Drôle de découverte

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Après avoir rebroussé chemin et emprunté une allée sous les frondaisons, nous avions traversé le ruisseau par le petit pont de bois aperçu la veille et nous étions arrivés au bord de l’étang où s’ébattaient des canards et deux cygnes ; nous en fîmes le tour jusqu’au bas d’une colline que nous avions l’intention d’escalader. Pour y accéder, il nous fallait traverser un pré bordé par un fossé rempli d’eau et d’herbes. Le sol était détrempé par la pluie qui était tombée la veille et pendant la nuit ; nos tennis s’enfonçaient dans l’herbe à chaque pas et nous avions l’impression de prendre un bain de pieds. Nous remîmes donc à plus tard notre escalade et décidâmes de rentrer pour nous changer avant l’heure du déjeuner. De l’endroit où nous nous trouvions, nous pouvions voir la maison sur l’arrière. La clarté de cette fin de matinée, assombrie par des nuages récalcitrants, n’était pas suffisante pour illuminer les vitres des fenêtres. Notre attention fut attirée par un reflet semblant venir d’une pièce que nous supposions inoccupée. Fugace, il se déplaçait comme si quelqu’un se promenait en tenant une bougie ou une lampe ; il disparut, revint et disparut à nouveau. La chose était surprenante et c’est en nous questionnant sur cette soudaine apparition que nous rentrâmes.

Il était presque treize heures ; nous étions affamés. Nous espérions que Marie, pendant notre promenade, était revenue et nous avait préparé le repas auquel nous aspirions. Nulle bonne odeur de cuisine ne nous accueillit et nous trouvâmes la maison tout aussi déserte que lorsque nous l’avions quittée. Les reliefs de notre petit déjeuner étaient toujours sur la table de la salle à manger. Nous dûmes nous contenter des restes du petit déjeuner qui calmèrent notre faim sans nous rassasier. La situation devenait inquiétante. Nous ne comprenions pas ce qui se passait. Nous décidâmes de réunir nos affaires et de quitter immédiatement cet endroit si peu accueillant. Alors que nous avions rejoint nos chambres pour y boucler nos valises, un cri strident s’éleva semblant venir de l’étage au-dessus de nos têtes. Ensemble, nous nous précipitâmes dans le couloir.

« Qu’est-ce que c’était ?

—On aurait dit un hurlement de douleur ou de peur !

—Allons voir, décida Éric. Restons groupés, on ne sait jamais. »

Nous montâmes à l’étage supérieur en nous tenant par la main, deux par deux. En arrivant sur le palier, nous aperçûmes, venant de la pièce au fond du couloir, une clarté vacillante qui, soudain, s’amplifia en même temps que le vacarme qui nous avait réveillés recommençait. C’était comme un souffle suivi de coups sourds d’abord espacés puis de plus en plus rapides et répétés qui faisaient trembler les murs et le plancher. C’était assourdissant et insupportable. Instinctivement, nous nous étions serrés les uns contre les autres en nous bouchant les oreilles. Nous nous apprêtions à dévaler l’escalier lorsque le silence revint, pesant, laissant à nos oreilles un bourdonnement d’abeille. Une odeur pestilentielle envahit alors la maison et le cri effroyable retentit à nouveau. Le hurlement strident semblait émaner de partout à la fois, se répercutait en écho sur les murs, s’arrêtait et reprenait comme si celui qui l’émettait se reposait quelques secondes, reprenait son souffle pour mieux recommencer. Abasourdis et effrayés, nous redescendîmes précipitamment pour rejoindre nos chambres et de nouveau, le silence revint.

« Nous ne pouvons pas rester plus longtemps dans cet endroit maléfique, dis-je. Nous devons partir immédiatement !

—Hum… Fit Fred. Moi, j’aurais bien envie d’en savoir plus sur ce qui se passe ici. Voyons, si la maison est hantée, que risquons-nous ? Un fantôme a-t-il jamais fait du mal à quelqu’un ?

—Je suis de ton avis, dit Christophe.

—Banco ! S’écria Éric. Qu’en pensez-vous les filles ?

D’une même voix, toutes les trois, nous protestâmes :

« Ah non ! Pas question !

—J’ai la trouille, moi, ajouta Eloïse.

—Moi aussi, acquiesçai-je. Et puis, il semble que nos hôtes nous ont tiré leur révérence sans nous prévenir. La cuisine ne contient aucune victuaille et nous ne savons même pas s’ils vont revenir. Qu’est-ce que nous allons faire ? Je préfère que nous partions.

—Eh ! Nous avons payé pour un hébergement, après tout. Reprit Fred. Je serais d’avis que nous continuions à explorer la maison, quitte à enfoncer les portes fermées à clé. Qui sait si nos deux charmants hôtes n’ont pas eu un accident ? Ou s’ils ne sont pas victimes de quelque chose que nous n’imaginons pas ?

—Tu as raison, approuva Éric. Nous devons les chercher. C’est anormal qu’ils aient ainsi disparu.

—Bon, d’accord, dit Camille, mais avant, je pense que nous devrions nous rendre au village faire quelques emplettes et questionner les commerçants sur ces gens.

—Allez-y, les filles ! Proposa Christophe. Pendant ce temps, nous reprendrons nos investigations. Il est à peine quinze heures, nous avons du temps devant nous. A votre retour, nous verrons bien si nous avons trouvé quelque chose ou si nous devrons abandonner.

—Allons d’abord refaire un tour d’inspection dans la cuisine, proposa Camille. Peut-être qu’après tout, nous n’avons pas cherché où il fallait.

Pendant que les garçons préparaient leur plan d’exploration, Camille, Eloïse et moi-même descendîmes au rez-de-chaussée où rien n’avait changé depuis notre retour de promenade. Nous débarrassâmes la table et nous rendîmes dans la cuisine. Nous n’étions pas très rassurées et nous évitions de nous séparer. En effet, cette cuisine n’avait pas été utilisée depuis fort longtemps. Pourtant, nous n’avions pas rêvé, la veille, cette bonne odeur qui nous avait accueillis, ce délicieux goûter et ce repas que Marie nous avait servis. Alors, où avait-elle préparé tout ceci ? Une porte, au fond de la pièce, avait échappé à notre première visite. Nous l’ouvrîmes et quelle ne fut pas notre surprise et notre joie de nous trouver dans une autre cuisine équipée de tout le confort, dont les placards et le réfrigérateur étaient remplis de provisions. Heureuses de notre découverte, nous rejoignîmes les garçons pour leur faire part de cette bonne nouvelle.

Nous remîmes à plus tard notre enquête auprès des commerçants du village. Le temps était plus clément, il ne pleuvait plus, et nous étions assurés d’avoir de quoi nous nourrir. Quand bien même le bruit reviendrait, nous avions pu constater qu’il nous avait simplement effrayés sans nous blesser. Il nous suffirait de nous boucher les oreilles et le nez si l’odeur pestilentielle revenait elle aussi. Nous envisagions désormais tout ceci comme une aventure de vacances.

Avant de nous remettre en quête de nos hôtes, nous avions décidé de prendre une collation, car l’encas pris à treize heures n’avait pas suffi à combler nos estomacs. Tout le nécessaire était dans cette cuisine pour satisfaire notre fringale. Assis autour de la table devant un thé-petits gâteaux, nous devisions sur la marche à suivre lorsqu’à nouveau le vacarme reprit, mais cette fois atténué, comme s’il venait de l’extérieur. Nous nous rendîmes sur la terrasse, mais à peine y étions-nous arrivés que le silence revint.

« C’est à croire que ce bruit joue à cache-cache avec nous ! Dit Christophe.

—Je me demande si on ne veut pas simplement nous faire peur et nous obliger à partir, renchérit Éric.

—Je ne pense pas, dit Fred. Je crois que tout ceci n’a rien à voir avec nous. En tout cas, je ne crois pas aux fantômes. Et je serais prêt à parier que nos hôtes n’y sont pas étrangers !

—Dans ce cas, repris-je, pour quelle raison recevraient-ils des vacanciers et pourquoi nous auraient-il reçus, si nous les dérangions ?

—C’est ce que nous allons essayer d’éclaircir, reprit Fred. Terminons notre goûter et mettons-nous à l’ouvrage.

—C’est ça. Dans la joie et la bonne humeur ! Elles commencent bien, nos vacances ! S’écria Eloïse en faisant la moue. »

Sa mine déconfite nous fit exploser de rire pendant que Christophe la prenait dans ses bras pour la rassurer.

Après nous être munis des lampes torche que nous emmenions toujours dans nos bagages, nous partîmes à la recherche de nos hôtes et d’une plausible explication sur ces événements hors du commun. Nous commençâmes par le sous-sol. À la queue leu-leu, nous gravîmes l’escalier étroit que les garçons avaient déjà emprunté et qui nous amena, par un couloir sombre, dans une salle voûtée soutenue par quatre piliers de pierre qu’un soupirail grillagé ne suffisait pas à éclairer. Il y faisait humide et froid et ça empestait le moisi. Nos lampes braquées sur le sol et sur les murs, nous découvrîmes, derrière un pilier, une porte dont la hauteur ne permettait de la franchir que penché. En bois clouté, elle était à l’épreuve des coups et une serrure antique en garantissait la fermeture. L’obstacle était infranchissable. Éric nous conduisit vers un second couloir par lequel nous atteignîmes une autre salle dans laquelle étaient installés une chaudière et un ballon d’eau qui devaient assurer le confort de la maison. Ces appareils paraissaient vétustes, rouillés et empoussiérés. Une forte odeur indéfinissable régnait dans cette cave dont l’unique issue était le couloir qui nous y avait amenés. Rien d’autre n’était à découvrir dans cette partie du manoir et c’est avec soulagement que nous regagnâmes le rez-de-chaussée où, nous précipitant sur la terrasse, nous pûmes enfin respirer un air frais et autrement parfumé que les miasmes insalubres du sous-sol dont les odeurs semblaient nous coller à la peau. Les murs salpêtreux avaient laissé des traces jaunâtres et malodorantes sur nos vêtements et dans nos cheveux. Le souvenir en fut effacé par une douche qui nous redonna du cœur à l’ouvrage.

La journée s’avançait ; nous étions restés plus longtemps qu’il nous avait semblé dans les caves et le jour commençait à baisser. Assurés d’avoir malgré tout le gîte et le couvert, nous prîmes la décision de continuer notre exploration jusqu’à l’heure du dîner. Une fois de plus, nous regagnâmes le deuxième étage où nous avions eu si peur quelques temps auparavant. Cette fois, nulle lueur n’éclairait la pièce, nul bruit ne se fit entendre. Nous longeâmes le couloir et arrivâmes devant la porte entr’ouverte d’où n’émanaient que de la poussière et de la pénombre. Christophe nous précédait, suivi par Eloïse qui s’accrochait à son tee-shirt, par Fred et Camille, elle aussi au plus près de son compagnon ; Éric et moi fermions la marche en nous tenant par la main. En arrêt, nous attendions, l’oreille tendue, dans l’attente que quelque chose se produise, mais le silence persistant nous encouragea à entrer. Sa lampe torche braquée sur le plancher, Christophe poussa la porte qui émit un grincement d’outre-tombe.

« Ça manque d’huile ! » Plaisanta Fred.

Nous pénétrâmes ensemble dans ce qui nous parut n’être qu’une simple chambre vide et poussiéreuse. Un volet de bois masquait la fenêtre ; Éric le fit pivoter sur ses gonds rouillés et gémissants. Un jour gris fusa avec peine au travers des carreaux sales, révélant ce que la pénombre avait caché à nos yeux. Eloïse poussa un cri d’épouvante pendant que, d’un seul élan, nous nous précipitions hors de la pièce. Blottis les uns contre les autres sur le palier, tétanisés et tremblants, nous restâmes quelques minutes sans réaction ; Christophe réagit le premier.

« Il faut rentrer là-dedans, dit-il et nous assurer de ce que nous pensons avoir vu.

—Allons-y, tu as raison, répondit Éric.

—Je pense, argumenta Fred, que nous devrions appeler la police.

—Oh là, là, gémit Camille, mais qu’est-ce que c’est que cette maison ? J’en ai marre. Je veux m’en aller ! »

Les trois garçons étaient déjà retournés dans la pièce ; de peur de rester seules dans le couloir, nous les avions suivis, accrochées l’une à l’autre. Le jour était maintenant insuffisant pour nous permettre de distinguer tous les détails de notre découverte. Les garçons braquèrent leurs lampes torches sur ce qui nous avait effrayés et nous découvrîmes que ce que nous avions pris pour un cadavre n’était qu’un simple et inoffensif mannequin de bois désarticulé, gisant sur le sol. Un détail, pourtant, nous intrigua ; à ses côtés, un bougeoir était posé, contenant une bougie qui semblait avoir été utilisée récemment à en juger par les coulures de cire encore molle. Soulagés, nous ne fîmes pas cas de ce détail et, fatigués par cette première journée de vacances mouvementée et pleine d’émotions, nous décidâmes de rejoindre le rez-de-chaussée. Fred et Éric se chargèrent de faire une flambée dans la grande cheminée du salon pendant que Camille, Eloïse et moi préparions de quoi nous restaurer dans la cuisine, aidées par Christophe. Lorsque Fred et Éric nous rejoignirent, nous devisions sur tous ces événements incompréhensibles, sur la disparition de nos hôtes et sur ce qu’il conviendrait de faire le lendemain s’ils n’étaient pas réapparus. Nous prîmes notre repas dans le salon, confortablement installés devant la cheminée.

Aucun bruit ne se fit entendre ce soir-là. Nos hôtes ne réapparurent pas et le locataire indiscret ne se manifesta pas davantage.

Par prudence, nous décidâmes de ne pas nous séparer pendant la nuit. Nous installâmes nos sacs de couchage dans le salon, mais personne ne put vraiment dormir. Le lendemain matin, après une deuxième nuit blanche, nous n’étions pas en grande forme pour nous lancer dans l’aventure.

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