se referma sur lui, le percutant en pleine figure. Il émit un énorme "aie" et se massa le front. Appâtés par le bruit, Krystal et Agnis se retournèrent et échangèrent un regard complice rempli de désespoir et de lassitude. 

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L'intérieur était très chaleureux. Trois cheminées, situées chacune sur un des murs de la pièce, réchauffaient la pièce et apportaient à Ezra la dose de chaleur qui lui manquait. Ici, il se sentait étrangement bien dans cet endroit. Au centre de la pièce, il y avait deux grandes tables où de nombreuses personnes buvaient et mangeaient. Krystal se dirigeait vers une petite porte en bois brut située au fond à gauche de la pièce. Ezra fixait Agnis : il n'avait pas dit un mot depuis la taverne. Il ne l'avait jamais vu autant silencieux, à croire que Krystal l'intimidait un peu. 

Devant la porte, et les deux garçons derrière elle, Krystal colla son oreille contre le bois. Elle leur fit signe de se taire, voulant vérifier si Luise était là.

À travers le mur, on pouvait entendre la voix de cette dernière et celle d'un vieil homme. Ezra, curieux, colla lui aussi son oreille et il reconnut immédiatement la voix d'Adrien, son grand-père. Sans réfléchir, il ouvrit brusquement la porte. Il découvrit alors une magnifique pièce faite entièrement de bois d'acacia. Au centre de la pièce, trônait un imposant bureau où était assise une dame, les mains croisées sur la table. Elle avait ses cheveux gris relevés en un chignon sévère.

Aussi, de dos, il reconnut la silhouette de son grand-père: tous les deux semblaient être au beau milieu d'une conversation très sérieuse. 

Surpris par le bruit, Adrien s'était retourné et fixait Ezra l'air inquiet. Ce dernier était trop bouleversé pour pouvoir bouger. À ces côtés, Krystal s'avança:

- Luise, désolé de te déranger mais c'est très urgent. 

Luise ne bougea pas et ne dit rien. Alors, Agnis s'avança à la hauteur de Krystal, parcourant ses yeux sur chaque personne de la pièce :

- Quelqu'un m'explique ? demanda-t-il, souriant à pleine dents, déboussolé par la situation.

Luise se leva de sa chaise, les mains toujours jointes. 

- Agnis, Krystal, sortez s'il vous plaît. exigea-t-elle calmement.

Krystal s'apprêta à ouvrir la bouche mais Luise la coupa d'un signe de la main. Agnis quant à lui, quitta la pièce sans poser plus de questions et Krystal le rejoignit quelques secondes après, fermant la porte derrière elle. 

Ezra s'avança doucement vers son grand-père, soulagé et en même temps surpris de le voir. Ce dernier s'était levé de sa chaise et fixa son petit fils, les yeux sévères, remplis d'inquiétude:

- Ezra, qu'est ce que tu fais ici ? 

Ezra se tut, ne sachant pas quoi répondre. Lui-même ne savait absolument pas ce qu'il faisait ici. Il faisait une simple balade en forêt lorsqu'il avait été téléporté à des milliers de kilomètres de chez lui, dans une sorte d'univers parallèle. 

Lucia, quand à elle, fixait Adrien :

- Adrien ?

Ce dernier lança un regard plein d'incompréhension à Luise. Ezra, tenait à peine debout. Il s'avança vers la seconde chaise libre en face du bureau de Luise et s'y assit lentement.

Les mains sur les cuisses, il se mit à leur raconter le déroulement des évènements en omettant, bien sûr, ses petites maladresses. 

Ni Adrien, ni Luise n'avaient ouvert la bouche de tout le récit. Tous deux étaient trop abasourdis pour pouvoir raisonner convenablement. 

Après quelques minutes, Adrien retrouva la parole :

- Ne t'inquiètes pas, tu vas rentrer avec moi. 

Dans sa tête, Ezra était tiraillé entre le besoin d'explications et l'envie immédiate de rentrer chez lui. Voulant, pour une fois, faire preuve d'un minimum de discernement, il pivota doucement la tête en sa direction :

- Tu crois que tu vas me ramener comme ça, sans rien dire? Je mérite des explications.

Adrien était déconcerté par le ton employé par son petit-fils : jamais il ne l'avait entendu aussi sévère et sûr de lui. 

- Et bien, bafouilla-t-il, c'est une longue histoire.

Ezra reposa son dos sur le siège et plaça ses mains sur les accoudoirs du fauteuil. L'air nonchalant, il déclara :

- J'ai tout mon temps.