Un tintamarre inquiétant

6 minutes de lecture

Lovée sous le gros édredon, blottie dans les bras de mon compagnon, je m’endormis immédiatement d’un sommeil de plomb, bercée par le martellement de la pluie sur les vitres de la fenêtre devant laquelle j’avais tiré les lourdes tentures de velours.

Je ne sais depuis combien de temps je m’étais assoupie lorsque je fus réveillée en sursaut par un vacarme assourdissant ; des grondements, des raclements, des gémissements et des souffles roques se répercutaient en écho comme si un vent mauvais émanait de partout à la fois. Effrayée, je me levai d’un bond, pensant qu’une tempête de fin du monde sévissait à l’extérieur. Éric avait sauté du lit en même temps que moi et s’était précipité vers la fenêtre. La pluie avait cessé, aucun éclair, aucun souffle d’air n’agitait la nature calme sous une lune blafarde éclairant le parc en ombres chinoises. Ce spectacle ne me rassura pas le moins du monde. Le clair-obscur me parut bien plus inquiétant ; l’ombre sombre des arbres rampait sur les pelouses détrempées et luisantes, entremêlée à celle des statues dont les bras se dressaient en gestes de supplication. Des nuages lourds assombrissaient le ciel, privant l’horizon de clarté. La forêt, à la lisière du parc, était plongée dans la nuit, arrêtant le regard sur sa masse noire telle une frontière donnant sur le néant.

Glacés de peur autant que de froid, nous hésitions entre nous recoucher ou nous habiller pour rejoindre nos amis qui, eux aussi, devaient être éveillés. Loin de cesser, le bruit s’était amplifié ; il y eut une cavalcade dans le couloir, on frappa à notre porte.

« S’il vous plaît, Vic, Éric, ouvrez-moi, j’ai peur !» nous suppliait Eloïse dont la voix tremblait.

Je la fis entrer ; nos autres compagnons nous rejoignirent ; eux aussi étaient inquiets. Il était deux heures du matin, nous avions froid, et, n’ayant d’autre explication à apporter à ce vacarme, nous en déduisîmes que le manoir était hanté, raison pour laquelle nos hôtes, sans doute habitués à cet état de fait, ne se montraient pas. Le bruit cessa brusquement après un dernier coup de tonnerre qui fit trembler le sol. Un silence de mort régna alors, bien plus effrayant que le tapage qui nous avait réunis dans cette chambre.

Incapables de retrouver le sommeil, nous avons passé le reste de la nuit à échafauder toutes les hypothèses possibles et imaginables. Au petit matin, nous étions décidés à quitter cet endroit où il nous semblait impossible de passer des vacances sereines. Les avis étaient partagés ; les uns désiraient partir dès le lever du jour, les autres pensaient qu’il serait mieux d’éclaircir la situation en demandant à nos hôtes de nous dire la vérité sur ces étranges événements. Le vote nous départagea ; nous attendrions le petit déjeuner pour les questionner et obtenir une explication.

Lorsque nous descendîmes à la salle à manger, nous avions tous des mines de papier mâché. Notre nuit blanche et nos discussions ne nous avaient pas apporté de solution, mais nous étions déterminés à engager la discussion avec Marie et Jacques.

Notre surprise fut grande de trouver, sur la table, tout le nécessaire pour calmer nos estomacs affamés : café et lait fumants, pain grillé, beurre et confitures, jambon et œufs grillés nous étaient offerts, mais aucune trace de nos hôtes. Pensant qu’ils étaient sortis ou qu’ils se trouvaient quelque part dans la maison, nous fîmes honneur à ce somptueux petit déjeuner, nous attendant à les voir surgir à tout instant. Repus, nous quittâmes la table, désœuvrés et hésitants sur ce que devions faire. Nous décidâmes de nous mettre à leur recherche. Jacques nous avait promis une promenade sur le lac, et, bien que fatigués, nous comptions faire honneur à sa proposition.

Nous nous étions réparti les tâches. Avant tout, nous avions appelé une dernière fois nos hôtes, mais aucune réponse ne nous était parvenue.

Pendant que les garçons visitaient le rez-de-chaussée, nous, les filles, nous commencions notre exploration par l’étage où se situaient nos chambres. Six portes étaient disposées de part et d’autre d’un long couloir aux murs tapissés de vert pâle, ornés de tableaux représentant des paysages et des portraits ; le sol, couvert d’un tapis assorti au papier peint des murs, semblait se confondre avec eux.

Les trois premières portes ouvraient sur nos chambres. Nous pensions trouver, dans l’une des trois autres pièces, le locataire dont nous avait parlé Jacques la veille. Quelques coups frappés aux portes restèrent sans réponse. Nos tentatives pour les ouvrir furent vaines, elles étaient fermées à clé. Probablement que l’indiscret locataire était sorti et que les autres chambres étaient inoccupées. On accédait au deuxième étage par un escalier grinçant bien moins accueillant et bien plus poussiéreux que le bel escalier du premier étage. Nous gravîmes les marches en silence ; un palier donnait accès à un étroit couloir dont le parquet couinait à chaque pas ; les murs sombres étaient couverts de portraits aux regards sévères qui semblaient suivre nos déplacements avec un air de réprobation ; de part et d’autre, trois portes étaient fermées. Un coup léger frappé sur chacune n’obtint aucune réponse. Elles aussi étaient verrouillées. Cette partie de la maison semblait déserte et ne pas avoir reçu de visiteur depuis longtemps, à en croire la poussière qui s’accumulait sur le sol et l’état délabré des murs. Une dernière porte, au bout du couloir, était entrebâillée. Je m’enhardis à la pousser. Il faisait très sombre à l’intérieur de la pièce, on n’y voyait goutte ; alors que nous hésitions à entrer, le vacarme recommença. Prises de panique, nous nous précipitâmes, courant dans les couloirs et dévalant les marches quatre à quatre. Nous atterrîmes dans le hall, affolées et essoufflées. Le bruit y était comme étouffé, en tout cas moins inquiétant. Les garçons arrivèrent à leur tour, revenant du sous-sol.

« Vous entendez ? Questionna Eloïse, ça recommence !

—Oui, répondit Fred. Au sous-sol, on a l’impression que la maison va s’envoler tellement le sol tremble.

—Ça ressemble à des bruits de tuyauterie, comme dans les vieilles maisons quand on fait couler l’eau du bain trop fort, fit remarquer Éric.

—Vous avez trouvé quelque chose, au sous-sol ? S’inquiéta Camille.

—Rien, ni personne. Tout est bouclé à double tour. Il semble qu’il y ait une cave, ou une réserve, mais on n’a vu que la chaufferie avec une énorme chaudière, un tas de charbon et un ballon d’eau chaude. C’est curieux, tout ça paraît inutilisé depuis longtemps. C’est plein de poussière et ça sent le moisi. Et vous, qu’avez-vous trouvé ?

—Rien non plus. Toutes les portes sont fermées à clé et personne n’a répondu à nos appels. Le dernier étage semble aussi à l’abandon. Une seule pièce est ouverte, mais il y fait tellement sombre que nous n’avons pas osé y entrer. Et puis, termina Camille, le bruit a recommencé, nous avons eu peur et nous sommes descendues en courant.

—Qu’est-ce qu’on fait ? Demandai-je. Vous êtes allés dans la cuisine ? Marie n’y était pas ?

—La cuisine, répondit Fred, est à l’image de la chaufferie : déserte et poussiéreuse.

—Impossible, m’écriai-je. Marie nous a servi un bon repas hier soir et un petit déjeuner somptueux ce matin. Nous avons pu prendre une douche, nous avons des lits confortables et le salon et la salle à manger sont en parfait état. C’est à n’y rien comprendre !

—Mais nous n’y comprenons rien ! S’écrièrent en chœur mes compagnons.

—Ecoutez, il est à peine onze heures. Même si le soleil n’est pas encore au rendez-vous, il ne pleut pas. Allons faire un tour, explorons le parc. Nous verrons bien. Peut-être qu’ils sont simplement allés faire des courses. Qu’en pensez-vous ? Demandai-je.

L’idée fut approuvée ; nous nous mîmes en route pour une exploration des environs. En arrivant devant la grille du parc, au bout de l’allée, nous eûmes la surprise de la trouver fermée avec une chaine cadenassée. La chose ne nous inquiéta pas ; nous pensions que nos hôtes, lorsqu’ils étaient absents, prenaient cette précaution afin d’éviter les visiteurs indésirables. Le parc était bien assez grand pour nous promener une heure.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 5 versions.

Vous aimez lire Mona Lassus ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0