Chapitre 1 - Partie 1

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 La sonnerie stridente du réveil résonnait dans la pièce. Lancinante, et de plus en plus forte. Chaque jour, elle annonçait la même terrible nouvelle : la journée venait de commencer. Ici, et probablement dans de nombreux autres foyers.

 Lev grommela en s'enroulant dans les couvertures, tandis que sa compagne allumait la petite lampe de chevet. Une douce lumière envahit la chambre.

  • Debout, feignasse ! lança la femme en se levant.

 Elle n'eut pour toute réponse qu'un grognement sourd. Son compagnon plaqua l'oreiller sur sa tête et se recroquevilla sous la couette. Esquissant un sourire, elle quitta la pièce.

  • Je vais préparer le petit déjeuner. J'espère qu'il y en aura encore quand tu daigneras sortir du lit.

 La réaction de son conjoint ne se fit pas attendre. Katya, amusée, entendit une faible plainte ponctuée de petits gémissements.

 Le couple vivait dans un petit appartement de trois pièces. La plus grande servait à la fois de salon et de cuisine. Si la technologie avait fait un réel bond en avant en matière d'innovations, les foyers, eux, avaient vu leur opulence diminuer drastiquement. Les larges plans de travail et bars en quartz avaient cédé leur place à de petits îlots en Fenix. Rarement utilisé par le passé, ce matériau issu des nanotechnologies avait révolutionné le monde culinaire. Ses facultés d'auto-réparation et d'auto-nettoyage avaient été adoptés à l'unanimité dans une société où le temps, étroitement lié à l'argent, était précieux. A l'image des appartements, l'ameublement aussi était réduit au strict nécessaire : réfrigérateur, plan et four à micro-onde se disputaient les quatre mètres carrés d'un coin de la pièce. Quelques placards s'ajoutaient à la liste afin de stocker conserves et ustensiles que le couple possédait.

 La partie salon, quant à elle, jouissait d'un espace trois fois plus grand. Le vieux canapé accolé au mur offrait l'essentiel du confort de l'appartement et donnait vue sur la table à manger. À sa gauche, la bibliothèque en bois recelait de livres anciens, pour la plupart âgés d'au moins cinquante ans. L'édition d'ouvrages papiers avait été abandonnée au profit du numérique, peu après l'essor des technologies embarquées, dans les années 2080.

 Sur le mur adjacent, l'unique et grande fenêtre proposait la même vue que tous les appartements de l'immeuble et du quartier : là où abondaient des champs par le passé, il n'y avait plus que béton et bâtiments. En quelques années, les barres d'immeubles avaient supplanté chaque parcelle de terrain afin de loger la population, notamment après le Grand Exode de la fonte des glaces. Toutes les villes à moins de deux-cents kilomètres d'une côte maritime avaient été abandonnées au profit des grandes steppes russes. Les nouvelles habitations y avaient été construites promptement dans le but de loger le plus de monde possible, faisant fi des problématiques d'acoustique ou d'isolation thermique.

 C'était donc dans un logement froid et gris que Lev se réveilla péniblement ce matin-là. Il s'assit sur le bord du lit, les cheveux ébouriffés, le regard dans le vague. Comme à son habitude, il n'avait pas très bien dormi et son esprit était resté dans le monde des rêves.

 D'un coup d'oeil, il consulta l'heure qu'affichait le réveil : 04:36. Il soupira profondément et attrapa son Profiler qu'il enfila jusque son avant-bras. L'appareil, constitué d'une plaque de verre transparente et de deux sangles, s'alluma.

Bonjour Lev 1003250

 Il se leva pour rejoindre sa femme. Le vrombissement du micro-onde laboura son crâne encore embrumé et le fit vaciller. Il se retint de justesse à l'encadrement de la porte et patienta jusqu'à la fin du processus en regardant par la fenêtre. Il faisait encore nuit dehors et malgré ça, le paysage extérieur était parsemé d'une centaine de lumières, toutes issues d'appartements dans lesquels un scénario similaire se déroulait. La ville toute entière se préparait à aller travailler, trimer pour gagner de quoi subsister.

 Le petit Ding de l'appareil tira Lev de sa léthargie. Il gagna la table à manger et, pris d'un interminable baillement, regarda Katya apporter leur pitance. Elle tenait un bol de soupe chaude qu'elle avait agrémentée de petites céréales. Ils mangèrent en silence, bien installés dans leur routine quotidienne.

  • Quel est le planning de ta journée ? osa finalement demander la femme.
  • Ce matin, je me rends au journal, répondit-il laconiquement, les yeux rivés sur son repas. Ils ont besoin de quelqu'un pour rédiger un article sur la vague de suicides dans le quartier italien.
  • Ce n'est pourtant pas dans tes affectations, d'habitude.

Lev eut un petit rire pincé.

  • C'est vrai. Mais j'ai bien peur que Gino ne soit plus disponible pour s'occuper de cette chronique. Je reprends temporairement le sujet, le temps de trouver son remplaçant.

 Katya baissa la tête. Malheureusement, ce genre de choses arrivait trop fréquemment. Pour fuir la morosité du sujet, elle reprit rapidement.

  • Et cet après-midi ?
  • J'enchaîne les rendez-vous avec des clients, soupira-t-il en reposant sa cuillère dans son bol. Les habitants des quartiers périphériques se plaignent de la vague de migrants en provenance de Dalsoy. Ils ont besoin de moi pour préparer une pétition et monter un dossier.

 Le Profiler à son bras se mit brusquement à trembler, sonnant la fin de son court répit. Il engloutit la fin de sa soupe et se leva avec hâte pour se préparer, sous le regard attristé de sa compagne.

 Quelques minutes après, il claquait la porte de l'appartement, non sans avoir déposé un baiser sur le front de sa femme.

 Une nouvelle journée de labeur commençait.

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