L'accueil

5 minutes de lecture

« Entrez, entrez ! » Nous dit le vieil homme en s’écartant pour nous laisser passer. Soyez les bienvenus. Nous vous attendions plus tôt. » Ajouta-t-il en souriant.

Encombrés par nos bagages, nous entrâmes dans un vaste hall dont le carrelage blanc à cabochons noir brillait comme glace au soleil ; un imposant escalier à balustres y prenait son essor et une odeur de cannelle et de cire embaumait l’air.

Le vieil homme nous fit pénétrer dans un salon où une cheminée monumentale dispensait la chaleur bienfaisante d’un beau feu aux flammes crépitantes. L’endroit nous apparut comme l’antichambre du paradis après ces interminables heures de voyage dans l’inconfort de notre véhicule dont les suspensions n’avaient pas été prévues pour supporter l’état chaotique des routes que nous avions empruntées pour arriver jusque-là.

Nous prîmes place dans des fauteuils profonds et moelleux à souhait, placés de part et d’autre de la cheminée. Sur une table basse, on avait déposé un plateau garni de tasses en porcelaine à fleurettes rose et vert tendre et, sur un présentoir, des petits fours glacés au sucre. Après ce long voyage, la promesse d’un goûter nous revigora.

Nous étions à peine installés que, poussant une table roulante, surgit une petite bonne femme toute en rondeurs, rose comme un bonbon, dont les frisettes d’un blanc de neige encadraient un visage poupin et sympathique. Son regard bleu, sous ses lunettes perchées sur le bout de son nez, nous observait tour à tour avec un je ne sais quoi de curiosité et de malice.

« Bonjour, bonjour ! Nous lança-t-elle gaiement. Avez-vous fait bon voyage ? »

Sans nous laisser le temps de répondre, elle ajouta en remplissant les tasses :

« Vous devez être très fatigués. Je vous ai fait du thé. Allons, ne vous gênez pas. Mangez. Après, nous vous montrerons vos chambres. »

Elle prit à son tour place sur une chaise si basse qu’elle semblait se ternir accroupie, les genoux remontés sous le menton, sa longue jupe enserrant ses jambes. Je remarquai qu’installée ainsi, l’œil brillant allant de l’un à l’autre, elle avait l’air d’un gros chat sur le point de dévorer une souris. Cette pensée me fit sourire et je constatai que mes compagnons souriaient aussi. Le vieil homme attisa le feu, s’installa face à elle sur un pouf en allongeant ses jambes démesurément longues. Chacun prit une tasse et un biscuit et, pendant quelques instants, le silence régna dans la pièce que seul le crépitement joyeux des bûches vint troubler.

Un peu intimidée, je n’osai rompre cet instant de paix, lorsqu’un bruit étrange me fit dresser l’oreille. Ce fut un grondement sourd, comme si on trainait de lourds meubles à l’étage.

« Ce n’est rien, nous rassura le vieil homme. Nous avons un locataire un peu bruyant à qui il arrive parfois de déplacer sa chaise d’un bout à l’autre de sa chambre. »

L’incident fut clos et nous finîmes notre goûter tout en devisant avec nos hôtes qui nous apprirent que, l’âge de la retraite venant, ils avaient restauré ce vieux manoir hérité autrefois de leur famille. Ne pouvant vivre isolés et désœuvrés, ils avaient aménagé l’endroit pour recevoir des visiteurs tels que nous, désirant séjourner quelques temps dans la région.

Une question sur les lèvres, Jérôme commença sa phrase par « votre femme… »

Ces deux mots à peine énoncés déclenchèrent spontanément un éclat de rire de nos hôtes.

« Non, grand Dieu non ! S’écria le vieil homme. Nos invités font souvent la confusion, mais nous sommes frère et sœur. Jumeaux, plus exactement. Autrefois, nous avons été mariés, mais le mari de ma sœur et ma femme sont décédés. Sans enfant, nous avons réuni nos solitudes et nos biens communs pour vivre dans cette maison dans laquelle nous avons passé notre enfance. »

Nous apprîmes également qu’ils s’appelaient Marie et Jacques, prénoms par lesquels ils nous prièrent de les nommer au lieu de leur donner du Monsieur ou Madame.

L’heure avançant, Marie nous montra nos chambres pendant que Jacques nous aidait à monter nos bagages.

Le bonhomme était aussi haut et maigrelet que sa sœur était petite et ronde, son crâne aussi dégarni que celui de sa sœur était pourvu d’une abondante chevelure frisée. Mis à part la couleur des yeux et le regard malicieux, aucune ressemblance ne pouvait donner à penser qu’ils étaient frère et sœur et à plus forte raison jumeaux.

Le manoir était vaste et confortable. Les chambres, à la décoration désuète, étaient agréables avec leurs lits hauts couverts d’édredons de satin aux couleurs assorties à celles des tapisseries qui couvraient les murs, leurs meubles et leurs bibelots qu’on aurait pu penser sortis d’un magasin d’antiquités et les tapis épais qui couvraient les planchers. Un bouquet de fleurs, sur une commode, donnait une touche de gaieté à cet endroit un peu austère. Je trouvai l’attention délicate.

Une petite salle d’eau jouxtait la chambre que nous devions occuper, Éric et moi ; je défis ma valise, pris une douche, revêtis une robe plus convenable que mes vêtements de voyage et je descendis dans le hall où je retrouvai mes compagnons qui avaient fait de même. Nous avions l’intention de profiter de cette soirée au coin du feu.

Une bonne odeur de cuisine chatouilla agréablement nos narines, nous mettant en appétit. Notre hôtesse nous servit le repas dans la salle à manger. Cette pièce, à l’instar du salon et des chambres, était meublée de façon assez austère, mais avec un certain raffinement. Une longue et large table couverte d’une nappe blanche en occupait le centre autour de laquelle des chaises à haut dossier étaient disposées dans un ordre impeccable. Un grand tapis couvrait le sol, débordant de part et d’autre de la table jusque sous les chaises. Les baies vitrées donnant sur la terrasse étaient voilées de rideaux de mousseline et de lourdes tentures grenat retenues par des embases à brandebourgs. Une enfilade couverte de vases et de statuettes en bronze longeait un mur et un vaisselier lui faisait face, dont les étagères étaient garnies d’assiettes de porcelaine fine. L’ensemble était briqué et luisant à souhait. Un lustre à pampilles, suspendu au centre du plafond, éclairait la pièce d’une lumière vive. Intimidés par ce décor, nous nous étions arrêtés devant la double porte vitrée donnant accès à la pièce depuis le hall. Nous voyant plantés là, notre hôtesse, arrivant du fond de la salle avec une soupière dans les mains, nous cria :

« Entrez, entrez donc ! Installez-vous où vous voulez ! »

Son frère s’assit en bout de table et elle-même prit place à sa droite après avoir posé la soupière.

« J’espère que vous aimez le pot-au-feu ? Nous demanda-t-elle en servant une louche de potage dans chaque assiette. J’y ai cuit du vermicelle, ajouta-t-elle.

—Ça sent bon, en tout cas, répondis-je. Je pense que nous allons nous régaler. Merci, Marie. »

En effet, bien que ce plat ne soit pas de saison, nous nous régalâmes du potage au dessert, un flan au caramel savoureux accompagné de langues de chat.

Le dîner fut joyeux, animé par les bavardages et les histoires que nous contèrent ce couple délicieusement chaleureux. Nos vacances débutaient sous de bons hospices. Nous montâmes nous coucher pleins d’enthousiasme à l’idée de la promenade sur un lac voisin que nous avait promise Jacques pour le lendemain.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 2 versions.

Vous aimez lire Mona Lassus ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0